CHRONIQUE - Le président Raissi était le favori pour remplacer un jour Ali Khamenei. Sa mort accidentelle provoque une inconnue: qui succédera au guide suprême de la République islamique, seul vrai détenteur du pouvoir en Iran?
Par Renaud Girard, Le Figaro
Si l'auteur de romans d’espionnage Gérard de Villiers était encore de ce monde, il aurait fait son miel de l’accident d’hélicoptère ayant, le 20 mai 2024, coûté la vie au président de la République islamique d’Iran, non loin de la frontière avec l’Azerbaïdjan. Le père de SAS, qui ne croyait pas aux coïncidences, aurait certainement monté une histoire d’attentat soigneusement préparé par le Mossad. Ennemi déclaré de l’Iran, Israël jouit d’une base militaire d’observation située au sud de l’Azerbaïdjan ; le président iranien Ebrahim Raissi revenait de l’inauguration d’un barrage hydroélectrique frontalier, cérémonie évidemment connue à l’avance, à laquelle assistait le président azerbaïdjanais.
Le pogrom sanglant, commis le 7 octobre 2023 par le Hamas, partenaire sunnite en Palestine de la Perse chiite, contre le sud d’Israël, a provoqué la crise la plus aiguë entre les deux plus grandes puissances militaires du Moyen-Orient. En avril 2024, l’Iran et Israël avaient procédé à des bombardements de leurs territoires respectifs. Bien qu’annoncés à l’avance pour faire le moins de victimes possible, ces actes de guerre furent les plus graves depuis que l’Iran a renoncé à sa vieille amitié pour les Israéliens, à l’occasion de son basculement révolutionnaire, en 1979, d’une monarchie pro-occidentale vers une république théocratique.
Par ailleurs, le Mossad a commandité, entre 2010 et 2020, une demi-douzaine d’assassinats de scientifiques nucléaires iraniens, abattus en plein Téhéran. Ces actes, prohibés par le droit international, n’ont jamais été revendiqués par l’État hébreu.
Pourquoi, dans ces conditions, Israël n’aurait-il pas échafaudé l’assassinat du président Raïssi, un dur du régime islamiste, 63 ans, en pleine santé ? L’homme n’était-il pas le favori, pour le remplacer un jour, du guide suprême Ali Khamenei, 85 ans et très malade ? Le narratif était si tentant qu’Israël a pris la peine, par des voies détournées, de démentir toute implication dans cette mort.
Il n’y a donc pas eu attentat, mais accident. Ce pays de 90 millions d’habitants continuera à être administré. Un président par intérim a déjà été désigné, dans la personne du premier vice-président Mohammad Mokhber, un manager de 68 ans, qui fut naguère le directeur de la grande fondation d’État gérant les biens confisqués lors de la révolution islamique. Il reste que la mort malheureuse du président Raïssi provoque une inconnue : qui succédera au guide suprême de la République islamique ? En Iran, le vrai patron n’est pas le président, élu pour quatre ans au suffrage universel, dans un scrutin où seuls peuvent se présenter les candidats ayant été filtrés par les autorités religieuses.
Le chef suprême, celui qui décide de la paix et de la guerre, qui contrôle le corps des gardiens de la révolution, qui conduit le programme nucléaire et la politique étrangère, qui nomme les hauts responsables de l’armée et de la justice, c’est le guide de la révolution.
Ce dernier est élu à vie par l’Assemblée des experts, eux-mêmes élus pour huit ans au suffrage universel direct. Les experts sont tous des membres du clergé chiite. La Constitution iranienne précise que le guide doit toujours être un marja-e taqlid (littéralement « source d’imitation » ou « source de tradition »), c’est-à-dire un grand ayatollah, un juriste possédant la plus haute autorité religieuse dans le chiisme duodécimain. Contrairement à la plupart des pays du monde, l’Iran ne différencie pas le religieux du politique. Son régime, depuis la révolution islamique, est le velayat-e faqih (gouvernement du docte en religion).
L’inconvénient de ce système est qu’en quarante-cinq ans il s’est considérablement éloigné de la société iranienne. Cette dernière a évolué dans un sens inverse à la théocratie. À Téhéran, les mosquées sont à moitié vides le vendredi. Il est vrai que la corruption avérée de très nombreux mollahs et chefs des gardiens de la révolution ne fait rien pour les remplir.
L’Iran dispose d’une très vaste élite intellectuelle. Ses filles, qui sont allées autant à l’université que les garçons, sont les plus éduquées du monde arabomusulman. Mais elles doivent encore subir les assauts de la police religieuse quand elles veulent seulement se promener les cheveux au vent. Les élites iraniennes suivent, grâce à internet, les évolutions du monde. Elles ne partagent plus du tout l’obscurantisme de leurs dirigeants politico-religieux.
Or l’Iran a plus besoin que jamais de bons dirigeants, afin de se libérer des sanctions, de redresser son économie, de laisser s’épanouir sa jeunesse, de réintégrer la communauté internationale, avec le rang de première puissance commerciale et intellectuelle du Moyen-Orient. Sauf miracle, il est à regretter que le système théocratique sclérosé actuel ne donnera pas à la Perse le président, puis bientôt le guide, qu’elle mérite.