Depuis son entrée au gouvernement après le 7 octobre pour diriger les opérations à Gaza, beaucoup voient en ce général centriste une option pour une alternance politique.
Par Louis Imbert (Jérusalem, correspondant), Le Monde
Lorsque le général Benny Gantz rencontre des ministres occidentaux de passage en Israël, il est rare qu’il leur confie, derrière les portes closes, autre chose que les platitudes qu’il exprime publiquement devant la presse. Ces visiteurs cherchent en lui un opposant. Ils ne trouvent qu’un ministre du cabinet de guerre, qui dirige les opérations à Gaza. Ils rêvent d’une alternative à Benyamin Nétanyahou et butent sur un simple garde-fou.
Le silencieux M. Gantz, ancien chef d’état-major à la haute stature et au regard bleu acier, est présenté par ses proches comme l’« adulte dans la pièce » au sein du gouvernement. Son humeur égale, ses manières franches et un peu raides rassurent. L’ancien parachutiste est populaire : il devance de loin le premier ministre dans les sondages.
C’est à lui notamment que songeait le leader de la majorité démocrate au Sénat américain, Chuck Schumer, lorsqu’il a souhaité le 14 mars que les Israéliens retournent aux urnes, afin de chasser l’extrême droite et M. Nétanyahou du pouvoir. M. Gantz incarne l’Israël que le sénateur américain a aimé et défendu toute sa carrière, face à ces ministres suprémacistes, ouvertement génocidaires, qui menacent, selon lui, de transformer l’Etat hébreu en « paria ».
Début mars, le général a défié Benyamin Nétanyahou en se rendant à Washington sans lui en demander la permission. Il a quitté la Maison Blanche atterré par la force des critiques de l’administration américaine. Son entourage a confié au média en ligne Axios qu’Israël était « dans la merde » face à cet allié qui l’exhorte à cesser d’affamer les civils gazaouis.
Respectueux des ordres
Cependant, les Israéliens ne veulent pas d’élections tant que la guerre se poursuit : les enquêtes d’opinion l’indiquent avec constance, en dépit de manifestations qui se succèdent sur ce thème depuis plusieurs semaines. M. Nétanyahou se pose en rempart contre les « pressions » américaines, en promettant qu’il poursuivra les opérations militaires à Gaza « jusqu’à la victoire totale ». Le général, à la tête du petit parti centriste Résilience pour Israël, n’a, quant à lui, que le mot d’« unité » à la bouche. « Nous cherchons des raisons de rester au gouvernement, mais c’est difficile », souligne un collaborateur.
Que ferait d’ailleurs M. Gantz du poste suprême ? Des manifestants qui demandaient sa démission fin février, devant chez lui près de Tel-Aviv, ont rapporté cette réponse de sa part : « Disons que je devienne premier ministre demain. Je ferais quoi ? La même chose. Libérer les otages [capturés par le Hamas durant l’attaque du 7 octobre] et continuer à combattre. »
A l’armée, M. Gantz a laissé le souvenir d’un officier élevant peu la voix, dirigeant par consensus et par l’exemple, respectueux des ordres. Tôt destiné à l’état-major, il n’en prend la tête qu’en 2011 à la suite d’une brouille entre ses supérieurs et d’une série de scandales, qui disqualifient des rivaux plus ardents.
La petite équipe qui le pousse à entrer en politique avant les élections de 2019 fait de lui une figure paternelle, capable de réconcilier les « tribus » d’Israël, que M. Nétanyahou dresse les unes contre les autres. Mais chacun se demande en quoi il croit. A-t-il même le désir du pouvoir ? « Benny n’a jamais eu à dire ce qu’il voulait. Avant son premier discours, il était déjà présenté comme le premier rival sérieux de Benyamin Nétanyahou depuis une décennie. Son problème n’était pas ce qu’il pouvait accomplir, mais comment il arriverait au pouvoir », note un camarade, qui a accompagné ces premiers pas.
Le général impose à deux anciens chefs d’état-major et au leader centriste Yaïr Lapid de se ranger derrière lui. Il dévore l’électorat des partis de gauche. Puis des soutiens de M. Nétanyahou l’enferrent dans une campagne de diffamation sans répit : on le prétend fragile parce qu’il a consulté un psychologue, ce qu’il nie ; on le dit imprudent parce que son téléphone aurait été hacké par des Iraniens.
Fils d’un électeur du Parti travailliste, il s’entoure de collaborateurs penchant vers la droite. Il noue des relations serrées avec des représentants des colons de Cisjordanie et les rabbins ultraorthodoxes. Il négocie aussi en coulisses avec Benyamin Nétanyahou et finit par rompre les rangs de l’opposition, en rejoignant son gouvernement durant la crise du Covid-19 en 2020. Leur attelage chute après quelques mois, incapable de voter un budget. Cette expérience aurait pu signer sa fin politique.
En 2023, M. Gantz s’oppose comme la majorité des Israéliens à la réforme radicale des institutions voulue par le nouveau gouvernement Nétanyahou, qui fait la part belle aux fondamentalistes religieux. Conciliant, le général s’efforce de négocier un compromis à la Knesset. Le 7 octobre, il se met à disposition du gouvernement afin de mener la guerre.
A la différence de M. Nétanyahou, il assume publiquement une part de responsabilité dans cette débâcle. Son premier geste est d’écarter une extension régionale du conflit : avec le premier ministre et sous l’influence de Washington, il refuse d’attaquer le Hezbollah libanais, contre le souhait du ministre de la défense, Yoav Gallant, et d’une part de l’état-major.
A Gaza, cependant, le général ne parvient pas ou ne souhaite pas mieux définir un but de guerre vague, la « destruction » du Hamas, qui ne fixe aucun terme au conflit et légitime des bombardements indiscriminés d’une ampleur rarement égalée depuis la seconde guerre mondiale. Mais il impose un second objectif : la libération des otages capturés par le Hamas. Il milite pour un cessez-le-feu, qui permet le retour chez eux d’une centaine de captifs en novembre.
M. Gantz affiche sa proximité avec le chef d’état-major, Herzi Halevi. Tous deux ont défendu une ouverture progressive du siège imposé à l’enclave depuis le 8 octobre. Mais M. Gantz est aussi réputé avoir proposé dès janvier de conditionner l’entrée de l’aide alimentaire à la libération des otages.
Il a cessé de citer une phrase de sa mère, survivante du camp de concentration de Bergen-Belsen, qu’il a longtemps présentée comme son « héritage moral ». Durant une précédente guerre à Gaza, elle lui avait demandé : « Ne cesse pas de combattre, mais ne cesse pas non plus de leur fournir de la nourriture. » Aujourd’hui, il promet de lancer l’assaut sur Rafah, où se pressent 1,4 million de déplacés gazaouis, si aucun accord n’est trouvé en faveur des otages.
« Gantz perd de l’influence »
M. Gantz s’est adjoint au cabinet de guerre un autre ex-chef d’étatmajor, Gadi Eisenkot, entré en politique à ses côtés en 2022. C’est cet allié qui a fini par briser l’unité de façade du gouvernement en janvier. Lors d’une interview télévisée, M. Eisenkot a soupçonné le premier ministre de prolonger la guerre afin de se maintenir au pouvoir, et promis des élections « dans les mois à venir ».
« Depuis janvier, l’armée ne mène que des opérations tactiques de moindre ampleur. Mais rien de stratégique ne se décide pour le jour d’après, déplore Israel Ziv, 7 octobre l’ancien responsable de l’armée dans Gaza durant la seconde intifada au début des années 2000. Gantz pousse avec tous les chefs des services de sécurité pour une solution afin que des Palestiniens assument le pouvoir à Gaza, mais Nétanyahou rejette tout. Gantz perd de l’influence. S’il reste au gouvernement, c’est qu’on attend de lui d’être un baby-sitter pour ce premier ministre sujet au chantage de l’extrême droite, et pour maintenir la libération des otages comme une priorité. »
Plusieurs sources en contact avec les deux généraux signalent aussi que la patience et le mutisme de M. Gantz finissent par irriter Gadi Eisenkot. « Mais il ne trahira pas Gantz, qui l’a fait entrer en politique : il n’est pas encore décidé à rompre », estime Dan Halutz, leur prédécesseur à la tête de l’armée et l’un des organisateurs des manifestations massives de 2023 contre la réforme des institutions. Le général demande, lui, la démission immédiate de M. Nétanyahou, en participant à des cortèges qui s’allongent chaque semaine dans les rues, mais qui sont encore loin d’atteindre une masse critique.
« Il n’y a pas assez d’étincelles dans les airs et nous sommes trop divisés, constate, déçu, un autre général à la retraite, l’ancien pilote Relik Shafir. Certains parmi nous attendent un signal de Benny Gantz pour manifester. Mais, à la minute où il quittera le gouvernement, “Bibi” Nétanyahou l’accusera de céder aux pressions de l’étranger et d’accepter un Etat palestinien. »
Déjà, d’autres candidats se positionnent sur sa droite. Gideon Saar, vétéran de la Knesset avec lequel M. Gantz a fait liste commune aux élections de 2022, a rompu leur alliance le 12 mars. Fondateur du parti Nouvel Espoir, il revendique un siège au cabinet de guerre. « Gantz est un peu trop “colombe” pour nous, résume une députée de ce parti, Sharren Haskel. Nous voulons plus de pression sur le Hamas, que l’opération militaire à Rafah ait lieu, et nous assurer qu’il n’y aura pas d’Etat palestinien. » Le général Gantz pour sa part se garde bien d’employer ce mot radioactif en Israël. Au désespoir des diplomates européens, il n’évoque plus qu’une vague « solution à deux entités »