Les symptômes de la crise égyptienne, ses causes structurelles et l'attitude des autorités face aux réformes rappellent par certains aspects la grave crise que traverse le Liban depuis 2019. Un effondrement de la même ampleur en Egypte semble moins probable, mais lui venir en aide serait plus difficile.
Par Justine Babin - Les Echos
Restrictions bancaires sur l'accès aux devises, effondrement de la livre sur le marché noir, flambée des prix… On croirait une nouvelle fois égrener les symptômes de la grave crise qui frappe le Liban depuis 2019. Pourtant ces maux rythment aussi la vie des Egyptiens depuis un an et demi.
Les ressemblances entre ces deux crises ne se limitent pas aux symptômes, ont d'ailleurs dernièrement pointé plusieurs économistes sur les réseaux sociaux ou dans des articles de recherche, tout en reconnaissant les limites de cette comparaison.
L’Egypte est la deuxième plus grosse économie d’Afrique, avec un PIB de 477 milliards de dollars, une population majoritairement rurale de 105 millions d’habitants et un pouvoir autocratique centralisé entre les mains du maréchal-président Abdel Fattah Al-Sissi. L’économie libanaise était quant à elle, avant la crise, neuf fois plus petite, avec une population citadine et un pouvoir politique éclaté entre les représentants d’une oligarchie communautaire. Le parallèle entre les deux situations apporte toutefois un éclairage intéressant sur l’expérience égyptienne.
Manque de liquidités
Dans les deux cas, les crises se sont d’abord manifestées par un manque de liquidités. Au Liban, les premiers signes d’un épuisement des réserves en devises sont apparus après le début de la guerre en Syrie en 2011 mais l’assèchement a été retardé par les ingénieries financières de la banque centrale, aspirant les devises des banques commerciales contre des taux d’intérêt attractifs. En Egypte, l’invasion russe en Ukraine a fait exploser la facture d’importation de céréales de la mer Noire. Quelque 20 milliards de dollars de capitaux spéculatifs ont par ailleurs fui le pays.
Des déséquilibres structurels communs ont contribué à créer un terrain propice à ces crises. L’Egypte et le Liban dépendent fortement des importations pour leurs besoins de consommation mais exportent peu. Le déficit commercial du Liban équivalait ainsi en 2019 à 35 % de son PIB. Celui de l’Egypte reste sous les 10 %, grâce aux exportations de gaz naturel et de certains produits manufacturés.
« La diversification de l’économie égyptienne la rend moins vulnérable à un effondrement économique de l’ampleur de celui du Liban », commente Robert Springborg, chercheur à l’Institut des Affaires internationales, à Rome.
Dans les deux cas cependant, les autres sources de revenus en devises – fonds de la diaspora, tourisme et, en Egypte, redevances du canal de Suez – restent insuffisantes pour financer les importations.
Les deux économies ont en conséquence massivement eu recours à l’endettement. La dette publique atteignait 150 % du PIB au Liban au début de la crise. En Egypte, elle équivaut à environ 90 % du PIB. La dette externe a notamment plus que triplé depuis l’arrivée au pouvoir du maréchal Sissi en 2013, à 165 milliards de dollars.
Mais ces fonds n’ont pas véritablement servi à renforcer l’économie sur le long terme. Après la reconstruction post-guerre civile (1975-1990), le Liban a en grande partie utilisé ces devises pour préserver la parité fixe de la livre par rapport au dollar. L’Egypte a de son côté « investi massivement dans de grands projets d’infrastructure qui ont généré de l’activité économique immédiate mais n’ont pas significativement augmenté l’export », pointe Ishac Diwan, directeur de recherche du Finance for Development Lab à l’Ecole d’Economie de Paris. La construction d’une gigantesque nouvelle capitale a ainsi laissé une ardoise de près de 60 milliards de dollars.
Le résultat est que « l’écart entre les intérêts sur la dette externe et la capacité à payer mesurée en termes de revenus à l’export s’est creusé ». Selon l’agence Moody’s, l’Egypte est l’un des cinq pays les plus exposés au risque de défaut de paiement de sa dette extérieure. Le Liban s’y est résolu en 2020.
« Too big to fail »
L’Egypte rechigne cependant à revoir son modèle. En échange d’un plan d’aide de 3 milliards de dollars, le FMI a notamment réclamé le flottement du taux de change de la livre, déjà dévaluée de moitié par rapport au dollar, et le recul du rôle de l’armée dans l’économie. Or les autorités privilégient pour l’instant des mesures d’urgence, dont l’émission de certificats de dépôts en dollar grassement rémunérés. « Comme au Liban, les autorités font tout ce qu’elles peuvent pour attirer des devises sans s’attaquer aux racines du problème, qui sera plus compliqué à régler dans le futur », remarque Ishac Diwan.
L’Egypte semble toujours se considérer comme « too big to fail ». « C’est l’idée selon laquelle la communauté internationale continuera coûte que coûte à financer le pays car son rôle géopolitique régional est trop important », observe Rosalie Berthier, du think tank Synaps, à Beyrouth. Un pari risqué car il pourrait aussi devenir « too big to bail ». « Le Liban est une toute petite économie dans laquelle on peut faire une grande différence avec peu d’argent ; ce n’est pas le cas de l’Egypte ».
La communauté internationale n’est en tout cas plus si pressée de refinancer le régime. Seule une portion des fonds espérés a cette fois été accordée par le FMI. Quant aux bailleurs du Golfe, l’enthousiasme n’est pas non plus au rendez-vous. Le temps des dons et des dépôts bancaires « sans contreparties » est révolu, avait déclaré en janvier le ministre saoudien des finances.