Donald Trump : derrière son plan pour Gaza, un projet géopolitique ambitieux ?

Donald Trump : derrière son plan pour Gaza, un projet géopolitique ambitieux ?
الاثنين 12 مايو, 2025

Derrière le souhait délirant du président américain, qui se rend à Riyad le 13 mai, de transformer l’enclave en "riviera", se cacherait une volonté de concurrencer les "nouvelles routes de la soie" chinoises.

Par Stéphane Amar (à Jérusalem), avec Alexandra Vardi. L'Express.

La courte vidéo a fait un buzz planétaire grâce notamment au partage par Donald Trump sur son réseau Truth Social. Générée par l'intelligence artificielle, elle fantasme une bande de Gaza métamorphosée en pays de cocagne, à cheval entre Dubaï et Las Vegas. Pluie de dollars, gratte-ciels rutilants, créatures de rêve en bikini et statues dorées du président américain. En aperçoit même Donald Trump et Netanyahou sirotant un cocktail sur un transat au bord de la piscine d'un hôtel de luxe. Et Elon Musk se délectant d'un houmous-pita. Diffusé quelques jours après la sortie de Donald Trump sur l'avenir de la bande de Gaza - le président américain avait proposé de transformer le territoire sinistre en "riviera" après en avoir délogé les Palestiniens -, ce clip délirant a provoqué un torrent de sarcasmes et de réactions indignées .

Et si Donald Trump, habitué des déclarations fracassantes, ne plaisantait pas et comptait réellement mettre à exécution ses projets pour Gaza ? En Israël - où le président américain jouit d'un solide capital de sympathie, y compris à gauche -, certains sont convaincus qu'il a en tête une vision stratégique plus large. "Le plan de Trump s'inscrit dans le vaste projet de réseau d'infrastructures visant à relier l'Inde à l'Europe en passant par le Proche-Orient", assure le politologue proche du Likoud, Mordechaï Kedar, à Jérusalem. Et de poursuivre : "Dans cette perspective, Gaza pourrait constituer une ouverture idéale sur la Méditerranée. Le territoire possède un littoral de quarante kilomètres de long. C'est l'espace nécessaire pour construire un port international avec les logements, les bureaux et les hôtels nécessaires. Ni le port d'Ashdod ni celui de Haïfa ne peuvent offrir de telles conditions."

Le réseau d'infrastructures auquel cet expert fait allusion porte un nom : l'IMEC pour India-Middle East-Europe Economic Corridor . Conçu comme un itinéraire concurrent aux "nouvelles routes de la soie" chinoises, il obéit au même principe : un enchaînement de voies ferrées et de ports à grande capacité destiné à favoriser le commerce entre les continents asiatiques et européens. Giorgia Meloni , qui a retiré son pays des nouvelles routes de la soie chinoise, n'a pas de mots assez laudateurs pour ce projet, qualifiée "d'initiative cruciale" pour l'avenir de son pays. Annoncé lors du sommet du G20 à New Delhi en septembre 2023, l'IMEC a été suspendu la même année à cause de la guerre qui ensanglante le Proche-Orient depuis les attentats du 7 octobre contre l'Etat hébreu. Mais il n'a pas été abandonné.

Israël s'apprête à réoccuper totalement la bande de Gaza
Israël, avec son double accès à la mer Rouge et à la Méditerranée, se situerait à l'épicentre de ce réseau. Le conglomérat indien Adani a d'ailleurs acquis en 2022, le port de Haïfa, le plus grand du pays, au nez et à la barbe du groupe chinois SIPG qui avait quasiment conclu la vente avec les Israéliens. Les Etats-Unis avaient alors exercé de fortes pressions sur Israël pour empêcher la Chine de disposer de ce débouché sur la Méditerranée. Les Américains entendaient réserver ce port très stratégique pour l'IMEC à leur allié indien, leur principal partenaire dans leur guerre commerciale contre la Chine. "Avant l'attaque le 7 octobre, Israël et l'Arabie saoudite semblaient proches de signer un accord de normalisation qui aurait permis l'intégration régionale d'Israël et donné une impulsion décisive au projet IMEC. L'attaque du Hamas a perturbé ces négociations. Cela aurait d'ailleurs été l'un des objectifs directs du chef du Hamas Yahya Sinouar en orchestrant l'assaut", souligne Ofer Guterman de l'INSS, un influent Think Tank lié à l'université de Tel-Aviv.

Paradoxalement, les conséquences de la guerre pourraient contribuer à relancer l'IMEC. Après plus d'un an et demi de bombardements qui s'intensifient, Gaza est en ruine. Deux niveaux des bâtiments auraient été détruits ou gravement endommagés, selon l'ONU. Le Hamas, coupé du reste du monde par l'armée israélienne qui contrôle la frontière avec l'Egypte, lutte pour sa survie. Avec le soutien affiché de Donald Trump et l'assentiment discret des Emirats Arabes Unis, Israël s'apprête à réoccuper totalement la bande de Gaza, à remplacer le Hamas par une administration complaisante et à encourager l'émigration « volontaire » de dizaines de milliers de Palestiniens.

De son côté, Narenda Modi, le président indien, a multiplié ces derniers mois les rencontres avec ses homologues : l'italienne Giorgia Meloni en novembre, Donald Trump, Emmanuel Macron et le président émirati Mohammed Ben Zayed en février. Pour Kristinia Kaush, responsable de recherche au German Marshall Fund de Bruxelles, très au fait du dossier, ces déplacements orientés avant tout à relancer l'IMEC. "Aux Etats-Unis, ce projet bénéficie d'un soutien bipartisan, vu comme un projet géoéconomique majeur pour contrer l'influence chinoise en Asie et au Moyen-Orient. Gaza pourrait bénéficier grandement du dynamisme économique et de la croissance générée par l'IMEC, en dépendant du territoire aux nouveaux réseaux ferroviaires ou encore en hébergeant un port commercial", estime la chercheuse. Elle doute néanmoins que Donald Trump, qui n'a jamais évoqué la construction d'un grand port à Gaza, ait eu à l'esprit l'IMEC lorsqu'il a évoqué sa fameuse « riviera ».

Donald Trump sera en Arabie saoudite le 13 mai
Gideon Bromberg, lui, veut croire au projet. Cet infatigable activiste pour la paix militaire au sein de l'organisation EcoPeace Middle East qui, à l'instar de feu Shimon Peres, envisage le règlement du conflit israélo-palestinien par la création d'une vaste zone de libre-échange sur le modèle de la construction européenne. Sur la première page du site de l'organisation, une carte de l'IMEC fait apparaître une route alternative passant par le port de Gaza. "Dans notre vision, les ports de Haïfa et de Gaza sont tous deux connectés à la ligne ferroviaire du Golfe proposée dans le cadre de l'IMEC. Les études préliminaires auxquelles nous avons participé indiquent que le commerce généré par l'IMEC nécessiterait plusieurs ports. Dans la conception de Gideon Bromberg, pas question d'expulser définitivement la population de Gaza mais de la déplacer provisoirement le temps de la reconstruction.

Cette vision implique une condition de taille : la coopération des pays arabes de la région. Or, pour l'heure, l'Egypte et la Jordanie refusent catégoriquement d'accueillir sur leur sol des flots de réfugiés gazaouis. Sous perfusion américaine, les deux pays subissent des pressions intenses mais semblent tenir bon. Pour le monde arabe - et une bonne partie de la communauté internationale -, le déracinement de la population de Gaza constituerait une faute morale inacceptable. La clef se trouve probablement en Arabie saoudite où Donald Trump doit se rendre le 13 mai (avant de rejoindre le Qatar et les Émirats arabes unis). "À l'heure actuelle, Ryad refuse d'adhérer au cadre des accords d'Abraham ou de normaliser ses relations avec Israël sans l'acceptation par Israël d'une voie durable et crédible vers la création d'un Etat palestinien. Or, cette exigence est catégoriquement rejetée par le gouvernement israélien actuel. Dans ce contexte, il est difficile d'imaginer que le projet IMEC puisse avancer dans sa forme initiale avec une coopération entre Israël et l'Arabie saoudite", analyse Ofer Guterman.

Pour vaincre les réticences de l’Arabie saoudite, Israël compte sur les Emirats Arabes Unis. Après leur normalisation dans le cadre des accords d’Abraham en 2020, les relations entre les deux pays n’ont cessé de se renforcer. Malgré la guerre à Gaza, Abu Dhabi déverse des sommes considérables sur l’enclave depuis le 7 octobre. Pour l’aide l’humanitaire mais aussi pour financer des projets de long terme comme une usine de dessalement de l’eau de mer afin de fournir de l’eau potable à Gaza. Les Emirats ambitionnent de prendre le relais du Qatar - principal pourvoyeur de fond du Hamas -, et d’établir à Gaza une administration favorable aux projets américains. "Je ne vois aucune alternative à ce qui a été proposé", a d’ailleurs déclaré Yousef Al Otaiba, l’ambassadeur émirati aux Etats-Unis en réaction au plan Trump.