En déclarant que les Taïwanais ne donnaient pas assez aux Etats-Unis pour assurer leur défense, le républicain prépare l’avenir
Claude Leblanc, L'Opinion
Les faits - Depuis plusieurs semaines, les Chinois manifestent de plus en plus fermement leur présence autour des eaux taïwanaises, allant jusqu’à nier le droit à Taipei d’administrer ces zones. Dernier face-à-face en date, un navire de recherche chinois s’est approché à moins de 20 milles nautiques du comté de Yilan, au nord-est de Taïwan, le 7 juillet, avant d'être mis en garde par les garde-côtes taïwanais.
Après la déclaration de Donald Trump selon laquelle Taïwan devrait payer les Etats-Unis pour sa protection contre la Chine, le Premier ministre Cho Jung-tai a déclaré que Taipei « travaille dur » pour entretenir de bonnes relations avec Washington malgré l’absence de liens formels, ajoutant que Taïwan renforçait ses propres capacités à se défendre. Si les Américains ne reconnaissent pas officiellement Taïwan, ils sont son principal partenaire en matière de sécurité. Ils vendent aux Taïwanais des milliards de dollars d’armes en vertu d’obligations législatives visant à lui fournir les moyens de se défendre. Ces ventes ont nettement augmenté sous la présidence de Trump. Toutefois, après avoir déclaré à Bloomberg que les Etats-Unis ne sont « pas différents d’une compagnie d’assurance » et que Taïwan « ne nous donne rien », le candidat républicain à la Maison Blanche a ainsi suggéré que son soutien aux Taïwanais n’est pas garanti.
Tout en soulignant l’agressivité militaire accrue de la Chine à l’égard de Taïwan, il s’est demandé pourquoi les Etats-Unis servaient d’« assurance » aux Taïwanais alors que, selon lui, ils ont fait main basse sur les activités américaines dans le domaine des semi-conducteurs. Ces remarques ont tout de suite fait chuter le cours en Bourse de TSMC, le principal fabricant de puces taïwanais, tandis que celui de GlobalFoundries et Intel a atteint leur plus haut niveau depuis six mois. Donald Trump est coutumier de ce type de déclarations sur la sécurité. Lors de la campagne pour la présidentielle de 2016, il avait tenu des propos similaires à l’égard notamment du Japon et de la Corée du Sud, provoquant une profonde inquiétude du côté des deux principaux alliés des Etats-Unis en Asie orientale. Cela avait même conduit Shinzo Abe, alors Premier ministre, à faire un détour par New York pour rencontrer, en novembre 2016, le président élu pour obtenir de lui des garanties sur l’engagement américain à l’égard du Japon.
A l’époque, il avait proité des craintes nippones pour rouvrir des dossiers et obtenir de Tokyo quelques concessions commerciales et surtout un alignement des Japonais sur sa politique chinoise. Le cas de Taïwan est plus compliqué dans la mesure où il n’existe aucune relation diplomatique entre Washington et Taipei, mais Donald Trump a été le premier à agiter la carte taïwanaise pour créer un nouveau rapport de force avec Pékin. Sa conversation téléphonique en décembre 2016 avec Tsai Ingwen, élue quelques mois auparavant à la présidence de Taïwan, avait été son premier déi lancé à Xi Jinping avec qui il ne s’était entretenu que deux mois plus tard. Huit ans plus tard, le républicain, qui cherche un nouveau mandat lors de l’élection du 5 novembre, continue de gérer les questions internationales comme il l’a toujours fait, à la manière d’un homme d’afaires plutôt qu’à la manière d’un homme d’Etat. Ses propos, selon lesquels Taïwan aurait pris « presque 100 % » de l’industrie américaine des semi-conducteurs, participent de sa volonté de mettre ses partenaires dans une situation inconfortable ain de pouvoir, le moment venu, gagner quelques faveurs taïwanaises dans ce secteur stratégique. «
Silicon Island ». Alors que TSMC, le premier producteur mondial de puces, dépense des milliards de dollars pour construire de nouvelles usines à l’étranger, dont 65 milliards de dollars pour trois usines en Arizona, l’entreprise, qui produit près de 90 % des semi-conducteurs les plus perfectionnés, affirme que la majeure partie de sa production, en particulier celle des puces les plus avancées, restera à Taïwan. Le gouvernement taïwanais est sur la même longueur d’onde. « La première priorité est Taïwan, la deuxième priorité est Taïwan et la troisième priorité est Taïwan », a déclaré, le 4 juin, C.C. Wei, le patron de TSMC. Dans son discours d’investiture du 20 mai, William Lai, le nouveau président taïwanais, a qualiié Taïwan de « Silicon Island » et a promis qu’il s’eforcerait de s’assurer une avance dans le domaine des technologies de l’information et de la communication. Face à des Taïwanais qui qualiient cette industrie, laquelle représente 13 % de leur PIB et 40 % de leurs exportations, de « montagne sacrée qui protège la nation », Donald Trump, en businessman avisé refusant toute dépendance technologique, sait que sa déclaration sur la sécurité de l’île peut lui permettre de préparer le terrain pour des négociations ultérieures. En même temps, en ayant fait de Taïwan un élément de la sécurité nationale des Etats-Unis pendant son premier mandat, le candidat sait très bien qu’il ne lâchera pas les Taïwanais face à une Chine qui renforce ses activités autour de ce territoire.