De Gaza à l’Iran, les grands desseins de Donald Trump au Moyen-Orient

De Gaza à l’Iran, les grands desseins de Donald Trump au Moyen-Orient
الثلاثاء 4 فبراير, 2025

Alors que Benyamin Nétanyahou doit être reçu à la Maison Blanche mardi, le président américain a évoqué un déplacement « temporaire » ou « à long terme » de la population gazaouie, et s’est dit prêt à négocier avec l’Iran, ennemi absolu d’Israël.

Par Piotr Smolar (Washington, correspondant). Le Monde.

Dans le tourbillon des annonces, des menaces et des mises en scène qui ont marqué le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, le Moyen-Orient n’a pas été oublié. Il n’a fallu qu’une poignée de jours pour que Donald Trump donne des gages attendus de ligne pro-israélienne, dans la continuité de son premier mandat (2017-2021). Le premier dirigeant étranger attendu à Washington est d’ailleurs le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, mardi 4 février.

Mais Donald Trump s’est dit aussi disponible pour des négociations avec l’Iran, l’ennemi absolu de l’Etat hébreu. Le périmètre de ces négociations reste à préciser : s’agirait-il seulement du programme nucléaire iranien, dont l’avancée est alarmante, ou bien aussi de l’arsenal balistique et de la sécurité régionale ?

Pendant la campagne, Donald Trump a promu l’idée d’une « pression maximale » sur Téhéran, de nature économique, promettant d’empêcher le régime d’accéder à la bombe. Sa disponibilité à négocier est une ouverture notable mais fragile, venant de la part de celui qui avait retiré les Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action - JCPoA), en 2018, trois ans après la signature de ce dernier.

Pendant la campagne, Donald Trump a promu l’idée d’une « pression maximale » sur Téhéran, de nature économique, promettant d’empêcher le régime d’accéder à la bombe. Sa disponibilité à négocier est une ouverture notable mais fragile, venant de la part de celui qui avait retiré les Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien (Joint Com prehensive Plan of Action - JCPoA), en 2018, trois ans après la signature de ce dernier.

Dès la première semaine de son mandat, Donald Trump a marqué deux ruptures avec l’ancien président américain, Joe Biden. Il a supprimé les sanctions visant les colons israéliens coupables de violences en Cisjordanie. Il a aussi rétabli la livraison de bombes de près de 1 000 kg à l’armée israélienne, qui ont causé des ravages à Gaza. L’envoyé spécial de Donald Trump, Steven Witkoff, s’est aussi engagé en faveur de la mise en œuvre du cessez-le-feu au Liban, devant aboutir au retrait israélien, et de celui à Gaza, qui permet la libération au comptegouttes des otages. Il s’est rendu, le 29 janvier, à la périphérie de ce territoire, dans le couloir de Netzarim, avec l’armée.

L’impact du 7-Octobre
Donald Trump aimerait vite refermer le dossier de cette guerre, pour se consacrer à la normalisation tant désirée des relations entre l’Arabie saoudite et Israël. Il semble ainsi sous-estimer l’impact régional du 7-Octobre dans les pays de la région. « Gaza sera la première crise de politique étrangère de cette administration, estime Aaron David Miller, vétéran de la diplomatie américaine et expert au centre de réflexion Carnegie Endowment for International Peace, à Washington. Les négociations sur la deuxième phase du cessez-le-feu [entre Israël et le Hamas, entré en vigueur le 19 janvier] doivent s’ouvrir. Or, il est totalement fantaisiste d’imaginer que ce gouvernement israélien en respecte les termes, mette fin à la guerre et retire l’armée. La question centrale est celle des leviers de pression dont dispose Donald Trump sur Benyamin Nétanyahou. Il m’est difficile de concevoir qu’il utilise ceux que Joe Biden avait refusé d’employer pendant quinze mois, comme le gel ou le conditionnement de l’aide militaire. »

Les déclarations de Donald Trump au sujet de la population de Gaza ont retenu l’attention. Qualifiant ce territoire de « site de démolition », il a expliqué qu’il souhaiterait que l’Egypte et la Jordanie accueillent une partie de la population. Le roi de Jordanie, Abadallah II, est attendu à la Maison Blanche, le 11 février. « On parle d’un million et demi de personnes et on nettoie juste tout ce truc », a dit le président américain, le 25 janvier, évoquant un déplacement « temporaire » ou « à long terme ». Une telle approche, au mépris du propre souhait de cette population, ne tient pas compte des intérêts nationaux du Caire et d’Amman, qui ont rejeté avec la Ligue arabe cette suggestion, « sous toute forme, quelles que soient les circonstances ou les justifications », le 1er février. « Ils le feront, OK ? On fait beaucoup pour eux », répétait pourtant, la veille, le président américain. « C’est l’état d’esprit opportuniste d’un agent immobilier qui transforme tout en proposition d’affaires, note Aaron David Miller. Cette idée reviendra, car elle s’aligne parfaitement avec les désirs de la droite israélienne. Et ce, d’autant que le Hamas va survivre comme [force d’]insurrection capable d’intimider ou de coopter toute forme de gouvernance palestinienne, que ce soit un comité technocratique ou le retour de l’Autorité palestinienne. »

La tentation du « nettoyage » de la bande de Gaza est ancienne dans l’entourage de Donald Trump. Le « plan du siècle », présenté en janvier 2020, invitait à tourner la page des « narratifs anciens », jugés « contreproductifs ». Il faisait miroiter aux territoires palestiniens un avenir aussi brillant que celui de « Dubaï et Singapour », comme « centre régional de commerce ». En mars 2024, Jared Kushner, l’un des artisans de ce plan, était interrogé à l’université Harvard sur le potentiel de Gaza. Le gendre et exconseiller de Donald Trump expliqua que « les propriétés du front de mer pourraient avoir beaucoup de valeur », et que les Israéliens pourraient « déplacer les gens et nettoyer [le territoire] ».

La question iranienne constitue aussi un défi monumental pour Donald Trump. Celui-ci avait décidé de quitter l’accord sur le nucléaire iranien en parlant d’« horrible accord à sens unique ». Puis Joe Biden avait tenté, en vain, avec les Européens, d’obtenir son sauvetage, en étant accusé de faiblesse et de complaisance par les républicains. Aujourd’hui, voilà Donald Trump confronté à une réalité : l’Iran est plus proche que jamais de la bombe nucléaire. Mais le régime n’a pas d’appétit pour une confrontation ouverte.

Lors d’une rencontre, le 13 janvier, à Genève, avec les diplomates européens, les Iraniens ont clairement manifesté leur disponibilité pour des négociations. L’élection d’un nouveau président à l’été 2024, Massoud Pezeshkian, a été suivie par un affaiblissement géopolitique sans précédent depuis des décennies, en raison des coups portés par Israël au Hamas dans la bande de Gaza, au Hezbollah au Liban et, enfin, en Iran même, grâce à des frappes efficaces. En dehors des rebelles houthistes au Yémen, les couches successives de la sécurité iranienne et de ses sous-traitants au Moyen-Orient ont été atteintes.

La position en apparence ouverte de Téhéran s’accompagne d’une accélération du programme iranien, constaté par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). L’Iran dispose actuellement d’environ 200 kilogrammes d’uranium enrichi à 60 %, sachant que le niveau nécessaire pour sa militarisation est de 90 %, un seuil facilement accessible. Selon les experts, l’Iran pourrait disposer en moins de deux semaines d’assez de matière fissile pour équiper en théorie quatre ou cinq têtes nucléaires. Ce délai était de douze mois, lorsque l’accord sur le nucléaire iranien était pleinement mis en œuvre.

Economie iranienne en difficulté
« Ils appuient sur l’accélérateur », a déclaré Rafael Grossi, le directeur de l’AIEA, en marge du 55e Forum économique mondial de Davos (Suisse), qui s’est tenu du 20 au 24 janvier. L’intérêt iranien pour les négociations peut témoigner d’un appétit pour le processus luimême, davantage que pour sa conclusion. Téhéran n’a pas oublié qu’en janvier 2020, le président américain, lors de son premier mandat, avait ordonné l’assassinat du général Ghassem Soleimani, l’illustre commandant de la force Al-Qods du corps des gardiens de la révolution islamique.

« L’économie iranienne est aussi en grande difficulté ; une levée partielle des sanctions pourrait la soulager, souligne Ali Vaez, analyste au sein d’International Crisis Group. Certains, en Iran, considèrent que Trump a une capacité unique, celle de tordre le bras du Congrès pour imposer un accord avec l’Iran, ce qu’Obama n’avait pu faire et que Biden n’avait pas voulu faire. » Selon Ali Vaez, le régime iranien a toutefois deux problèmes : le premier est l’absence de canal direct de communication avec Donald Trump, « qui est entouré d’un écosystème hostile à un accord mutuellement bénéfique avec Téhéran » ; le second est la difficulté à définir une offre susceptible de l’intéresser, lui qui aime « les propositions simples et brillantes ».

Ce pessimisme est largement partagé chez les experts. « Je pense que les objectifs américains pour des négociations sont fortement irréalistes. Même si l’Iran est affaibli d’un point de vue géopolitique, il a bien plus de jetons de négociation sur le nucléaire, explique James Acton, spécialiste de la question au centre Carnegie. Je suis très sceptique sur le fait que les États-Unis puissent obtenir un meilleur accord que le JCPoA. Dans le monde réel, on devrait pourtant l’accepter, parce qu’on a “merdé” – il n’y a pas d’autre mot – en se retirant de l’accord. Pourquoi l’Iran nous croirait, si nous promettions une levée partielle des sanctions ? » En outre, l’expert ne croit pas dans le désir et la capacité de l’administration Trump à s’engager dans une longue négociation, très technique, sur le nucléaire iranien.

Pour l’heure, les Européens (Royaume-Uni, France, Allemagne), autres signataires de l’accord sur le nucléaire iranien avec la Russie et la Chine, s’inscrivent dans une trajectoire qui est celle du « snapback » : une réintroduction des sanctions internationales contre l’Iran, en raison du nonrespect de ses engagements. Ils ont jusqu’au 18 octobre pour en décider, en vertu d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.

L’image du candidat de la paix
« Il y a un alignement entre Européens et Américains, veut croire un diplomate français, face aux choses inédites que font les Iraniens, la quantité d’uranium enrichi, les multiples centrifugeuses dernier cri ou l’absence de coopération avec l’AIEA. » L’analyste Ali Vaez est sceptique. « Il y a une apparence d’engagement avec les Européens, mais si quelque chose bouge, ce sera sans doute de façon bilatérale, entre les Etats-Unis et l’Iran. »

Et en cas d’impasse rapide ? Le président américain a fait campagne en se présentant comme le candidat de la paix dans le monde. Il n’a aucun appétit pour un engagement de son pays dans un nouveau conflit. Mais l’option militaire envisagée par Israël contre Téhéran pourrait ressurgir. La tentation d’une sous-traitance apparaîtrait alors à Washington.

« Benyamin Nétanyahou a ses raisons pour envisager une opération contre l’Iran, dit James Acton. Il est possible que Donald Trump lui donne le feu vert, il est moins probable que les Etats-Unis participent. La question très intéressante est celle du site souterrain [d’enrichissement d’uranium] de Fordo [dans le nord de l’Iran], sous la montagne. Israël n’est probablement pas en mesure de le détruire, à moins d’avoir d’incroyables capacités cyber. Mais les Etats-Unis ont développé une bombe, le Massive Ordnance Penetrator, spécifiquement conçue pour ce genre de cible. Washington transférerait-il cette arme, avec l’avion nécessaire pour l’utiliser ? »