En Iran, un affaiblissement à l’intérieur contrebalancé par des succès à l’extérieur

En Iran, un affaiblissement à l’intérieur contrebalancé par des succès à l’extérieur
الجمعة 15 سبتمبر, 2023

Bien qu’affaibli par la contestation interne, Téhéran est parvenu à rompre son isolement diplomatique et économique.

Par Ghazal Golshiri et Madjid Zerrouky - Le Momde

Aux prises avec une crise de légitimité sans précédent à l’intérieur, la République islamique d’Iran ne cesse pourtant de s’affirmer à l’extérieur de ses frontières. Sa « diplomatie des otages », une politique qui consiste à utiliser des prisonniers étrangers pour obtenir des concessions de la part des Occidentaux, tourne à plein régime. Dernier exemple en date, l’accord passé avec les Etats-Unis, grâce à une médiation du Qatar, dont la mise en œuvre semble imminente et qui prévoit un échange de prisonniers ainsi que le déblocage de six milliards de dollars de fonds iraniens, gelés en Corée du Sud, pour cause de sanctions américaines.

Le 11 septembre, Washington a annoncé mettre en place des exemptions pour assurer les banques impliquées dans ce transfert d’argent qu’elles ne seraient pas placées sous sanctions. Ces dernières ont été réimposées en 2018 après la sortie unilatérale des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015. Les six milliards de dollars, qui doivent être transférés dans des banques qataries, sont censés être utilisés pour acheter de la nourriture et des médicaments.

Otages occidentaux
De son côté, Téhéran a sorti de la prison d’Evin, dans le nord de Téhéran, cinq prisonniers irano-américains et les a placés en résidence surveillée le 10 août. Ils seront échangés contre cinq Iraniens « emprisonnés » aux États-Unis. Parmi eux, quatre ont été jugés par des tribunaux américains et condamnés à de la prison pour avoir violé les sanctions contre le programme nucléaire de Téhéran ou pour avoir tenté d’envoyer des équipements sensibles ou de fournir des informations militaires à l’Iran.

Dans ce groupe figure notamment Kaveh Afrasiabi, un professeur de relations internationales à l’université de Boston (Massachusetts). Il est, depuis quatre ans, accusé de « propagande » et de « lobbying » en faveur du régime iranien, sans avoir déclaré son activité de lobbyiste, une obligation aux Etats-Unis. Ce que l’intéressé nie. Dans un entretien accordé à la chaîne BBC Persian, diffusée en persan depuis Londres, il a remercié la République islamique d’Iran et a fait part de son intention de rester aux Etats-Unis.

Hormis les cinq otages Irano-Américains, l’Iran a reconnu, le 12 septembre, détenir Johan Floderus, un ressortissant suédois travaillant au sein du service diplomatique européen, depuis avril 2022. La justice iranienne a annoncé que l’homme de 33 ans est accusé d’« avoir commis des délits » en Iran, sans plus de précision. Johan Floderus a ainsi rejoint la dizaine d’Occidentaux détenus en Iran. Autres pays concernés : l’Allemagne et la France, avec cinq prisonniers, dont l’anthropologue franco-iranienne Fariba Adelkhah et l’enseignante et syndicaliste Cécile Kohler.

Au rapport de force brut s’ajoute une volonté de rompre avec des années d’isolement. En témoigne l’intégration de Téhéran au sein de différents forums qui ambitionnent de contrebalancer un ordre international encore dominé par l’Occident. Fin août, la demande de Téhéran de rejoindre le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Chine, Inde et Afrique du Sud) a été acceptée. Un mois plus tôt, la République islamique d’Iran a intégré l’Organisation de coopération de Shanghaï, qui réunit les principales puissances asiatiques. A la surprise générale, en mars, Téhéran a aussi paraphé un accord de détente avec son vieil adversaire régional, l’Arabie saoudite. Les deux pays ont rouvert leurs ambassades respectives, fermées début 2016, dans la foulée de l’attaque de représentations diplomatiques saoudiennes en Iran.

Bien que les sanctions américaines ciblent précisément l’industrie pétrolière iranienne, première source de revenus du pays, ce dernier n’a jamais expédié autant de brut depuis cinq ans, amplifiant ce retour sur la scène géopolitique. Selon une série d’analystes, dont les cabinets Kpler Ltd., SVB Energy International, FGE et l’Agence internationale de l’énergie, les exportations iraniennes ont atteint leur plus haut niveau depuis la réimposition des mesures punitives en 2018.

Incertitudes
Principal débouché, la Chine. Le plus grand importateur mondial d’hydrocarbures se fournit auprès de la République islamique. Difficile dès lors de mesurer les revenus exacts que tire l’Iran de ses ventes de pétrole, qui plus est dans un contexte où l’inflation (qui a atteint 60 % en un an selon les chiffres officiels) rogne le pouvoir d’achat des Iraniens.

« D’un point de vue politique et diplomatique, l’entrée de Téhéran dans ces différents groupes et la détente avec Riyad sont plus des acquis que des succès », nuance Hamidreza Azizi, chercheur à la Stiftung Wissenschaft und Politik, un institut de recherches en relations internationales basé à Berlin. « Qu’elles puissent contribuer à un réel développement du pays, au profit de la population, est sujet à de nombreuses incertitudes », constate-t-il.

Dans la région, beaucoup d’incertitudes subsistent, dont les relations entre Israël et l’Arabie saoudite. Si l’accord de normalisation diplomatique entre ces deux Etats auquel travaille l’administration américaine venait à se concrétiser, cela ne manquerait pas de mettre à mal le réchauffement des relations entre Riyad et Téhéran, qui en attend des retombées commerciales et financières. Les négociations avec les Etats-Unis pour sauver l’accord sur le dossier nucléaire sont, elles, toujours au point mort. Et tant que les sanctions américaines resteront en place, l’économie iranienne aura beaucoup de mal à se relever.