Face à l'échec tactique du choix de JD Vance, le véritable colistier de Trump est Elon Musk, devenu l'une des principales caisses de résonance pro-Trump sur X, souligne Asma Mhalla.
Par Asma Mhalla (Spécialiste des enjeux politiques et géopolitiques de la Tech, enseignante à Sciences Po et Columbia, Les Echos
Les élections américaines nous offrent décidément une drôle de campagne, faite de cliffhangers et de rebondissements de dernière minute. La tentative d’assassinat sur Donald Trump le 13 juillet 2024 crée la rupture initiale. A partir de cet événement pivot, l’alliance entre une partie de l’élite technologique de la Silicon Valley et Donald Trump va s’officialiser. Dans la frénésie du moment, Elon Musk officialise immédiatement son soutien à Trump. Dans le même temps, notamment sous l’insistance de Peter Thiel, important argentier néoconservateur de la Silicon Valley, JD Vance, jeune sénateur ultraconservateur de la New Right américaine, est investi à la surprise générale comme colistier de Trump.
Le choix de Vance n’est pas stratégique, mais tactique : face à un Joe Biden handicapé par son âge, le camp Trump mise sur la jeunesse en négligeant l’élargissement de l’audience. Les positions extrémistes de Vance ne permettent pas à Trump d’élargir sa base mais renforce son positionnement ultraconservateur. Mais quelques jours plus tard, Joe Biden renonce à la campagne pour laisser la place à sa bien plus jeune vice-présidente, Kamala Harris. Nouveau rebondissement qui va couter cher en termes d’image au ticket Trump-Vance pris à leur propre piège.
En parallèle, Elon Musk s’active publiquement auprès de Trump. Il a lancé l’America PAC pour collecter des fonds et aider à l’organisation logistique de la campagne. En août, on apprenait que deux « swing states », le Michigan et la Caroline du Nord, lançaient une investigation concernant des pratiques de collecte de données personnelles douteuses, violant possiblement la loi des deux Etats. A partir de l’encart « s’inscrire pour voter » du site institutionnel d’America PAC, les habitants des Etats clés étaient invités à laisser leurs données personnelles de contact sans pour autant être redirigés vers les pages d’inscription aux élections là où l’expérience pour les habitants des autres Etats était moins intrusive. Ces parcours différenciés ont pu laisser présager des pratiques problématiques de micro-ciblage politique.
Sur le plan idéologique, Musk devient l’une des principales caisses de résonance proTrump sur X n’hésitant pas à relayer des deepfakes discréditant le camp d’en face, des fake news concernant Kamala Harris, amplifiant des fausses rumeurs sur le prétendu vote de non-citoyens américains. La force de frappe de Musk est considérable du point des métriques pures – une étude du Center for Countering Digital Hate révélait que sur le premier semestre 2024, 50 contenus trompeurs sur l’élection relayés par Musk ont généré près de 1,2 milliard de vues –, mais aussi par le continuum médiatique entre réseaux sociaux et médias traditionnels. Ses propos sont repris en boucle par les médias afin de les analyser.
L’alliance entre les deux hommes ne s’arrête pas là. Le 5 septembre, Trump annonce qu’en cas de victoire, il nommerait Musk à la tête d’une commission chargée de l’« efficience » de l’Etat fédéral en omettant les nombreux conflits d’intérêts qui se profileraient à l’horizon. Perspective d’un détricotage brutal de l’Etat dans l’esprit du très sulfureux projet 2025, renié depuis. Face à l’échec tactique du choix de Vance, le véritable colistier de Trump est Elon Musk.
Côté démocrate, Kamala Harris s’est rapidement installée dans l’opinion publique, a méticuleusement choisi son colistier, Tim Walz, figure rassurante et progressiste pour un positionnement axé sur les droits civiques et l’apaisement d’une nation surpolarisée. Au lendemain du débat du 10 septembre, la chanteuse ultrapopulaire Taylor Swift lui offrira un soutien très attendu. L’impact réel de ce soutien reste à mesurer, mais le symbole est posé.
Au fond, la drôle de campagne américaine se joue entre deux Amériques, deux systèmes de valeurs, entre deux politiciens Trump et Harris, mais aussi entre deux rock stars, Musk et Swift. Les deux leaders d’opinion incarnent les nouvelles batailles culturelles qui nervurent nos démocraties libérales : un technologue issu historiquement de la très progressiste Vallée portant désormais à bout de bras une révolte néoconservatrice contre une chanteuse de country tête d’affiche adulée du nouveau progressisme sociétal. Musk ou Swift, quelle Amérique l’emportera ?