En Israël et sur le Golan annexé, des relations mouvantes avec l'Etat

En Israël et sur le Golan annexé, des relations mouvantes avec l'Etat
الأحد 1 يونيو, 2025

De plus en plus de Druzes du Golan demandent la citoyenneté israélienne, alors que ceux de l'Etat hébreu se sentent de moins en moins acceptés

Samuel Forey, Le Monde JÉRUSALEM-correspondance. Le Monde

Pour la toute première fois depuis la création de l'Etat hébreu, quelques dizaines de Druzes du Golan ont reçu, en 2023, une formation militaire par l'armée israélienne. Les attaques du 7-Octobre par le Hamas ont fortement frappé les esprits dans une partie de la communauté de 29 000 personnes qui vit sur ce plateau basaltique situé entre les territoires israélien et syrien, occupé par Israël depuis 1967 et annexé en 1981 - une initiative reconnue uniquement par les Etats-Unis, lors du premier mandat de Donald Trump. L'entraînement consiste à former une milice locale armée, destinée à tenir le premier choc d'un potentiel assaut en attendant les renforts.

Les Druzes du Golan ne sont pas ceux d'Israël. Les premiers se sont toujours tenus à distance de l'Etat hébreu, espérant que leur territoire revienne un jour à la Syrie. Quitte à rester dans des limbes administratifs, comme le fait de ne disposer, en guise de passeport, que d'un simple «document de voyage » où, sous la mention «паtionalité », il est écrit « indéfinie».

Les Druzes d'Israël (quelque 150000 personnes, soit 1,6% de la population) ont, eux, fait alliance avec le mouvement sioniste dès 1948 et sont devenus le principal instrument du nettoyage ethnique de la Galilée, explique l'historien israélien Ilan Pappé dans son livre Le Nettoyage ethnique de la Palestine (La Fabrique, 2024). Cette minorité arabophone devient ensuite le noyau des futurs gardes-frontières, infanterie de choc chargée de maintenir l'ordre dans les zones arabes d'Israël, puis dans les territoires palesti niens occupés après 1967. Mais si leur intégration est forte dans l'armée, les Druzes israéliens restent dans une certaine marginalité. L'attaque menée par le Hamas a bouleversé ces relations. D'abord dans le Golan. Qassem Sabbagh, ancien journaliste à Jérusalem, est revenu vivre en 2009 à Majdal Shams, petite ville sur les flancs du mont Hermon, à la frontière entre le Liban et la Syrie, et dont Israël s'est emparé du sommet en décembre 2024, à la suite de la chute du régime de Bachar Al-Assad. Le cinquantenaire a vu sa communauté changer ces dernières années: «De plus en plus de personnes veulent acquérir la citoyenneté israélienne, surtout chez les jeunes. »

«Une injustice »

Le souvenir du nettoyage ethnique du plateau du Golan, quand plus de 90% des 130000 habitants ont fui l'avancée de l'armée israélienne en 1967, s'estompe. Et la longue guerre civile syrienne et les crimes de Bachar Al-Assad ont fait leur œuvre. Comme si la patrie rêvée s'éloignait inexorablement. Résultat, à présent, quelque 20% des Druzes du Golan possèdent la citoyenneté israélienne, soit plus du double par rapport au début des années 2000. L'arrivée au pouvoir d'Ahmed Al-Charaa après la chute du régime syrien risque d'accentuer cet éloignement. «La Constitution qu'il a fait adopter, où la charia serait la principale source du droit, est inacceptable pour nous. Et nous sommes directement touchés par les massacres [les violences communautaires qui ont fait 134 morts en avril, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme]. J'ai des tantes et des scœurs en Syrie», s'inquiète Qassem Sabbagh.

Mais il n'est pas sûr que les Druzes du Golan soient bien accueillis dans une société israélienne de plus en plus fracturée et radicali-sée, alors que les Druzes de l'Etat hébreu se sentent de moins en moins acceptés. La situation s'est notamment détériorée avec le vote d'une Loi fondamentale en 2018, faisant d'Israël l'Etat-nation du peuple juif.

«Nous avons ressenti cela comme une injustice, alors que les Druzes ont soutenu la création de l'Etat d'Israël. Et alors que les notres se faisaient massacrer en Syrie, les Israéliens fêtaient le jour du souvenir. Nous avons poussé l'armée à intervenir. Pour envoyer un message clair au nouveau régime: « si les Druzes sont attaqués en Syrie, Israël attaquera», dit Ramzi Halabi, ancien maire de Daliat Al-Carmel, aujourd'hui directeur de la branche druze de l'association Yad Labanim, qui célèbre le souve nir des soldats morts au combat.

Israël tente-t-il de réparer cette relation? Le gouvernement a, semble-t-il, écouté Mouwafaq Tarif, le leader religieux druze israélien, qui, après les violences d'avril, a incité l'armée à bombarder la Syrie. Des frappes ont été menées, notamment à proximité du palais présidentiel à Damas. Les autorités israéliennes ont aussi permis l'organisation, à deux reprises, de visites de clercs druzes syriens sur la tombe de Jethro, un lieu saint de cette communauté. Une première depuis la création de l'Etat d'Israël. Le gouvernement israélien avait annoncé, au mois de mars, un plan d'investissement dans les communautés druzes de 3,9 milliards de shekels sur cinq ans (soit près de 1 milliard d'euros). Pour l'instant, nous n'avons rien vu, regrette Salim Brake, historien à l'Open University of Israël, spécialiste et membre de cette communauté. Les indicateurs socio-écono-miques des villages druzes sont au plus bas. Même si le gouvernement prétend nous soutenir, il ne fait que nous instrumentaliser. Ramzi Halabi, lui, appréhende l'avenir: "Dans les années à venir, la Syrie va affronter des moments difficiles. Mais elle n'est pas vouée à disparaître. C'est ici qu'est le danger. Nous sommes menacés par les radicaux de tout bord. En fait, je suis inquiet pour mon pays-Israël."