Donald Trump, en tournée au Moyen-Orient, privilégie la diplomatie économique

Donald Trump, en tournée au Moyen-Orient, privilégie la diplomatie économique
الثلاثاء 13 مايو, 2025

Le président américain doit se rendre en Arabie saoudite, au Qatar et aux Emirats arabes unis, où l’attendent promesses d’investissements et dossiers sensibles, comme le nucléaire iranien ou la guerre à Gaza, mais aussi un possible conflit d’intérêts avec un avion d’une valeur de 400 millions de dollars, cadeau du Qatar.

Par Piotr Smolar (Washington, correspondant). LE MONDE.

Faire des affaires, pas la guerre. L’ambition de Donald Trump peut se résumer ainsi, à l’heure de sa première tournée à l’étranger depuis son investiture, en janvier.

Le président américain, qui se rêve à la fois en faiseur de paix et en aimant à investissements, a embarqué à bord d’Air Force One, lundi 12 mai, en direction du Moyen-Orient. Il doit se rendre en Arabie saoudite, au Qatar et aux Emirats arabes unis. Dans un mélange détonant de promesses économiques, de questions sécuritaires et d’intérêts familiaux, Donald Trump parlera un langage qui lui sied : celui de la transaction. Chacun de ces pays s’engage à consentir des centaines de milliards de dollars d’investissements aux Etats-Unis, des chiffres considérables dont la réalité devra être vérifiée au fil des ans.

Pour l’heure, un sujet a accaparé l’attention des médias américains : l’avion d’une valeur de 400 millions de dollars (360 millions d’euros) que le Qatar s’engagerait à mettre à la disposition de Donald Trump. Irrité par les questions éthiques à propos de ce cadeau hors norme de Doha, le président américain a salué, lundi, un « très beau geste du Qatar ». Il a ajouté : « Je ne serai jamais de ceux qui rejetteraient une telle offre. Je veux dire, je pourrais être une personne stupide, et dire : “Non, nous ne voulons pas d’un avion gratuit, très cher.” »

Selon Donald Trump, ce cadeau qatari serait bienvenu, en raison des retards répétés de Boeing dans la construction d’un nouvel Air Force One. La presse américaine affirme que le département de la justice a produit une analyse validant le principe d’un transfert de cet avion sur un plan éthique. Il n’y aurait donc pas corruption, car aucun acte en retour ne serait identifié. Un argument d’une rare faiblesse. Une confusion semblable entre intérêts privés et fonction d’Etat accompagne les autres volets de cette tournée au Moyen-Orient. World Liberty Financial, la société de cryptomonnaie de la famille Trump, sera utilisée pour des transactions à hauteur de 2 milliards de dollars par le groupe émirati MGX, proche du pouvoir.

Geste audacieux
« Il s’agit ici d’un extraordinaire niveau de corruption », résume le sénateur démocrate Chris Murphy, qui s’est engagé à bloquer, au Congrès, toute vente d’armes à un pays engagé dans des affaires bénéficiant personnellement à Donald Trump. Selon l’élu du Connecticut, le président pourrait donner aux Emirats arabes unis et à l’Arabie saoudite ce qu’ils attendent. Pour les premiers, il s’agit de la levée des restrictions sur l’exportation vers ce pays de microprocesseurs. Pour la seconde, cela porte sur un enjeu essentiel pour Riyad : sa souveraineté énergétique, grâce au développement d’un programme nucléaire civil avec l’aide des Etats-Unis. « En échange, Trump ne demande pas de bénéfices pour le peuple américain, il ne demande pas de mouvement vers la paix dans la région. Il demande du cash », résumait Chris Murphy sur la chaîne MSNBC, lundi.

Donald Trump ne pourra ignorer les dossiers diplomatiques sensibles du moment : le nucléaire iranien, la menace représentée par les rebelles houthistes au Yémen et, enfin, la guerre dans la bande de Gaza, poursuivie par le gouvernement d’Israël, au mépris de l’opinion publique israélienne et des otages toujours entre les mains du Hamas palestinien. Un autre sujet pourrait s’ajouter à cette liste. Avant de partir, le président américain n’a pas exclu de se rendre à Istanbul, jeudi 15 mai, pour le rendez-vous fixé avec la Russie et l’Ukraine, afin de négocier les contours d’une paix. Seul Volodymyr Zelensky a confirmé sa venue. « Je pense que les deux leaders s’y trouveront », a prédit Donald Trump.

A son retour à la Maison Blanche, ce dernier pensait retrouver un Moyen-Orient immobile, pris dans les sables. A tort. L’attaque du 7 octobre 2023, perpétrée par le Hamas en Israël, et l’impact régional majeur de la guerre israélienne dans la bande de Gaza, la chute du régime d’Al-Assad en Syrie, ainsi que le rapprochement diplomatique lancé par l’Arabie saoudite avec l’Iran, ont modifié les équilibres. Donald Trump comptait reprendre le fil des accords d’Abraham qu’il avait promus, entre les pays arabes et Israël. Il doit aujourd’hui se contenter de contrats bilatéraux, de discussions sur l’énergie, les livraisons militaires et l’intelligence artificielle. Des bénéfices économiques, oui, mais rien qui lui assure son rêve, un prix Nobel de la paix.

« Tous ces pays, l’Arabie saoudite, les Emirats, le Qatar et les autres, nous préservons leur sécurité, a déclaré Donald Trump. Si on n’était pas là, ils n’existeraient probablement pas aujourd’hui. » Une façon peu diplomatique et respectueuse de s’annoncer auprès de ses hôtes, qui ont pourtant rendu service. L’Arabie saoudite a facilité la reprise de contact entre la Russie et les Etats-Unis, à Riyad. Le Qatar a poursuivi son rôle ambigu de facilitateur, en compagnie de l’Egypte, pour négocier avec le Hamas.

A l’automne 2023, l’administration Biden pensait conclure un traité de défense mutuelle avec l’Arabie saoudite, ainsi qu’un accord pour développer le nucléaire civil dans le royaume, lorsque l’attaque du 7-Octobre a mis ces ambitions sous cloche. A l’époque, cette offre séduisante faite à Riyad devait se présenter en parallèle d’une normalisation historique entre ce pays et Israël. L’attaque du Hamas a provoqué un découplement de ces questions. Pour autant, Donald Trump ne semble pas avoir pris la mesure de l’impact des images de Gaza dans les pays arabes.

Alors que le président des Etats-Unis prenait place à bord d’Air Force One, le dernier Américain encore détenu à Gaza, Edan Alexander, était libéré. L’administration Trump a négocié directement avec le mouvement islamiste armé pour obtenir le retour de ce dernier. Un geste audacieux, que les partisans du milliardaire n’auraient jamais pardonné à un président démocrate. Washington a ainsi placé le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, en position de spectateur, lui qui semble négliger le sort de ses compatriotes encore détenus, au profit d’un projet de nettoyage ethnique du territoire palestinien.

L’absence d’Israël comme étape dans cette tournée a une signification symbolique. Le gouvernement Nétanyahou s’est mépris en croyant bénéficier d’un soutien sans conditions de l’administration Trump. Ce soutien est certes puissant, mais le président traite Israël comme tout autre pays : il attend un retour sur investissement.

Or, le gouvernement Nétanyahou offre des motifs d’irritation à l’administration américaine. Il pousse à la guerre contre l’Iran, alors que le milliardaire se rêve en président de la paix. Par ses opérations militaires injustifiables, il déstabilise la fragile Syrie post-Al-Assad. A ce sujet, Donald Trump a expliqué, lundi matin, qu’il envisageait de lever les sanctions contre Damas, afin de donner un « nouveau départ » au pays.

Négociations avec l’iran
Enfin, le refus obstiné du premier ministre israélien de formuler une solution politique dans la bande de Gaza compromet la libération de la vingtaine d’otages encore aux mains du Hamas. Paradoxe : cette obstination de la droite israélienne a été consolidée par Donald Trump lui-même, lorsqu’il a prétendu qu’il serait possible de déplacer la population palestinienne vers les pays voisins. Aucun de ceux-ci n’est prêt à cela, à commencer par la Jordanie et l’Egypte.

Bien plus que Gaza, le nucléaire iranien accapare actuellement la Maison Blanche. La reprise d’un dialogue bilatéral, même indirect, avec le régime théocratique est l’une de ses manœuvres les plus ambitieuses depuis trois mois. Mais, à ce stade, après quatre rendez-vous diplomatiques à Oman, les intentions de l’administration ne sont pas claires. Donald Trump estimait, lundi, que les Iraniens ont été « très raisonnables jusqu’à présent ».

L’ampleur des concessions demandées à Téhéran reste incertaine. Le président américain veut-il un démantèlement complet des centrifugeuses pour interdire tout enrichissement dans ce pays ? Ou bien seulement à des niveaux au-dessus de 3,67 % ? Dans un entretien avec le commentateur politique conservateur Hugh Hewitt, le 7 mai, il a dit souhaiter un dispositif de « vérification totale » des activités iraniennes, arguant du fait qu’il dispose de « personnes très brillantes au MIT [Massachusetts Institute of Technology] et dans d’autres endroits divers », pour s’en charger. Les vérifications, en réalité, sont assumées par l’Agence internationale pour l’énergie atomique. Aux yeux de Donald Trump, l’alternative est simple : « Exploser [les centrifugeuses] joliment ou les exploser vicieusement. » De gré ou de force, elles doivent donc disparaître.

Ce dossier appartient au portefeuille très fourni de l’envoyé spécial et ami du président Steve Witkoff. Dans un entretien au site Breitbart, publié le 9 mai, ce dernier estimait que la question nucléaire était « existentielle » et devait être résolue « aujourd’hui et vite ». « Un programme d’enrichissement ne peut plus jamais exister dans l’Etat iranien, disait-il. C’est notre ligne rouge. Pas d’enrichissement. Cela veut dire démantèlement, cela veut dire pas de militarisation et cela veut dire que Natanz, Fordo et Ispahan – ce sont leurs trois centres d’enrichissement – doivent être démantelés. » Steve Witkoff place à part la centrale de Bouchehr, sans centrifugeuses pour l’enrichissement. L’homme d’affaires a une étrange façon de demander la capitulation de l’Iran, tout en l’humiliant. Selon lui, le contexte serait bien plus en sa défaveur qu’à l’époque de la signature du Joint Comprehensive Plan of Action, l’accord de 2015, dont l’administration Trump s’était retirée en 2018. « Je pense qu’ils sont beaucoup plus vulnérables », estime Steve Witkoff, estimant que les Iraniens n’ont « pas le choix », si ce n’est d’accepter.