Critique historique du bitcoin, l’ancien président américain a effectué un virage à 180 degrés et se pose désormais en soutien inconditionnel du secteur.
Par Damien Leloup. Le Monde
Juillet 2019. Alors président des Etats-Unis, Donald Trump étalait très publiquement son mépris pour les cryptomonnaies : « Je ne suis pas fan du bitcoin et des autres cryptomonnaies, qui ne sont pas des monnaies, et dont la valeur est très volatile et fondée sur du vent, écrivait-il sur X. Les cryptoactifs non régulés facilitent les comportements illégaux, dont le trafic de drogue. » Une position partagée, à l’époque, par le reste de son gouvernement. Trois jours plus tard, son ministre de l’économie, le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin, présentait d’ailleurs un projet de loi pour durcir l’encadrement des cryptoactifs.
Mais en cinq ans, le ton a totalement changé. Donald Trump est attendu en fin de semaine à la Conférence Bitcoin de Nashville (Tennessee), où il doit prendre la parole. Le candidat républicain à la présidentielle 2024 se présente désormais comme le champion des cryptoactifs, en opposition à un Joe Biden « dont la haine du bitcoin ne fait qu’aider la Chine, la Russie et la gauche radicale ». Une affirmation qui pourtant n’a guère de sens – la Chine a globalement interdit les cryptoactifs, lesquels ne sont pas non plus vraiment populaires auprès de la gauche radicale, qui les considère comme un outil spéculatif et un symbole du capitalisme le plus brut.
Sur ce sujet, le revirement du candidat républicain est très récent. En février de cette année, il avait adouci son ton pour parler du bitcoin, mais évoquait encore la nécessité d’une forme de régulation. Et c’est seulement à partir du mois de mai et dans son discours à la convention nationale du Parti libertarien – pour lequel les cryptomonnaies sont un sujet important – que le candidat républicain s’est affiché comme un soutien inconditionnel des cryptoactifs. « Je suis très positif et ouvert sur les entreprises de cryptomonnaies, écrit-il sur Truth Social, le réseau social dont il est fondateur, peu avant son intervention, et pour toutes les choses liées à cette industrie émergente. Notre pays doit être le leader dans ce domaine. »
« Comprend-il quoi que ce soit ? »
Comment ? Les quelques éléments de programme distillés par Donald Trump à ce sujet sont un mélange étonnant. Il a repris le verbatim des demandes-clés des défenseurs et des lobbys des cryptoactifs, comme l’abandon de tout projet de dollar numérique ou la défense du « droit à la conservation auto-hébergée » (non-custodial). Cette appellation technique désigne le fait de conserver ses cryptoactifs dans un hébergement personnel, en ligne ou hors ligne, et non sur une grande plate-forme, comme Binance ou Coinbase. En pratique, ce droit permet aussi d’échapper plus facilement aux contrôles fiscaux et antiblanchiment de plus en plus fréquemment lancés par les autorités américaines auprès de ces dernières.
Mais l’ancien président a aussi ajouté des propositions de mesures toutes personnelles, annonçant, par exemple, qu’il voulait que « tous les bitcoin restants soient fabriqués aux USA !!! Cela nous aidera à être dominants dans l’énergie !!! ». Une idée absurde : le système de « minage » des bitcoins (c’est-à-dire de leur création sur le réseau) est par nature décentralisé, et l’intérêt de les « miner » sur un territoire national dépend de nombreux facteurs, dont les prix de l’énergie ou le cours du cryptoactif.
Un jeton MAGA
A plusieurs reprises, les déclarations de l’ancien président ont laissé planer le doute sur sa compréhension réelle du secteur. « Comprend-il quoi que ce soit au fonctionnement des cryptomonnaies ? », s’interrogeait ainsi à la mi-juin le magazine américain The New Republic.
Que s’est-il passé pour que Donald Trump change aussi radicalement d’opinion ? D’abord, les cryptomonnaies sont devenues plus populaires avec le temps. Le système économique et social américain encourage fortement les particuliers à investir en Bourse ou dans des fonds de placement, en raison des indemnisations comparativement faibles des retraites et du coût des soins. Ces dernières années, de nombreux citoyens ont diversifié leur épargne en y ajoutant des cryptoactifs : d’après un rapport récent de la Réserve fédérale américaine (FED), 7 % des Américains adultes – et donc autant d’électeurs potentiels – possédaient des cryptoactifs en 2023.
Ensuite, l’ancien président a pu constater que les cryptoactifs, même avec leur valeur volatile, pouvaient lui rapporter gros : le jeton MAGA, qu’il n’a pas lancé mais dont il détient un portefeuille assez important, a vu sa valeur multipliée par près de 50 cette année, aiguillonnée notamment par… les déclarations pro-cryptoactifs du candidat Trump.
Il a également lancé ces dernières années plusieurs collections de NFT (« objets » numériques rendus uniques de par leur inscription dans une blockchain), au succès limité, et son site de campagne accepte depuis le printemps les donations en cryptomonnaies. Avec un impact modeste : environ 1 % des dons reçus par son site de campagne ont été faits par ce biais, selon le Wall Street Journal.
L’intérêt nouveau de Donald Trump pour les cryptomonnaies est aussi lié à l’évolution de ses rapports avec la Silicon Valley. En 2019, ses critiques visaient le bitcoin mais aussi et surtout un autre cryptoactif, depuis enterré : la libra, projet porté par Facebook. Ces attaques étaient avant tout politiques. Même avant que le premier réseau social aux Etats-Unis ne bloque son compte après l’assaut du Capitole, en janvier 2021, l’ex-président américain s’était engagé dans une croisade contre Facebook et son patron, Mark Zuckerberg, qu’il accusait – sans preuve – de « censurer » les conservateurs sur ses réseaux sociaux. Et plus généralement, le président américain ne cachait pas son mépris pour une Silicon Valley très largement démocrate.
Depuis, la situation a drastiquement changé. Elon Musk, grand défenseur des cryptoactifs et nouvellement soutien officiel de Donald Trump, a racheté Twitter, devenu X ; les plus hauts responsables de firmes majeurs de capital-risque de San Francisco ont pris position en faveur du candidat républicain ; et pour la viceprésidence, Donald Trump a fait le choix de J. D. Vance, considéré comme très « pro-crypto » et très bien introduit chez les financiers de la Silicon Valley. Un choix salué par de nombreux entrepreneurs du secteur.
Reste qu’au sein de l’écosystème cryptoaméricain, Donald Trump ne convainc pas tout le monde. A commencer par l’influent créateur de l’ether, Vitalik Buterin, qui a publié le 17 juin un long texte incitant à « ne pas choisir pour qui vous votez en fonction de qui est “pro-cryptos” ». « Faire cela, c’est prendre le risque d’aller à l’encontre des valeurs qui vous ont amenés vers les cryptos », écrit-il, avant de publier une photo où on l’aperçoit, assis à une conférence aux côtés de Vladimir Poutine, avec cette légende : « Moi et Vladimir Poutine en 2018. A l’époque, beaucoup de gens dans le gouvernement russe se disaient “très ouverts aux cryptos”. »