Les militaires de la force de maintien de la paix des Nations unies sont pris en étau entre l’armée israélienne, qui les considère comme des gêneurs, et le Hezbollah, qui cherche à les instrumentaliser.
Par Elise Vincent et Chloé Hoorman, Le Monde
Alors que s’est tenue à Paris, jeudi 24 octobre, à l’initiative de la France, une vaste conférence internationale sur le Liban, la question de la révision du mandat des quelque 10 000 casques bleus de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) a été l’un des sujets majeurs de discussion. Depuis le début de l’offensive israélienne dans le sud du pays, le 23 septembre, la Finul – qui comprend environ 700 soldats français – n’est pratiquement plus en mesure d’exercer son mandat. Elle est aussi de plus en plus exposée aux dérapages du conflit entre l’armée israélienne et le Hezbollah.
Les ministres de la défense des quinze pays européens fournissant des effectifs à la Finul ont encore rappelé, dans un communiqué conjoint, le 23 octobre, leur « vive inquiétude » face à l’escalade de la violence le long de la ligne bleue que les casques bleus sont censés protéger des hostilités depuis un mandat édicté lors de la dernière guerre du Liban, en 2006. « Nous condamnons la prise pour cibles de soldats de la paix de la Finul en violation des principes fondamentaux du droit international », ont notamment dénoncé la France, l’Allemagne, la Grèce, la Hongrie ou encore les Pays-Bas et la Pologne.
Le 16 octobre, un char Merkava de l’armée israélienne a frappé un mirador d’une position de la Finul près de la ville de Kfar Kila. Deux caméras ont été détruites et le mirador a été endommagé, a indiqué la Force intérimaire des Nations unies au Liban dans un communiqué. Deux jours plus tôt, la Finul avait déjà dénoncé l’entrée « en force » de deux chars israéliens dans l’une de ses positions, ayant causé deux blessés. Un simple accident, selon Tsahal, qui a assuré que ces deux chars reculaient au moment des faits, afin d’« évacuer des soldats blessés, en essuyant des tirs ennemis ». Mais le 11 octobre, ce sont encore deux casques bleus qui étaient blessés à la suite de tirs de l’armée israélienne à proximité immédiate de leur tour de guet.
Dans cet espace très contraint qu’est le sud du Liban, à peine plus grand qu’un département, « la Finul est aujourd’hui en plein milieu du champ de tir », résume un observateur aguerri. « Avant le 23 septembre, la logique entre Israël et le Hezbollah était “œil pour œil, dent pour dent”, décrit un lieutenant français inséré au sein de la Finul, chef d’une section de génie. Il y avait une forme d’escalade maîtrisée. En pratique, c’est surtout une bande de 3 à 5 km, presque vidée de ses habitants, qui était frappée. Mais depuis, on a changé de registre. Les frappes aériennes sont jour et nuit, et depuis le 1er octobre, il y a une rupture, avec des combats au sol observables de très près, sans jumelles. »
Une proximité immédiate avec les combats qui paralyse, aujourd’hui, l’activité des casques bleus. « Même assurer leur rôle de pompier, pour déblayer les routes, arrêter les incendies, secourir les gens dans les décombres, ou encore faire de l’aide humanitaire est devenu très compliqué », détaille Amélie Ferey, spécialiste du conflit israélo-palestinien et chercheuse à l’Institut français des relations internationales. « Nous effectuons des mouvements de façon plus restreinte qu’avant le 23 septembre. Les conditions sont dégradées, mais nous continuons de sortir tous les jours », assure pour sa part le colonel Christophe Maurin, commandant des forces françaises sur place.
La France, à la différence de la plupart des contingents étrangers qui composent la Finul, souvent cloîtrés dans leurs positions, fait partie, depuis plusieurs années, d’une force « de réserve » (Force Commander Reserve), mieux équipée que d’autres unités. Dotés de moyens de reconnaissance, d’infanterie et de surveillance aérienne, les Français, accompagnés d’une compagnie finlandaise de 150 soldats, doivent être en mesure d’intervenir dans toute la zone sous mandat de la Finul, contrairement aux autres bataillons, qui sont sectorisés. Les forces françaises opèrent notamment un radar qui leur permet de suivre les mouvements aériens de l’armée israélienne, mais aussi d’observer les tirs de part et d’autre de la ligne bleue entre Israël et le Liban.
La méthode de l’évitement Mais malgré ces capacités spécifiques, le contingent français subit aujourd’hui de plein fouet, comme les autres, la pression de l’armée israélienne, qui ne cesse de réclamer un départ de la Finul. « Pour les tirs d’artillerie, par exemple, il y a aujourd’hui des zones de restrictions où il n’est pas possible de tirer. Or la présence de la Finul, associée à ces restrictions, gêne, complique et retarde les avancées militaires israéliennes », explique Mme Ferey. « L’une des autres missions de la Finul est de rendre compte aux Nations unies de ce qu’il se passe sur la ligne bleue, or les Israéliens ne veulent pas non plus d’une armée qui regarde par-dessus leur épaule », ajoute la chercheuse.
En face, le Hezbollah, qui demeure une troupe irrégulière n’opérant pas forcément à visage découvert, instrumentalise régulièrement les positions de la Finul, conviennent de nombreuses sources. Alors que l’un des rôles importants de la force onusienne est, en principe, d’éviter que des positions israéliennes et du Hezbollah se trouvent dans la zone de la résolution 1701 de l’ONU qui encadre son mandat, « le tracé de ses patrouilles est donné à l’armée libanaise, mais l’armée libanaise est noyautée par le Hezbollah », détaille encore Mme Ferey. De même, la Finul peut, théoriquement, démanteler des dépôts de munitions du Hezbollah si elle a des informations sur une cache. « Mais la Finul a très peu de renseignements car elle coopère là encore avec l’armée libanaise, comme le prévoit son mandat », complète-t-elle.
Mi-octobre, l’armée israélienne a opportunément organisé un voyage de presse pour montrer plusieurs tunnels creusés par le Hezbollah débouchant près d’une position de la Finul. Une cache similaire à plusieurs centaines d’autres découvertes ces dernières semaines dans la zone, selon Tsahal. « Souvent, après des épisodes de tensions entre les Israéliens et le Hezbollah dans la zone sous mandat de la Finul, on pouvait assister aux allers et retours de camions envoyés par le Hezbollah pour reconstruire les infrastructures détruites et évacuer la terre de tunnels immédiatement reconstruits », témoigne pour sa part un ancien officier engagé au sein de la Finul. «
Cette situation nourrit l’idée auprès d’une partie de l’establishment militaire israélien que la Finul regarde beaucoup plus ce que fait Israël que le Hezbollah », reprend Mme Ferey. « L’idée que la Finul est au minimum complaisante avec le Hezbollah, c’est comme cela qu’Israël perçoit les choses (…). Les déploiements de la Finul ne sont toutefois pas faits au hasard, ils sont aussi pensés par rapport à des axes et des carrefours-clés, à côté de villages sensibles qui correspondent forcément aussi à des objectifs de l’armée israélienne », détaille un bon connaisseur du dossier.
Le plus gros défi, dans le contexte actuel, pour les soldats engagés au sein de la Finul, est d’éviter ce qui est considéré par un certain nombre d’observateurs, comme le scénario catastrophe. C’est-à-dire une situation où une position de la Finul serait prise pour cible et où elle répliquerait. « L’armée israélienne a des procédures, elle a l’habitude de la déconfliction, mais s’il y a une cible valable identifiée, et qu’elle est à proximité d’une position tenue par la Finul, elle ne se posera pas deux fois la question. Et s’il y a une mise en danger de ses troupes, elle évaluera d’abord les risques pour elles », reprend la même source.
Pour s’épargner les cas de conscience, l’évitement est donc la principale méthode actuellement employée par les contingents onusiens. « Notre mission n’est pas de nous jeter au milieu des combats », souligne à sa manière le colonel Maurin, en rappelant que la Finul n’a pas le droit d’employer la force et qu’il n’y a eu aucun tir français à ce jour. « Quand nous sommes à proximité des zones de combat, nous cherchons à établir une communication avec les deux belligérants pour qu’ils retiennent leurs coups le temps de notre mission », ajoute le militaire.
« Ce n’est pas une muraille »
La Finul n’est pas conçue pour empêcher Israël d’entrer au Liban ni pour limiter l’escalade entre les deux camps. « Ce n’est pas une muraille », rappelle le colonel Michel Goya, auteur de plusieurs ouvrages sur le Proche-Orient, dont L’Embrasement (Perrin-Robert Laffont, 240 pages, 19 euros). « De même, s’il y avait un mort aujourd’hui, rien ne dit que les choses seraient bousculées. La Finul, on peut lui tirer dessus, la bombarder [plus de 300 casques bleus sont morts depuis le début de la mission, en 1978], cela risque de ne susciter que des protestations. Peut-être que certains pays retireront leur contingent, mais aujourd’hui, les choses peuvent durer très longtemps. Tant qu’ils font mal au Hezbollah, les Israéliens continueront », estime, pessimiste, M. Goya.
Une des solutions actuellement recherchées par un certain nombre d’Etats contributeurs à la Finul, au-delà de l’évolution du mandat de la force onusienne, est un renforcement des capacités de l’armée libanaise, empêtrée de longue date dans des problèmes de sous-équipements, de formation et de recrutement. « La question qui se pose est celle d’un déploiement plus effectif et plus large des forces armées libanaises au sud du fleuve Litani, qui est la zone qui est aujourd’hui l’objet d’incursions et de frappes du côté israélien », a détaillé, mercredi, une source élyséenne. Pour y parvenir, des mesures de dotation d’équipement militaire sont notamment envisagées. Une enveloppe de 200 millions d’euros a été annoncée, jeudi, pour les forces armées libanaises, dans le cadre de la conférence sur le Liban, à Paris.