En Syrie, la déclaration constitutionnelle instaure un régime présidentiel fort

En Syrie, la déclaration constitutionnelle instaure un régime présidentiel fort
الجمعة 14 مارس, 2025

Le texte qui encadre l’exercice du pouvoir durant la phase de transition concentre l’essentiel des prérogatives entre les mains d’Ahmed Al-Charaa, le chef de l’Etat par intérim. S’il reconnaît le principe de la séparation des pouvoirs, les mécanismes de contrôle et de contrepoids paraissent limités.

Par Hélène Sallon (Damas, envoyée spéciale). LE MONDE. 

Le cadre de la transition syrienne est désormais établi. Le président par intérim, Ahmed Al-Charaa, a signé, jeudi 13 mars, une déclaration constitutionnelle pour la période transitoire, qui ouvre la voie à la consolidation de son pouvoir dans le cadre d’un régime présidentiel fort, jusqu’à la rédaction d’une constitution et l’organisation d’élections dans cinq ans. Alors que la jurisprudence islamique (fiqh) devient la principale source de la législation, le texte reconnaît des droits et des libertés fondamentales aux Syriens sur la base de la citoyenneté.

Promulgué deux jours avant l’anniversaire de la révolution syrienne, déclenchée le 15 mars 2011, le texte solde l’héritage du « régime répressif et autoritaire » du parti unique Baas et du « gang Al-Assad ». Il ouvre « une nouvelle page de l’histoire de la Syrie, où nous remplaçons l’injustice par la justice (…) et la souffrance par la miséricorde », a déclaré M. Al-Charaa. L’ancien chef du groupe islamiste radical Hayat Tahrir Al-Cham, à la tête de la coalition rebelle qui a renversé le président Bachar Al-Assad, le 8 décembre 2024, avait aboli la Constitution et dissous le Parlement, en janvier.

Fin des lois d’exception
Tourner la page de cinquante-quatre ans de dictature du clan Al-Assad était un impératif pour la commission de rédaction de la déclaration constitutionnelle. Composée de sept membres nommés par Ahmed Al-Charaa, elle a mené ses travaux en se basant sur la Constitution de 1950, sur la feuille de route élaborée par le président par intérim et sur les conclusions de la conférence de dialogue national, dont les participants avaient appelé à ce que le projet « ancre les valeurs de justice, de liberté, d’égalité et fonde un Etat de droit ».

La déclaration criminalise la « glorification de l’ancien régime d’Al-Assad et de ses symboles ». Elle met fin aux lois d’exception mises en place sous l’ancien régime pour réprimer le peuple syrien et annule les jugements de la Cour antiterroriste. Elle prévoit la formation d’une commission de justice transitionnelle qui vise à rendre justice aux victimes et survivants de la dictature.

Parallèlement, le texte conforte les efforts d’Ahmed Al-Charaa pour asseoir son autorité sur l’ensemble du pays, en concentrant entre ses mains l’essentiel des prérogatives, notamment par le biais des pouvoirs de nomination qui lui sont conférés. Un « présidentialisme » qui risque de susciter des critiques au sein de la société civile. D’autant que les caractéristiques de l’Etat syrien restent inchangées. La déclaration met l’accent sur l’unité et l’intégrité de la Syrie. Le modèle fédéraliste, que réclamaient les forces kurdes qui gouvernent le NordEst syrien, a été écarté. La « République arabe syrienne » a pour langue officielle l’arabe. Le président doit être musulman.

Alors que la constitution de 2012, adoptée par le régime syrien au début du soulèvement anti-Assad, faisait du fiqh « une » source de la législation, le texte qui la remplace présente la jurisprudence islamique comme la principale source du travail législatif, confiée à une Assemblée populaire, censée être mise sur pied prochainement. Cette nuance n’est pas sans incidence selon l’interprétation qu’en feront le législateur et la Cour constitutionnelle, dont les sept membres seront nommés par le président Al-Charaa.

La déclaration garantit la liberté de croyance des trois monothéismes, ainsi que les droits culturels et linguistiques de tous les Syriens. Cela comprend les droits de la communauté kurde comme s’y est engagé M. Al-Charaa par l’accord signé avec Mazloum Abdi, le chef des Forces démocratiques syriennes, le 10 mars. L’administration autonome kurde a néanmoins jugé cela insuffisant, estimant que la déclaration constitutionnelle « contredit la réalité de la Syrie et sa diversité ».

La déclaration constitutionnelle garantit aussi l’égalité des droits de tous les citoyens quelle que soit leur race, leur religion, leur sexe ou leur origine. Cela comprend notamment la liberté d’opinion, d’expression et de la presse, ainsi que les droits des femmes. Elle introduit le pluralisme politique et entérine l’indépendance de la justice.

Mécanismes de contrôle limités
Le texte prévoit toutefois que l’exercice de ces droits peut-être limité au nom de la sûreté nationale ou de la morale publique. Le président peut décréter l’Etat d’urgence, avec l’accord du Conseil de sécurité nationale. Ce conseil comprend les ministres des affaires étrangères, de la défense et de l’intérieur, ainsi que le chef des renseignements, qui sont actu ellement tous des proches d’Ahmed Al-Charaa. Le constitutionnaliste Zaid Al-Ali déplore l’absence « d’une clause de limitation solide qui garantirait que ces droits ne soient pas vidés de leur substance. »

Si la déclaration pose le principe d’une séparation stricte des pouvoirs, les mécanismes de contrôle et de contrepoids effectifs paraissent limités. Le président ne peut certes pas dissoudre le Parlement, mais ce dernier ne peut pas engager la responsabilité du président. Le président du comité de rédaction constitutionnelle, Abdel Hamid Al-Awak, un expert en droit constitutionnel, a justifié ce choix par la nécessité d’une gouvernance stable et efficace dans la période de transition.

Le président, commandant en chef des forces armées, nomme et révoque les ministres. Il peut proposer des lois et dispose d’un droit de veto sur celles approuvées par l’Assemblée populaire. Un tiers des membres de cette Assemblée seront nommés par lui, et le reste par une commission dont il choisira les membres. « Les tribunaux pourraient potentiellement servir de contrôle au pouvoir exécutif, mais ni leurs responsabilités ni leur composition n’a été déterminée », s’inquiète Zaid Al-Ali.

Aux yeux du constitutionnaliste, la déclaration constitutionnelle est « une réaffirmation d’arrangements très traditionnels, sans rien de véritablement révolutionnaire ». L’envoyé spécial des Nations unies, Geir Pedersen, exprime un optimisme prudent. Il a dit « espérer que la déclaration pourra constituer un cadre juridique solide pour une transition politique véritablement crédible et inclusive », ajoutant que « sa mise en œuvre correcte sera essentielle. »