Les effusions publiques de joie ne sont pas de bon ton au Caire, après le renversement du dictateur syrien Bachar Al-Assad. La communauté de quelque 1,5 million de Syriens en Egypte est pourtant habituellement bien perçue par le pouvoir.
Par Justine Babin, LES ECHOS
Au centre-ville du Caire, la clientèle se presse nombreuse dans l'établissement syrien de restauration rapide géré par Firas. Le quadragé mnaire, originaire de la banlieue de Damas, vit en Egypte depuis 2012, après avoir fui son pays par peur d'être arrêté par les forces du régime de Bachar Al-Assad. Je n'étais pas un opposant à proprement parler mais il était inscrit sur ma carte d'identité que je venais de Daraya [l'un des foyers de la révolu- tion syrienne de 2011, NDLR], ce qui suffisait à l'époque pour me faire dis- paraître, raconte-t-il.
Je suis soulagé de la chute du régime, même si nous ne pouvons pas trop exprimer cette joie ici, confie le père de famille. Ironie du sort, au moins 30 Syriens ont été aléatoirement arrêtés les 8 et 9 décembre après de brefs rassemblements spontanés de célébration dans le quartier où il réside, parfois surnommé la petite Syrie, en banlieue du Caire, selon l'Initiative égyptienne pour les droits de la personne (EIPR).
Fébrilité du pouvoir
Des détentions qui traduisent une certaine fébrilité du pouvoir autoritaire du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi. En effet, si Le Caire n'avait pas officiellement renoué les relations diplomatiques avec le régime de Bachar Al-Assad, rompues en 2013, ces rapports s'étaient dernièrement réchauffés.
Un célèbre présentateur télévisé proche des autorités égyptiennes a par ailleurs alerté contre tout risque de sédition de la part des Frères musulmans, ennemis jurés du régime, ragaillardis par l'arrivée au pouvoir des islamistes de Hayat Tahrir Al-Cham à Damas.
En dehors de rares incidents, la communauté syrienne, qui vit majoritairement en milieu urbain, est pourtant bien intégrée et se trouve dans les bonnes grâces du Caire.
Quelque 1,5 million de Syriens vivent aujourd'hui dans le pays, d'après l'Office international pour les migrations (OIM), la plupart arrivés après 2012. Seulement 10% sont enregistrés comme réfugiés auprès de l'Office des Nations unies pour les réfugiés (HCR), tandis que le reste dépend notamment du renouvellement de visas de tourisme ou d'étude.
Conditions d'accès durcies
Les situations individuelles des Syriens en Egypte varient, mais cette communauté reste dans l'ensemble appréciée car elle ne défie pas les autorités et, pour une partie, investit malgré certains obstacles dans l'économie locale, explique Joseph Daher, professeur invité à l'université de Lausanne, en Suisse, et expert de l'économie politique de la Syrie. Le pays compte environ 30.000 investisseurs syriens, pour la plupart à la tête de petites et moyennes entreprises dans le secteur manufacturier, en particulier l'industrie textile, ainsi que les services, notamment de restauration.
Je n'ai pas eu l'embarras du choix pour la destination, mais entre les différentes options j'ai préféré l'Egypte, où la vie était meilleur marché et les politiques à l'égard des Syriens plus accueillantes que d'autres pays de la région », raconte Firas. Ces conditions particulièrement hospitalières sous l'ancien président Mohammed Morsi, issu des Frères musulmans, se sont depuis durcies sous le président Sissi. Et les Syriens souhaitant entrer en Egypte doivent désormais s'acquitter de plus de 1000 dollars pour obtenir le feu vert des autorités de sécurité égyptiennes.
Pour l'instant, Firas n'envisage pas de repartir en Syrie, même pour un aller-retour, qui lui coûterait trop cher. J'ai besoin d'avoir les idées plus claires sur ce qui va se passer après l'arrivée des islamistes, explique-t-il avec inquiétude. Il n'aurait d'ailleurs pas d'endroit où rentrer l'immeuble dans lequel se trouvait son appartement a été détruit.