De l’Ukraine au Moyen-Orient, l’ONU face à son impuissance

De l’Ukraine au Moyen-Orient, l’ONU face à son impuissance
الخميس 26 سبتمبر, 2024

Par Isabelle Lasserre, Le Figaro

ANALYSE - Les guerres d’Ukraine et de Gaza ont servi d’accélérateur à la contestation, par les pays du Sud, de l’ordre international dominé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale par les Occidentaux.

Rarement une Assemblée générale de l’ONU aura autant révélé ses divisions et son impuissance, voire son incapacité à faire face aux défis qui secouent la gouvernance mondiale. « La majorité des pays du Sud ne soutiennent pas la vision des États-Unis au Moyen-Orient et ne sont pas derrière Israël… Et puis la Chine et la Russie sont en embuscade dans la guerre d’influence mondiale » : Pour son dernier discours devant l’Organisation des Nations unies, Joe Biden a acté la disparition du système international issu de la Seconde Guerre mondiale en même temps qu’il a reconnu l’affaiblissement des États-Unis comme leader de l’ordre mondial.

Le président américain aurait pu prononcer les mêmes mots sur l’Ukraine: l’invasion russe de février 2022 a souligné l’inefficacité de ce qui était jusque-là l’organe de décision le plus important du monde, comme l’échec des États-Unis à imposer leur vision du conflit hors de l’Europe. L’ONU est devenu inaudible sur les grands conflits. Ellea été incapable de prendre des mesures collectives suffisamment efficaces pour arrêter la guerre russe en Ukraine. Elle n’a pas réussi à mettre un terme à la guerre civile au Soudan. Son système de gouvernance a été mis à rude épreuve par les conflits au Moyen-Orient.

Elle oublie parfois ses valeurs. En juin, lors d’une réunion sur l’Afghanistan organisée au Qatar, l’ONU a cédé aux conditions des talibans, qui exigeaient qu’elle se tienne sans les femmes et sans que soit même évoqué leur sort, alors qu’elles sont victimes d’un «apartheid» dans leur pays… Selon l’ONU. L’organisation reste également silencieuse sur le sort des femmes iraniennes. En1960, de Gaulle raillait le «machin» qui avait succédé à la Société des Nations. Aujourd’hui, les rapides changements de rapports de force dans le monde menacent l’ONU dans ses fondements mêmes.

Miné par les divisions de ses cinq membres permanents, les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, le Conseil de sécurité de l’ONU à systématiquement échoué dans sa capacité à mettre fin aux grands conflits, au point qu’il ressemble aujourd’hui davantage à un théâtre politique où s'affrontent les grandes puissances qu’à un organe de décision. La Chine et la Russie utilisent depuis longtemps leur veto pour protéger leurs intérêts ou régler leurs conflits avec leurs voisins.

Mais, depuis la guerre en Ukraine, qui comme le conflit à Gaza a servi d’accélérateur à l’effondrement du système international, ces deux pays bloquent toutes les actions globales aux Nations unies. Moscou a cessé toute coopération avec l’Occidentsur des sujets jadis considérés comme étant des zones d’intérêts mutuels nécessitant des actions de coopération, comme les efforts pour entraver les avancées du programme nucléaire iranien. La Russie bloque les initiatives américaines pour imposer de nouvelles sanctions contre les milices qui font du nettoyage ethnique au Soudan. La Chine entrave les tentatives d’établir une mission de maintien de la paix à Haïti. Pékin et Moscou s’opposent à la création d’un nouveau traité de l’ONU contre les crimes contre l’humanité. «Le pire pour nous est-il de ne pas réussir à faire voter des textes, ou de faire voter des textes qui ne servent à rien ?», résumait récemment un haut diplomate français en parlant de l’action de son pays au Conseil de sécurité…

Les différentes agences de l’ONU ne se portent guère mieux. La principale organisation d’aide aux Palestiniens, l’UNRWA, est dans le collimateur d’Israël depuis que plusieurs de ses employés ont été accusés d’implication dans les pogroms perpétrés le 7 octobre par le Hamas contre l’État hébreu. La Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale sont elles aussi considérées comme partiales par les Américains et les Israéliens pour leurs actions menées contre Israël, à la suite des atrocités perpétrées ces derniers mois par Tsahal contre des civils à Gaza. Les agences de l’ONU peinent de plus en plus à produire des solutions. Elles ne sont plus que le reflet des divisions du monde.

Les blocages du Conseil de sécurité étaient déjà là règle pendant la guerre froide. Mais l'impuissance de l’ONU reflète aujourd’hui l’accélération des changements du monde et le fossé grandissant qui oppose le «Sud global» à l’«Occident collectif», notions imparfaites, mais qui révèlent néanmoins la réorganisation du système international. Dominé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale par un Occident en perte de vitesse, il est ouvertement contesté par les pays du Sud, qui veulent transformer leur poids économique grandissant en influence politique. Au sein de ces «Sud global», plusieurs pays ont pris la tête d’une confrontation ouverte avec l’Occident, visant à redistribuer la puissance au détriment des États-Unis et de l’Europe: la Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord.

Porteurs d’un autremodèle, celui d’une gouvernance autoritaire, ils accusent l’Occident de mener une politique de «deux poids deux mesures» dans les grandes crises internationales. Ils montrent du doigt les États-Unis et leurs votes pour protéger Israël à l’ONU. Désireux de «corriger l’histoire», ils manifestent leur mépris de la charte des Nations unies, des références universelles, des systèmes basés sur les droits de l’homme et la démocratie. Les liens de ces puissances révisionnistes ont été resserrés par les guerres en Ukraine et au Proche-Orient. Mais la désaffection à l’égard des principes de l’ONU avait déjà été encouragée par DonaldTrump, dont le mépris des organisations internationales et des systèmes d’alliances multilatérales, avait contribué à décomplexer la parole des pays émergents. C’est l’ancien président américain, en effet, qui avait retiré son pays de l’accord sur le climat de Paris et de l’accord sur le nucléaire iranien.

Les nouveaux concurrents des pays occidentaux multiplient les initiatives ad hoc hors du cadre de l’ONU. Certains ouvrent des pourparlers avec les talibans ou esquissent des plans de paix pour l’Ukraine. D’autres tentent de consolider le pouvoir nouveau du groupe des Brics, qui essaient de constituer un contre pouvoir face aux Occidentaux. «Ce n’est plus à l’ONU que les choses se passent. C’est en partie notre faute: nous n’avons pas su réformer la gouvernance mondiale», reconnaît un responsable français.

La Société des Nations n’avait pas survécu à la Seconde Guerre mondiale. L’ONU réussira-a-t-elle à se transformer suffisamment pour résister à celles d'Ukraine et du Proche-Orient? Dans un cas comme dans l’autre, le nouveau rapport de force mondial en train d’être dessiné par le XXIe siècle, sera moins favorable à l’Occident.