En Israël, l’épreuve de force entre le gouvernement et le pouvoir judiciaire fait entrer le pays dans l’inconnu

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En Israël, l’épreuve de force entre le gouvernement et le pouvoir judiciaire fait entrer le pays dans l’inconnu
السبت 22 مارس, 2025

Le cabinet, dirigé par Benyamin Nétanyahou, a voté, vendredi, à l’unanimité le limogeage de Ronen Bar, chef du service de renseignement intérieur. La procédure, à la légalité douteuse, a été suspendue par la Cour suprême, une décision appuyée par la procureure générale. Le premier ministre a décidé de passer en force.

Par Samuel Forey (Jérusalem, correspondance), Le Monde

Israël s’achemine, en pleine guerre, vers une crise politique d’ampleur. Le gouvernement mené par Benyamin Nétanyahou a décidé à l’unanimité, dans la nuit de jeudi 20 à vendredi 21 mars, le renvoi du chef du Shin Bet, le service de renseignement intérieur, Ronen Bar.

Début mars, le premier ministre avait tenté, en vain, de le pousser à la démission. La cause : la police et le Shin Bet enquêtent sur les liens d’affaires présumés entre des collaborateurs de Benyamin Nétanyahou et le Qatar, que nombre d’Israéliens considèrent comme un soutien du Hamas. Cette affaire, baptisée « Qatargate » par les médias israéliens, survient alors que le premier ministre est déjà en procès pour fraude, corruption et abus de confiance dans trois dossiers. A ce premier contentieux, entre le chef du gouvernement et celui du Shin Bet, s’ajoute un second, plus politique : dans un récent rapport d’enquête sur le massacre du 7-Octobre, le service de sécurité a pointé les défaillances du gouvernement – et donc du premier ministre.

M. Nétanyahou justifie ce limogeage par une « perte de confiance professionnelle et personnelle persistante ». Ronen Bar devra quitter ses fonctions le 10 avril, ou plus tôt si un successeur est nommé.

La réponse n’a pas traîné. Le jour même, la Cour suprême a émis un référé pour suspendre le limogeage du patron du Shin Bet. La juge Gila Canfy-Steinitz a expliqué que cette décision ne reflète pas la position du tribunal sur la question, mais vise plutôt à empêcher une action irréversible. L’injonction restera en vigueur jusqu’à ce que le tribunal entende les requêtes déposées contre le licenciement, au plus tard le 8 avril.

Puis la procureure générale, Gali Baharav-Miara, est entrée en scène. Ses services peuvent empêcher toute action du gouvernement jugée illégale. Pour contrer un éventuel recrutement qui permettrait de hâter le remplacement de Ronen Bar, la procureure a interdit au gouvernement « de prendre toute mesure portant atteinte au statut du chef du Shin Bet ». Impossible de nommer un nouveau patron, ni même de mener des entretiens pour le poste.

La procureure générale est elle-même en sursis, menacée par une motion de censure qui sera examinée dimanche. La procédure a été lancée par Yariv Levin, le ministre de la justice, dont le projet de réforme judiciaire a été combattu par les plus importantes manifestations de l’histoire du pays. Le ministre accuse la procureure d’avoir politisé son bureau et entravé, à plusieurs reprises, la volonté du gouvernement.

« Ça va être terrible »
Benyamin Nétanyahou compte passer outre. Dans la soirée de vendredi, il a posté un message sur le réseau social X : « Il n’y aura pas de guerre civile ! L’Etat d’Israël est un Etat de droit et, conformément à la loi, le gouvernement israélien décide qui sera le chef du Shin Bet. Shabbat Shalom. » Le premier ministre fait allusion aux déclarations d’un des plus grands juristes israéliens, Aharon Barak, ancien président de la Cour suprême, qui s’est inquiété, jeudi, que les dernières mesures prises par le gouvernement provoquent une guerre civile.

En réaffirmant sa volonté de passer en force, Benyamin Nétanyahou plonge le pays dans l’inconnu. « Une telle situation ne s’est jamais produite. Personne ne peut prédire ce qui va arriver. Tout ce que je peux affirmer, c’est que ça va être terrible, s’inquiète David Kretzmer, professeur de droit à l’Université hébraïque de Jérusalem. Le Shin Bet a beaucoup de défauts, mais il n’est pas partisan. Cela pourrait changer si le gouvernement parvient à nommer un nouveau chef. » Intègre ou non, le nouveau responsable du service secret saura que s’il franchit la limite, il pourra être destitué par le premier ministre.

Benyamin Nétanyahou admire l’audace avec laquelle le président Donald Trump pulvérise et refaçonne l’appareil d’Etat américain. Il martèle auprès de ses ministres la nécessité de suivre cet exemple, explique le journaliste israélien Amos Harel dans un article pour Haaretz. D’autant que le chef du gouvernement a réussi à reprendre la main, après avoir été mis en difficulté avec sa majorité pour le délicat vote du budget, fin mars. Grâce au retour du suprémaciste Itamar Ben Gvir, ministre de la sécurité nationale et partant, chef de la police , M. Nétanyahou a conforté sa coalition. Si le budget est voté, il sait qu’il peut se maintenir encore un an au pouvoir et, avec M. Ben Gvir, il s’assure d’avoir des forces de l’ordre sous contrôle.

Les prochains jours seront décisifs, alors qu’Israël reprend dans la bande de Gaza une guerre de plus en plus impopulaire. Benyamin Nétanyahou refuse de passer à la deuxième phase de l’accord de cessez-le-feu, entré en vigueur, le 19 janvier, et rompu, dans la nuit de lundi 17 à mardi 18 mars, par des frappes aériennes dévastatrices sur l’enclave palestinienne complétées par le lancement de trois offensives terrestres, au nord, au centre et au sud du territoire.

Cette deuxième phase, réclamée par le Hamas, est également souhaitée, selon une récente étude israélienne, par plus de 70 % des sondés, bien qu’elle implique une cessation complète des hostilités, le retrait de l’armée de la bande de Gaza et de nouveaux échanges d’otages et de prisonniers. Nombre d’Israéliens estiment qu’après quinze mois de guerre ouverte, cette nouvelle offensive n’apportera aucun bénéfice sécuritaire supplémentaire à leur pays. Ils connaissent, en revanche, le très probable coût de cette surenchère : la perte définitive de près de 30 otages vivants, parmi les 59 encore aux mains du Hamas.

Les manifestations se multiplient. Le chef de la puissante confédération syndicale Histadrout a déclaré que « le gouvernement n’[était] pas au-dessus de la loi ». « Je n’ai pas l’intention de rester les bras croisés pendant que l’Etat d’Israël est démantelé », a ajouté le chef du syndicat, Arnon Bar-David présageant des renforts dans les rues, voire un blocage du pays.

Ainsi, reprend la longue confrontation, commencée en 2018, entre le pouvoir du premier ministre le plus pérenne de l’histoire d’Israël, s’appuyant sur une base nationaliste religieuse de plus en plus radicalisée, et une alliance bancale entre un appareil d’Etat affaibli et une coalition de partis, qui cherchent une majorité et un projet alternatif à celui de M. Nétanyahou. Ceci, alors que le pays ne sait comment se sortir de la guerre dans laquelle le Hamas l’a fait entrer le 7-Octobre, d’ores et déjà le conflit le plus long de son histoire.