DÉCRYPTAGE - Mise sous pression par Donald Trump, la République islamique cherche à s’en remettre à son allié russe. Un pari incertain tant la méfiance est ancienne entre Téhéran et Moscou.
Par Georges Malbrunot, Le Figaro
Affaiblies diplomatiquement et menacées par Israël et les États-Unis, les autorités iraniennes ont les ressortissants étrangers dans le collimateur. « Ce n’est pas le moment de se promener à Téhéran, le pouvoir est à cran », reconnaît un Franco-Iranien, qui n’y va plus. « C’est extrêmement risqué », confirme le chercheur irano-allemand Adnan Tabatabai basé à Berlin, qui, lui, s’y rend encore.
Malgré les avertissements de l'ambassade de France selon lesquels «tout Français en ville est un otage potentiel», une poignée de Franco Iraniens vont et viennent encore en République islamique. Certains ont eu la désagréable surprise de dénicher un mouchard sous leur voiture.
«C'est pour cela que le calendrier de la libération d'Olivier Grondeau (le 17 mars) et d'un autre Français, assigné jusque-là à résidence à Téhéran, paraît incongru», relève un expert de la relation franco-iranienne. «Les Iraniens étant, selon lui, remontés contre les Occidentaux, cela n'a aucun sens de les avoir relâchés sans contrepartie importante, mais la France a compris en janvier après la médiatisation de sa détention par Grondeau lui-même qu'elle devait offrir quelque chose de conséquent aux Iraniens, alors que, dans le même temps, Rome et Berlin parvenaient à sortir certains de leurs otages. Paris nie tout marchandage. Interrogé, un diplomate iranien confie que «ces libérations sont le résultat d'un accord avec la diplomatie et les services français ». Quel est son contenu? Silence radio de part et d'autre.
Alors que la France compte encore deux otages, Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus, depuis 22 mois, dans des conditions difficiles, une chose parait sûre. Dans son face à face avec les États-Unis et les Européens sur le nucléaire et sa posture déstabilisatrice du Moyen-Orient, l'Iran utilisera son paquet d'une dizaine d'otages occidentaux comme levier pour arracher des concessions. Mais à Téhéran, prévient l'expert, la situation est tendue en raison des pressions multiples qui s'accumulent. Les Iraniens ont reçu un ultimatum de Donald Trump pour négocier sous deux mois. Ce qui a engendré une tension entre le gui de suprême (Ali Khamenei, NDLR) et le président de la République (Mahmoud Pezechkian). Le premier a dit au président, qui veut négocier: "tu ne bouges pas sous la pression". D'autre part, même si la révolte est étouffée, elle peut repartir sous n'importe quel prétexte. Et, enfin, l'économie va très mal avec une hyperinflation et une monnaie qui ne cesse de dévisser. Lundi, Abbas Araghchi, le ministre des Affaires étrangères, a déclaré que l'Iran était prêt à des négociations indirectes avec les États Unis. Mais vendredi, le numéro un du régime, Ali Khamenei, avait rejeté la proposition de dialogue de Donald Trump, dénonçant les menaces qui «ne mèneraient nulle part.
Les signaux mixtes envoyés par l'Iran répondent aux messages également différents émis à Washington. Si Donald Trump et son émissaire spécial, Steve Witkoff, répètent que les États-Unis ne veulent pas la guerre, Michael Waltz, le conseiller national à la sécurité, affirme, lui, que Washington veut un dé mantèlement complet du nucléaire iranien - c'est-à-dire zéro enrichissement d'uranium position maximaliste épousée par Benyamin Netanyahou, favorable à des frappes contre les ins-tallations nucléaires iraniennes.
«La position de Waltz est une capitulation pour le guide suprême, explique l'expert. Ce genre de négociations est inacceptable pour un idéologue de 85 ans qui s'est déjà fait avoir en 2018 par Trump lorsqu'il s'est retiré de l'accord international sur le nucléaire de 2015. En plus, ajoute cette source, les Gardiens de la révolution sont sur la même ligne que le gui-de suprême ». Certes, le président modéré élu en juin, son ministre des Affaires étrangères et le camp réformateur sont pour des négociations, mais ils ne sont pas décisionnaires sur ce dossier géré par le Conseil suprême de sécurité nationale.
Sous la pression, l'Iran ne semble avoir plus d'autre choix que de s'en remettre à ses partenaires chinois et russes. Mais là aussi, la partie est délicate. L'Administration Trump a commencé d'exercer une pression sur la Chine, qui enlève les trois quarts du pétrole iranien en échange de livraisons de marchandises multiples. La semaine dernière, une raffinerie chinoise accusée de transformer illégalement du pétrole iranien a été sanctionnée par le Trésor américain. «Les États-Unis montent actuellement des dossiers pour blacklister non seulement les flux, mais aussi les bateaux qui servent au transport et tout le circuit bancaire afférent», estime une source diplomatique dans le Golfe. Alors qu'en 2024 l'Iran parvenait à écouler en Chine plus de deux millions de barils chaque jour, l'Administration Trump veut assécher le flux à moins de 200000». Une mauvaise nouvelle qui s'ajoute à la perte de son allié syrien à qui Téhéran envoyait plusieurs centaines de milliers de barils par jour, et l'affaiblissement du Hezbollah, son principal relais au Moyen-Orient, décapíté à l'automne par Israël.
Sur l'«Axe de la résistance » iranien contre les États-Unis et Israël, il ne reste plus que les rebelles yéménites houthistes bombardés actuellement par les États-Unis et des milices chiites irakiennes. «L'Irak est le dernier terrain de jeu de l'Iran», souligne le diplomate. Mais le premier ministre al-Soudani s'oppose à l'entrisme iranien, et, le 8 mars, l'Administration Trump n'a pas renouvelé la dérogation accordée à Bagdad depuis 2018 d'acheter de l'électricité iranienne.
Face à un étau qui se resserre, Téhéran lorgne du côté de la Russie, avec laquelle l'Iran s'est rapproché à la faveur de la guerre en Ukraine, lui livrant notamment des drones. «Les Iraniens veulent mettre les Russes de leur côté pour que Vladimir Poutine, une fois la guerre en Ukraine terminée, joue les courtiers entre eux et Donald Trump», estime l'expert précité. Pari incertain tant la méfiance est ancienne entre Téhéran et Moscou, même si les deux pays ont signé en janvier un accord de partenariat stratégique. Pour Adnan Tabatabai, « cet accord ne constitue pas une bascule. On a entendu que des avions de combats russes Sukhoi avaient été livrés à Téhéran mais on n'en a pas la preuve. On reste dans le mariage d'intérêts purs». Acculé, Ali Khamenei pourra-t-il refuser la négociation avec Donald Trump?