Dans le monde arabe, des réactions à fronts renversés, qui reflètent la double dimension du Hezbollah

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Dans le monde arabe, des réactions à fronts renversés, qui reflètent la double dimension du Hezbollah
الاثنين 30 سبتمبر, 2024

Au Proche-Orient, Hassan Nasrallah était autant apprécié pour sa capacité à tenir tête à Israël qu’il était honni pour son implication dans l’écrasement de la révolution syrienne et son assujettissement aux intérêts de l’Iran.

Par Benjamin Barthe, Le Monde

Sidération, accablement, mais aussi jubilation. Le monde arabe a réagi dans le désordre à l’annonce, samedi 28 septembre, de la mort de Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah libanais, soulignant la dimension particulièrement clivante de cette figure. Acteur majeur de l’histoire du Proche-Orient des trente dernières années, l’homme au turban noir était autant adulé pour son rôle de libérateur du Liban, en 2000, et sa capacité depuis cette date à tenir tête à Israël, qu’il était honni pour son implication dans l’écrasement de la révolution syrienne et son assujettissement aux intérêts de l’Iran.

Ainsi, samedi soir, pendant qu’une foule en colère manifestait devant l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad, en brandissant l’étendard jaune du Hezbollah, des jeunes Syriens criaient leur joie et distribuaient des gâteaux à Idlib, dans le nord-ouest, le dernier réduit de l’insurrection anti-Assad.

Cette ambivalence se retrouve dans les réactions officielles. La Syrie, alliée du Hezbollah au sein de l’« axe de la résistance », a dénoncé « une agression méprisable » et fustigé « le dédain de l’entité sioniste pour le droit international ». Le communiqué de Damas ajoute que « le peuple syrien n’oubliera jamais » le « soutien » apporté par Nasrallah, une référence au déploiement des forces du Hezbollah aux côtés de troupes loyalistes pendant la guerre civile syrienne (2011-2018), qui a contribué à la survie du régime Assad.

Ces mots tranchent avec la prudence extrême à laquelle le pouvoir syrien s’astreint depuis le début de l’escalade israélienne au Liban, à la mi-septembre. Les autorités de Damas savent qu’elles auraient beaucoup trop à perdre si elles se portaient au secours du Hezbollah, écrasé sous les bombes de l’armée israélienne. En signe de solidarité avec le mouvement chiite, le gouvernement syrien a proclamé trois jours de deuil officiel.

Mutisme des Etats du Golfe
Sans surprise, les autres maillons du camp pro-iranien ont eux aussi dénoncé avec force l’élimination du « sayyid », le titre honorifique dont se parait Nasrallah, en tant que descendant du Prophète. Les rebelles houthistes du Yémen, bombardés, dimanche, par l’aviation israélienne, ont déclaré que cet acte « renforcera [leur] détermination ». Le Hamas palestinien a stigmatisé un « acte terroriste lâche ». En Irak, pays qui ne fait pas formellement partie de l’« axe de la résistance » mais dans lequel opèrent une multitude de milices pro-iraniennes, le premier ministre, Mohammed Chia Al-Soudani, a qualifié l’assassinat de « crime » ayant « franchi toutes les lignes rouges ».

Inversement, les Etats du Golfe se distinguent par leur mutisme. Dimanche, en fin d’après-midi, aucun d’entre eux n’avait commenté publiquement le décès de Nasrallah et il est peu probable que l’un d’eux s’y risque dans les prochains jours. L’homme était copieusement détesté dans les palais de la péninsule, en particulier en Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis et à Bahreïn, où le Hezbollah est perçu comme le cheval de Troie de l’Iran chiite dans le monde arabo-sunnite.

Durant la dernière décennie, la République islamique et l’Arabie saoudite se sont livré une violente guerre par procuration, par le biais de leurs relais d’influence respectifs, en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen. En septembre 2019, au paroxysme de cette bataille, après des attaques contre des installations d’Aramco, la compagnie pétrolière saoudienne, Hassan Nasrallah s’était moqué des « cités de verre » du Golfe, une allusion à Dubaï, notamment, et avait affirmé que les pétromonarchies n’étaient pas de taille à lutter contre l’Iran.

Guerre électronique
Depuis cette date, la tension entre les deux camps a décru, mais les rancœurs restent vives. « Peu importe qui l’a tué, Israël ou le diable en personne, Hassan Nasrallah ne nous manquera pas, on se porte mieux sans lui », estime le politiste émirati Abdelkhaleq Abdullah, dont les vues reflètent fidèlement celles de l’élite dirigeante. Dimanche après-midi, même le Qatar n’avait pas réagi, alors que sa ligne diplomatique est moins hostile à l’Iran que celle de ses voisins et qu’il héberge la chaîne Al-Jazira, très favorable au Hezbollah.

L’Egypte, l’autre poids lourd du Moyen-Orient avec l’Arabie, a fait preuve d’une prudence similaire. Son président, Abdel Fattah AlSissi, a téléphoné samedi au premier ministre libanais, Najib Mikati, pour lui témoigner son « plein soutien » face à « l’agression israélienne », mais sans prononcer le nom de Hassan Nasrallah. Fin juillet, après l’élimination par Israël d’Ismaïl Haniyeh, le chef du Hamas, à Téhéran, Le Caire avait condamné la politique d’assassinat israélienne, sans mentionner le nom du défunt.

La polarisation suscitée par la mort de Nasrallah se lit aussi sur les réseaux sociaux. Alors que ses partisans postent en boucle des extraits vidéo de ses discours les plus marquants, ses adversaires, à l’instar de l’éditorialiste saoudien Abdel Rahman Al-Rashed, dressent la liste des attentats et des assassinats ayant secoué le Liban dans lesquels le Hezbollah est soupçonné d’avoir trempé.

Durant le week-end, de nombreux habitants du pays du Cèdre ont d’ailleurs publié sur X des portraits de leurs compatriotes tombés dans ces attaques : le premier ministre Rafic Hariri, bien sûr, mais aussi le journaliste Samir Kassir, le responsable du renseignement Wissam Al-Hassan, l’homme politique Georges Haoui, le militant Lokman Slim, etc. Omar Abu Layla, un analyste syrien pro-opposition, a posté de son côté la photo d’un appétissant plat de viande grillée, accompagnée d’un commentaire sarcastique : « Comment aurais-je pu ne pas manger du kebab un jour comme celui-là ? »

Dans cette guerre de tranchées électronique, quelques figures ont tenté le grand écart, pour dire à la fois leur rejet du sectarisme et de la violence du Hezbollah et leur dégoût de la politique de la canonnière menée par le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. C’est le cas de la journaliste libanaise Dima Sadek. « Notre relation [avec Nasrallah] était très compliquée, a-t-elle écrit sur X. C’est le souvenir de la libération, ce moment sans prix. C’est aussi une réalité d’oppression, l’effondrement de nos rêves de liberté, de la Syrie au Liban. Je rêvais de triompher de vous, mais pas comme cela. J’aurais voulu que ce soit une victoire pour la liberté, pas un succès pour le boucher. »