Par Ghazal Golshiri, Cécile Hennion, Louis Imbert et Madjid Zerrouky. Le Monde
RécitLes frappes d’Israël contre les installations nucléaires et l’appareil militaro-sécuritaire du pays consacrent la chute du réseau d’alliances tissé par Téhéran au Proche-Orient. Pensé après la guerre Iran-Irak des années 1980, pour sanctuariser le territoire de la république islamique, il a été incapable de dissuader Israël de passer à l’action.
Aux abords des tombes fraîchement creusées ont été posés les portraits de 26 jeunes Libanais. Ici, deux frères âgés d’une vingtaine d’années. Là, une autre fratrie, tuée le même jour que leurs cousins… Tous appartenaient à une unité territoriale du Hezbollah décimée, fin novembre 2024, alors qu’elle tentait de bloquer l’avancée d’une colonne israélienne. « Tant de destructions, tant de morts, est-ce que ça en valait vraiment la peine ? », s’interroge Hassan, dont le regard se perd au-delà du cimetière, en direction du village de Houla, sur la ligne de démarcation entre le Liban sud dévasté par la guerre et le nord d’Israël.
Les combattants avaient été enterrés, le 6 décembre 2024, à la faveur d’un cessez-lefeu précaire qui actait, de facto, la reddition du Hezbollah. Le mouvement chiite, créé en 1982 avec l’aide de gardiens de la révolution iraniens, est décapité. Son chef, Hassan Nasrallah, avait été tué le 27 septembre 2024, dans une frappe israélienne sur son quartier général ultrasécurisé de la banlieue de Beyrouth. La seule des milices issues de la guerre civile libanaise à n’avoir pas été démilitarisée en 1990, vénérée comme le « parti de la résistance » à Israël, mais aussi crainte et parfois détestée au fur et à mesure qu’elle avait étendu son emprise dans le pays, est sommée de désarmer. Une perspective encore inimaginable quelques mois auparavant.
L’offensive dévastatrice de Tel-Aviv contre le Hezbollah, qui a également pris les Iraniens de court, impuissants à le soutenir par crainte d’une riposte israélienne sur leur sol, a même instillé le doute chez les sympathisants du Parti de Dieu : et si Téhéran les avait sacrifiés pour s’éviter une guerre ouverte avec Israël ? L’« axe de la résistance », cette toile composée de mouvements armés, patiemment tissée par la République islamique de la péninsule Arabique jusqu'aux rives du Levant, était en réalité déjà affaibli. Mais la mise à genoux du Hezbollah, son pilier le plus ancien et le plus puissant à l'extérieur de l'Iran, a lancé le compte à rebours de l'anéantissement de sa stratégie de défense et d'expansion régionale. Plus isolé que jamais, Téhéran est, depuis le 13 juin, sous le feu d'Israël, déterminé à détruire méthodiquement les installations nucléaires et l'appareil militaro-sécuritaire iraniens.
ASSASSINAT DE SOLEIΜΑΝΙ
Par le passé, la République islamique avait pourtant fait preuve d'une ténacité remarquable face aux menaces de «fin officielle » proférées par la première administration de Donald Trump. Washington avait visé très haut, en assassinant le général iranien Ghassem Soleimani par un tir de drone, le 3 janvier 2020, près de l'aéroport de Bagdad. Le commandant de la force d'élite Al-Qods («Jérusalem ») n'était pas seulement le maître espion de la machine sécuritaire iranienne. Il était surtout le grand architecte de l'«axe de la résistance». Lui-même s'en était vanté auprès de David Petraeus, à l'époque où ce dernier était général américain quatre étoiles à Bagdad. «Général Petraeus, sachez que moi, Ghassem Soleimani, je contrôle la politique de l'Iran en Irak, au Liban, à Gaza et en Afghanistan », lui avait-il écrit dans un SMS, en 2008.
Les portraits du général mythifié sont encore omniprésents, des villages du Liban sud aux larges avenues de Bagdad, depuis sa mort en «martyr». Les représailles iraniennes étaient restées limitées: 12 missiles balistiques lancés sur des bases aériennes américaines en Irak. «Téhéran avait transmis, via ses intermédiaires irakiens, le lieu et l'heure de ses attaques, afin qu'aucun soldat américain ne soit tué, assure Adel Bakawan, spécialiste de l'Irak, directeur du European Institute for Studies on the Middle East and North Africa (Eismena), qui cite des sources au sein du gouvernement de Bagdad. Si la vengeance était indispensable en termes d'image et de respectabilité auprès de sa base militante, la réaction avait été soigneusement calculée par le régime iranien pour éviter l'escalade. » L'affrontement direct entre les Etats-Unis et l'Iran n'eut pas lieu, ni l'embrasement régional tant redouté.
Après l'abandon unilatéral américain de l'accord sur le programme nucléaire iranien en 2018, et les sanctions économiques de «pression maximale décidées par la première administration de Donald Trump, l'élimination du général Soleimani oblige le régime iranien à réévaluer sa position de puissance régionale. D'autant que le Moyen-Orient est en pleine reconfiguration. Fin 2020, la signature des accords d'Abraham sous l'égide américaine normalise les relations entre Israël et plusieurs pays arabes. Riyad et Washington entretiennent des relations au beau fixe, à peine troublées par l'affaire Khashoggi, ce journaliste critique du pouvoir, séquestré, torturé et assassiné, le 2 octobre 2018, au consulat saoudien d'Istanbul, par un commando des forces spéciales saoudiennes. Dans ce contexte, l'Iran se montre surtout soucieux de consolider son emprise régionale et signe, le 10 mars 2023, à Pékin, un accord avec son principal rival: l'Arabie saoudite. Plus de cent ans après les accords Sykes-Picot, qui avaient partagé le Moyen-Orient entre les puissances coloniales française et britannique, c'est au tour de Riyad et de Téhéran de se répartir la région en zones d'influence. La rébellion houthiste du Yémen, autre maillon de l' «axe de la résistance», qui, depuis sa prise de pouvoir à Sanaa en 2014, envoyait régulièrement des missiles sur les infrastructures pétrolières saoudiennes, cesse, du jour au lende-main, de s'en prendre au royaume.
L'Iran a retrouvé de l'aplomb. Sa confiance est même confortée depuis que la Russie a dégarni ses troupes en Syrie pour les envoyer sur le front ukrainien, lui laissant le champ libre sur le corridor stratégique reliant Téhéran à Beyrouth. Les accords d'Abraham, comme celui de Pékin, lui offrent du temps pour développer une arme nucléaire et son programme balistique. Considéré dans sa globalité, le Moyen-Orient pourrait presque apparaître à l'aube d'une phase inédite de stabilité à condition de faire fi des grands oubliés de ces accords, les Palestiniens et leur aspiration à un Etat, qui n'y ont même pas été mentionnés. En attendant des jours meilleurs, le régime de Téhéran a assigné le Hamas à un rôle secondaire: tenir Israël en alerte avec ses roquettes, loin des frontières nationales iraniennes.
Cet axe de la résistance», dissuasif avant tout, est le fruit du traumatisme de la guerre meurtrière que l'Irak de Saddam Hussein avait déclenchée en 1980, au lendemain de la révolution iranienne, avec l'appui de l'Occident (la France notamment avait prêté à l'Irak des avions Super-Etendard, avec missiles et pilotes). Il est composé d'entités multiformes (étatiques et non étatiques), disposant chacune d'un objectif local, mais qui ont toutes en commun de servir de forces par procuration, capables de harceler et d'encercler territorialement Israël. Il a permis à la République islamique de ne plus subir de guerre sur son sol.
TOURNANT DU 7-OCTOBRE
Ce rôle secondaire, Yahya Sinouar, le chef de la branche armée du Hamas dans la bande de Gaza, n'en veut plus. Certain de son autorité, il est peu porté à la concertation. «Il n'écoute que lui», résume Jamal Hweil, un cadre du Fatah, qui a partagé avec Sinouar une cellule de la prison israélienne d'Ofer. Alors que les prisonniers palestiniens de toutes factions négociaient ensemble leurs conditions de détention avec leurs geõliers, et travaillaient à l'élaboration d'une position commune pour surmonter les divisions palestiniennes qui avaient viré à la guerre civile, fin 2006, «Sinouar, lui, ne discutait pas, insiste Jamal Hweil. Il ordonnait et, voulant être obéi, il éludait la moindre question d'un revers de la main».
Après sa libération, à la faveur d'un échange de prisonniers conclu en 2011, Sinouar s'était rendu à Téhéran. «Le frère Yahya Sinouar a passé vingt-cinq ans de sa vie dans une prison israélienne», avait alors annoncé le dirigeant du Hamas, Ismail Haniyeh, en le présentant au Guide suprême devant les caméras de télévision. Ali Khamenei avait souri. Puis Sinouar s'en était retourné dans l'enclave palestinienne. Il connaît peu la République islamique, ses arcanes et ses réflexions stratégiques au long cours. Contrairement aux cadres du Hezbollah libanais, Sinouar ne s'est pas formé et n'a pas combattu aux côtés des gardiens de la révolution, jusqu'à faire corps avec eux. A l'inverse des chefs des milices chiites irakiennes, il n'a pas vécu en exil à Téhéran sous l'emprise de Ghassem Soleimani, leur agent traitant. Il n'a cure des tensions qu'avait provoquées le soutien du Hamas, un mouvement issu des Frères musulmans, au soulèvement populaire syrien de 2011 contre le régime de Damas, allié historique de Téhéran. La réconciliation officielle n'est survenue qu'en 2022, mais pour Sinouar, élu à la direction du Hamas à Gaza cinq ans plus tôt, l'Iran est le seul soutien qui vaille. Téhéran a formé ses ingénieurs à la confection de missiles Fajr qui constituent alors un redoutable arsenal.
Idéologue sans états d'âme, Yahya Sinouar a pris au pied de la lettre l'objectif lointain de I'«axe»: la libération de Jérusalem, cause panislamique des révolutionnaires iraniens. Il arrive que ce fantasme rejaillisse dans ses dis cours, quand il évoque avec emphase la libération de Jérusalem et la fin des temps. En mai 2021, ce «rêve» s'était fait un peu plus concret, quand le Hamas avait tiré une salve de roquettes vers la Ville sainte, alors que la police israélienne molestait des centaines de fidèles sur l'esplanade des Mosquées. L'«axe de la résistance » s'était agité, avec des rencontres, à Beyrouth, évoquant une «unité des fronts ». Et puis l'Etat hébreu paraissait affaibli. Sa société se divisait dans un cycle sans fin d'élections, ébranlant jusqu'à l'armée. Est-ce à ce moment que Yahya Sinouar a renoncé à ses tentatives de négocier une trêve de longue durée, en échange d'une levée du blocus israélien à Gaza? Le Guide suprême Ali Khamenei avait dénoncé cette initiative dès 2017. Mais le chef du Hamas a toujours poursuivi deux lignes parallèles: la négociation et la préparation militaire. Jusqu'aux attaques du 7-Octobre.
Ce grand affrontement avec Israël, que déclenchent les massacres perpétrés par le Hamas, l'appareil sécuritaire de Téhéran en a lui même rêvé. Le millénarisme n'est pas étranger à la République islamique, ni à la Force Al-Qods des gardiens de la révolution, ces combattants blanchis sous le harnais, qui n'ont pas quitté les fronts étrangers depuis les années 1980. A Téhéran, la lutte contre Israël est un acte de foi, mais c'est aussi un lobby. Radicaux et plus modérés rivalisent au sein du régime. Pourtant, au bout du compte, la République islamique a toujours été pragmatique: elle se préoccupe avant tout de survivre. Les violences du 7 octobre 2023 lui font aussitôt comprendre qu'elle était en danger, et elle est restée en retrait.
«Les Iraniens n'avaient aucun intérêt à déclencher cette guerre; l'initiative de Yahya Sinouar les a rendus furieux, assure Adel Bakawan. Présenter ensuite un "front uni" était une nécessité pour son image, mais l'axe de la résistance" a somme toute réagi de façon limitée. » Tout de même, entre le 7 octobre 2023 et le 1er mars 2024, les milices affiliées mènent environ 180 attaques, surtout à coups de roquettes, contre des installations américaines en Irak, en Syrie, et même en Jordanie.
Le Hezbollah libanais se livre en parallèle à un harcèlement sans relâche à la frontière israélienne et dans le nord de l'Etat hébreu, tandis que les houthistes du Yémen multiplient les tirs de missiles, parvenant à déstabiliser le trafic maritime en mer Rouge et, ainsi, à internationaliser le conflit de Gaza. Des actions malgré tout calibrées pour éviter l'affrontement direct. «Il y a eu un fond d'arrogance dans l'analyse des Iraniens: ils pensaient que seules les Arabes seraient ciblés, estime Hamzeh Hadad, chercheur irakien au Center for a New American Security, basé à Washington. Ils ont toujours considéré que les confrontations se feraient par l'intermédiaire de leurs relais régionaux. Mais ces derniers ont été affaiblis les uns après les autres: d'abord le Hamas, puis le Hezbollah et ensuite la Syrie. » Si la séquence ouverte par le 7-Octobre a ramené la question palestinienne sur le devant de la scène internationale, elle a mené l'ensemble des acteurs de l'« axe de la résistance » à la débâcle. Un an après le début de l'offensive israélienne à Gaza, Yahya Sinouar meurt, abattu par un drone dans une maison en ruine de Rafah.
FAIBLESSE DE SES RENSEIGNEMENTS
Pour l'Iran, le vrai coup de boutoir est la frappe israélienne contre son consulat, à Damas, le 1 avril 2024. Au moins huit gardiens de la révolution, qui y tenaient une réunion secrète, sont tués. Parmi eux figurent le général Mohammad Reza Zahedi, considéré comme le personnage-clé des relations de Téhéran avec le Hezbollah et le régime de Da-ma, ainsi que Hossein Amirollah, chef d'état-major des Forces Al-Qods en Syrie et au Liban.
« Il est alors devenu évident que le Hezbollah et ses missiles avaient perdu leur pouvoir de dissuasion; or, c'était précisément leur utilité, explique Vali Nasr, chercheur et historien américano-iranien, professeur en relations internationales et en études du Moyen-Orient à la Johns Hopkins School of Advanced International Studies, à Washington. L'Iran a compris qu'Israël ne se souciait plus du Hezbollah et qu'il était prêt à prendre des risques bien plus grands que par le passé. Raison pour laquelle l'Iran a décidé à cette époque de ne pas riposter via le Hezbollah, mais avec ses propres missiles.» Israël avait aussitôt répliqué en ciblant un site de la défense aérienne en Iran: un prélude à la guerre de juin 2025. Selon cet expert, dans le Moyen-Orient post-guerre de Gaza, face à un Israël devenu extrêmement sûr de lui, triomphaliste et sur lequel ni l'Europe ni les Etats-Unis n'ont plus d'influence, la stratégie iranienne des proxies était vouée à l'échec.
Fort de ce constat, Téhéran entreprend de se recentrer sur le développement de ses propres capacités. «L'intérêt iranien pour un accord nucléaire avec Trump s'inscrit en partie dans ce changement stratégique, assure M. Nasr. L'Iran devait réparer ses relations avec l'Europe et les Etats-Unis. Ainsi, lorsque le président Ebrahim Raïssi a été tué [dans un accident d'hélicoptère, le 19 mai 2024], le Guide suprême a tout mis en œuvre pour que son successeur [Massoud Pezeshkian] soit plus modéré. »
Outre la perte de lieutenants de premier plan, l'attaque du consulat est aussi révélatrice de la plus grande faiblesse de l'Iran: les renseignements. Dans ce domaine, Israël ne va cesser ensuite de prouver son immense supériorité. Le leader du Hamas, Ismaïl Haniyeh, est tué lors d'une frappe aérienne en plein cœur de la capitale iranienne, le 31 juillet 2024. Une attaque aux bipeurs pié gés neutralise des centaines de membres du Hezbollah, estropiés, défigurés ou tués sous le coup de leur explosion simultanée... Les hommes et les structures stratégiques de la République islamique et de ses alliés sem-blent n'avoir plus aucun secret pour Israël.
«Les Iraniens ont, depuis, acquis la conviction que les renseignements qui ont mené à la frappe sur leur consulat à Damas avaient été divulgués au Mossad par Bachar Al-Assad [alors président] en personne, assure M. Nasr. Et il ne s'est pas limité à cette attaque: il avait aussi entamé des pourparlers avec Israël par l'intermédiaire des Emirats arabes unis et de la Russie... » Téhéran n'a pourtant pas ménagé ses efforts pour maintenir au pouvoir le président syrien depuis le soulèvement popu-laire de 2011. Le régime baassiste à Damas n'est pas seulement un allié historique de Téhéran - Hafez Al-Assad avait soutenu l'ayatollah Khomeyni dans la guerre qui l'opposa à Saddam Hussein (1980-1988), c'est aussi un maillon logistique essentiel de l'axe pro-iranien. «La Syrie est l'anneau d'or de la résistance contre Israël», avait déclaré, en mars 2013, Ali Akbar Velayati, alors conseiller du Guide suprême pour les affaires étrangè res. Le pays permettait le transit d'armes à destination du Hezbollah, force principale de dissuasion à la frontière israélienne. «Si nous perdons la Syrie, nous ne pourrons plus tenir Téhéran », avait renchéri Mehdi Taeb, un clerc de l'entourage d'Ali Khamenei.
Pour en garder le contrôle, des milliers de miliciens chiites avaient accouru en provenance du Liban, d'Irak, d'Afghanistan, du Pakistan à la demande de la République islamique. Heshmatollah Falahatpishe, ancien président de la commission de la sécurité nationale et de la politique étrangère du Parle-ment iranien, a révélé en 2020 que près de 30 milliards de dollars (26 milliards d'euros) ont été dépensés à cet effet.
Mais alors que le président Al-Assad semblait durablement réinstallé dans son fauteuil, les relations avec ses sauveurs iraniens étaient devenues de plus en plus amères. Téhéran n'a, par exemple, jamais appuyé son ambition de reconquérir l'est de la Syrie, riche en hydrocarbures, sous contrôle de forces kurdes alliées à Washington. Un précédent avait sans doute échaudé l'Iran, toujours soucieux d'éviter une confrontation directe avec les Etats-Unis: une centaine de mercenaires russes avaient été tués dans des bombardements américains, en février 2018, alors qu'ils tentaient de s'emparer d'un champ pétrolier près de Deir ez-Zor.
Le sort de la Syrie est finalement scellé avec la fuite de Bachar Al-Assad à Moscou, le 8 décembre 2024. L'Iran a perdu son «anneau d'or», le cœur battant de l'«axe de la résistance ». «Même s'il n'est pas à l'origine du changement de régime en Syrie, Israël en a bénéficié, souligne l'historien Vali Nasr. Plus que le résultat des circonstances créées par le 7-Octobre, les Iraniens estiment qu'il s'agit essentiellement d'un coup d'Etat orchestré par les Turcs et de la conséquence des trahi-sons d'Assad. »
Avec la débâcle successive des supplétifs iraniens à Gaza, au Liban et en Syrie, l'axe de la résistance» s'est réduit comme une peau de chagrin. Même les houthistes du Yémen, pourtant éloignés du centre de gravité des combats, ont signé un cessez-le-feu avec les Etats-Unis en mai. L'Iran ne dispose plus que d'un seul rempart, à peu près intact, au-delà de ses frontières: l'Irak. Quatre-vingts organisations miliciennes chiites, soit 235000 combattants, répondant directement aux ordres du Guide suprême, ont été épargnées par la vindicte israélienne.
DE MAUVAISES OPTIONS
Pour l'Etat hébreu, qui n'a cessé d'asseoir sa supériorité dans le couloir aérien le menant à Téhéran, ces contingents ne représentent qu'une menace toute relative. Après la destruction de trois bases aériennes syriennes, en avril, pour empêcher leur prise de contrôle par la Turquie, aucun obstacle ne le sépare plus de Téhéran, et de la matrice de l'«axe de la résistance». En Irak, depuis l'invasion américaine, les radars sont orientés, contrôlés, filtrés par les Etats-Unis, sans que le gouvernement de Bagdad ait voix au chapitre. Par le ciel, la voie est libre, comme l'ont prouvé les bombardements massifs qui s'abattent sur l'Iran depuis le 13 juin.
Acculée, la République islamique n'a devant elle que de mauvaises options: la capitulation, ou une guerre d'usure dans laquelle les missiles répondent aux missiles, au risque d'entraîner les Etats-Unis dans la confrontation. Ce dernier scénario est celui que Téhéran cherche à éviter à tout prix, depuis la mort du général Soleimani. Les dernières bribes de l'«axe de la résistance », les milices chiites irakiennes, sont là pour servir de forces de dissuasion. Leur présence rappelle que les 2500 soldats de l'US Army stationnés dans le pays, la plus grande des ambassades américaines, à Bagdad, le plus grand des consulats américains, à Erbil, et la base aérienne de Harir sont à portée de leurs canons.
En théorie, du moins, car les lignes géopolitiques du Moyen-Orient, établies depuis plusieurs décennies, sont irrémédiablement brouillées. Au Liban, des responsables politiques du Hezbollah ont déclaré dans un communiqué que le mouvement ne participerait pas à la guerre. En Irak, des figures chiites aussi influentes que l'ayatollah Al-Sistani ont opté pour une condamnation morale des frappes israéliennes, sans appel explicite à l'action. Nul ne peut prédire ce qu'il adviendra du régime iranien, mais l'«axe de la résistance », qui a assuré sa survie durant quarante-cinq ans, appartient d'ores et déjà au passé.