Par Georges Malbrunot, Le Figaro
Dans un contexte tendu avec Israël, le pays pourrait accélérer la marche vers la bombe atomique pour se sanctuariser.
Le 18 avril, vingt-quatre heures avant l’attaque israélienne en Iran contre une installation militaire proche d’un site nucléaire, Ahmad Haghtalab, haut responsable des gardiens de la révolution en charge de la sécurité des installations nucléaires, affirmait que la République islamique pourrait revoir sa «doctrine nucléaire» et les «déclarations du passé» sur son programme nucléaire développé dans un but civil.
Quatre jours après, alors qu’Israël avait riposté de manière calibrée à l’attaque iranienne inédite aux drones et aux missiles contre l’État hébreu, un député et ancien commandant des gardiens de la révolution, Javad Karimi Qoddoussi, expliquait à son tour dans un tweet que « si la permission était donnée, il suffirait d’une semaine » pour que l’Iran procède à son « premier test nucléaire ».
Trois semaines après, c’est l’ancien ministre des Affaires étrangères, Kamal Kharrazi, aujourd’hui conseiller du guide suprême et numéro un du régime, l’ayatollah Ali Khamenei, qui se fit de nouveau menaçant. « Nous n’avons pas pris la décision de construire une bombe nucléaire, mais si l’existence de l’Iran était menacée, nous n’aurions pas d’autre choix que de changer notre doctrine nucléaire », affirma Kamal Kharrazi, selon des propos rapportés par l’agence étudiante Isna.
En 2022, le même Kamal Kharrazi avait déclaré que l’Iran était techniquement capable de fabriquer une bombe atomique, mais que la décision n’avait pas encore été prise. Trois ans auparavant, l’ayatollah Ali Khamenei avait rappelé sa fatwa, bannissant les armes nucléaires, un décret religieux datant du début des années 2000. Mais début avril son conseiller Kamal Kharrazi précisait qu’« en cas d’attaque contre nos installations nucléaires par le régime sioniste (appellation donnée par la République islamique à Israël, NDLR) notre dissuasion changerait ». Une déclaration qui suscite depuis de nombreuses interrogations sur les intentions réelles de l’Iran.
Accélérer la marche vers la bombe pour se sanctuariser ? C’est le scénario induit par les propos de M. Kharrazi et du haut gradé des gardiens de la révolution, qui ont, sous l’autorité du guide, la haute main sur le nucléaire.
Ces déclarations « peuvent n’être qu’une guerre des mots entre l’Iran et Israël, décrypte le site d’informations spécialisé sur l’Iran Amwaj, cependant en alimentant les discours officiels de manière récurrente, elles obligent à se poser la question de savoir si une bascule peut avoir lieu sous le mandat d’Ali Khamenei, qui s’est longtemps opposé aux armes nucléaires sur une base religieuse ».
La carte de la sanctuarisation
Aujourd’hui, le veto du guide pourrait être désuet, avertit une source dans le Golfe, familière de l’Iran. « Le message passé à Israël et au reste du monde est que face à une menace sérieuse, comme c’est le cas actuellement, l’Iran n’hésiterait pas à franchir le pas de la militarisation de son programme nucléaire, et à annoncer un jour prochain avoir effectué un test nucléaire. »
Comme souvent en Iran, où le pouvoir a longtemps été réparti entre plusieurs pôles, tous les centres de décision ne semblent pas être sur la même longueur d’onde. À moins qu’il s’agisse d’une tactique délibérée de brouillage des messages face à l’ennemi, alors que depuis plusieurs années précisément, les gardiens de la révolution et l’entourage du guide, monopolisent le pouvoir à Téhéran.
Le 22 avril, quelques jours après la remarque du haut gradé des gardiens de la révolution, le ministère des Affaires étrangères faisait savoir que les armes nucléaires n’avaient aucune place dans la doctrine de défense iranienne. Ce ministère n’a toutefois pas son mot à dire en la matière.
Dimanche dernier, paraissant revenir sur sa précédente déclaration, Kamal Kharrazi jetait la balle dans le camp des États-Unis et accessoirement d’Israël, son ennemi juré. « Nous ne cherchons pas à acquérir des armes nucléaires, affirma-t-il à une conférence à Téhéran. C’est vous qui êtes sortis de la diplomatie (référence au retrait américain de l’accord international de 2015 décidé en 2018 par Donald Trump, NDLR). Nous sommes prêts à négocier un Moyen-Orient sans armes nucléaires. Si les armes nucléaires ne sont pas retirées de l’arsenal israélien, il y aura une compétition à travers la région pour en posséder », avertit le conseiller du guide suprême. L’Arabie saoudite négocie actuellement avec les États-Unis la fourniture d’un programme nucléaire supposément civil, tandis que l’Égypte et la Turquie affichent également des ambitions nucléaires.
L’Iran, qui redoute un retour de Donald Trump au pouvoir à Washington, pourrait avoir intérêt à agiter la menace de la militarisation de son programme nucléaire comme une carte de négociations avec les Occidentaux, États-Unis, en premier chef.
L’attaque par son allié le Hamas le 7 octobre en Israël – dont Téhéran ne fut pas informé - a perturbé l’agenda diplomatique iranien, alors qu’au cours des semaines précédentes, l’Iran et les États-Unis discutaient à Oman d’une reprise des contacts autour du différend nucléaire. Désormais, certains cercles décisionnaires pourraient avoir intérêt à agiter cette carte de la sanctuarisation pour espérer revenir à la table des négociations avec Washington. Le temps presse, et avec la guerre à Gaza qui ne donne aucun signe de répit, la conjoncture semble, toutefois, peu favorable.