Par Georges Malbrunot, LE FIGARO
DÉCRYPTAGE - Après l’élimination du chef du Hezbollah et l’affaiblissement du Hamas, le renversement de son allié Bachar el-Assad est un échec cuisant pour sa politique d’influence régionale.
L’Iran doit faire face à de nouvelles « réalités » en Syrie, a reconnu jeudi le tout-puissant chef des gardiens de la révolution, le général Hossein Salami. La veille, le guide suprême et numéro un du régime, l’ayatollah Ali Khamenei, assurait que la chute de son allié Bachar el-Assad n’affaiblirait pas Téhéran. Mais, comme souvent, le réalisme finit par percer alors que la politique iranienne connaît un développement majeur depuis l’instauration de la République islamique en 1979.
Seule alliée arabe de l’Iran, la Syrie des Assad était le point de passage obligé des armes iraniennes à destination du Hezbollah au Liban, «le joyau de la couronne» que l’Iran s’est patiemment bâti en quarante ans pour se protéger de ses ennemis israéliens, américains et arabes… Jusqu’à ce que l’État hébreu décapite politiquement et militairement le mouvement chiite libanais ces derniers mois.
Ajoutée à l’affaiblissement du Hamas, autre allié de l’Iran au Moyen-Orient,la perte de la Syrie est un cuisant revers pour Téhéran, qui s’y était massivement investi politiquement, militairement et économiquement. «Nous avons comptabilisé 126 contrats noués par l’Iran en Syrie», confiait au Figaro un diplomate arabe, juste avant la chute d’Assad. En douze ans d’intervention pour sauver Bachar el-Assad, l’engagement iranien en Syrie est évalué entre 30 et 50 milliards de dollars. Un engagementmassif, réprouvé par une majorité d’Iraniens, alors que leur économie est dans un profond marasme.
«Nous avons une dette historique envers la Syrie, qui fut le seul pays arabe à nous aider pendant les huit ans de guerre que l’Irak de Saddam Hussein nous imposa en 1980», déclarait en 2015 au Figaro Mohsen Rezaï, tout-puissant chef des gardiens de la révolution entre 1983 et 1997. Pour honorer cette dette et défendre ses intérêts, en 2012, Qassem Soleimani, le patron de la Force al-Qods - bras armé de l’Iran hors de ses frontières- et Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, persuadèrent Ali Khamenei de voler au secours du dictateur syrien, menacé parses opposants.
Canal secret entre Damas et Israël
Le tandem n’est plus : Soleimani a été éliminé par les États-Unis en 2020 à Bagdad, et Nasrallah est mort cet automne sous 80 tonnes de bombes israéliennes à Beyrouth. Ainsi périrent les deux piliers de cet «axe de la résistance iranienne» à Israël et aux États-Unis que le régime islamique tentera sans doute de reconstruire. En Syrie, les milliers d’hommes du Hezbollah, épaulés par des conseillers iraniens et des milices chiites irakiennes et afghanes, ont d’abord permis à Assad de vaincre, temporairement, ses opposants au sol, alors qu’en l’air, les avions russes frappent les rebelles, faisant des milliers de victimes civiles. Mais cette alliance entre de pieux chiites iraniens et des forces alaouites peu portées sur la prière et mal payées, ressemble à un mariage de raison bien plus que d’amour. En 2021, un dirigeant d’un pays arabe en témoignait devant Le Figaro : «Lorsque j’allais de Damas à Beyrouth rencontrer Hassan Nasrallah, j’étais escorté par des membres des services de renseignements syriens qui se félicitaient en souriant quand ils me montraient les positions du Hezbollah attaquées par Israël.»
Quelques jours après la chute du dictateur, de premiers secrets commencent à émerger d’archives officielles. Révélés par le site Newslines, et démentant complètement la posture anti-israélienne de l’ex-pouvoir syrien, ils concernent un canal secret de communication entre Damas et Israël, notamment l’envoi d’une missive israélienne demandant à Assad de freiner la pénétration de l’Iran dans son pays. Cette coopération secrète serait allée jusqu’au partage de renseignements avec Israël sur la localisation de cibles iraniennes en Syrie.
Pétrodollars
On comprend mieux, dans ces conditions, la frustration croissante que l’Iran éprouva ces dernières années envers Assad. Après les représailles massives d’Israël contre les Palestiniens de Gaza, dans la foulée de l’attaque terroriste du Hamas, le 7 octobre 2023, le silence syrien irrita Téhéran. Le mécontentement se creusa lorsque la réaction d’Assad à l’élimination de Nasrallah fut a minima, fin septembre.
C’est qu’entre-temps, Assad s’était mis à flirter avec les pays arabes du Golfe qui lui demandaient de prendre ses distances vis-à-vis de l’Iran, en échange de leurs pétrodollars pour la reconstruction de son pays quasiment en ruine, après treize ans de guerre civile. Pour les appâter, Assad restreignit les mouvements des groupes iraniens, leur refusant l’accès au voisinage du plateau du Golan, occupé par Israël.
Lorsqu’il y a deux semaines, les rebelles islamistes prirent sans résistance Alep, puis Hama, l’Iran, ayant constaté la fragilité d’Assad, fit la sourde oreille à son appel au secours. Dépêchées à Homs, quelques centaines d’hommes du Hezbollah repartirent avant l’arrivée des rebelles. Quant aux milices irakiennes pro-Iran, s’avancer en Syrie à partir de l’Irak les aurait exposées aux frappes israéliennes. L’Iran resta l’arme au pied.
Téhéran avait perdu confiance en Assad, glissèrent au Financial Times des sources iraniennes, juste après son renversement. Plus qu’une carte dans le jeu iranien, Assad était devenu un fardeau pour Téhéran qui ne s’attendait cependant pas à une chute aussi rapide. Un renversement qui acte l’échec de sa politique de relais, mise en place par feu le tandem Soleimani-Nasrallah.
Que reste-t-il, désormais, de son «axe de la résistance»? Des milices chiites irakiennes, dont une bonne partie des leaders n’ont pas voulu secourir Assad, des rebelles houthistes du Yémen, et un Hezbollah en convalescence… Bien maigre reliquat.
«L’Iran doit adapter sa stratégie en conséquence», a reconnu Hossein Salami, le patron des gardiens de la révolution. Selon certaines sources, l’Iran aurait entamé des contacts avec le nouveau pouvoir en Syrie dans l’espoir de peser encore. Même si Israël a considérablement affaibli cet «axe» iranien, l’État hébreu ne croit pas à sa disparition. Comme en Irak en 2003, l’Iran pourrait profiter d’un chaos pour actionner les victimes d’une reconstruction qui s’annonce délicate. Mais il lui faut d’abord digérer la chute de son allié indocile.