Les incidents fomentés par des djihadistes se multiplient, alors que les milices pro-Assad commencent à faire le coup de feu.
Par Georges Malbrunot, LE FIGARO
Au lendemain des premières manifestations d’alaouites, la minorité dont est issu l’ancien président Bachar el-Assad, les nouvelles autorités ont lancé une vaste opération de sécurité dans l’ouest de la Syrie contre les anciens fidèles du dictateur. Le ratissage a eu lieu dans la province de Tartous, bastion de la minorité, autour de la ville éponyme et de celle de Lattaquié. Selon l’agence de presse officielle Sana, qui opère sous le contrôle des nouvelles autorités, l’opération, qui aurait fait six morts, a permis de « neutraliser un certain nombre » de membres de « milices » fidèles à Bachar el-Assad et réfugiées dans les montagnes, depuis son renversement, il y a plus de deux semaines, par une coalition de rebelles menée par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham (HTC).
Cette volonté de « restaurer la sécurité » intervient au lendemain des premières manifestations d’alaouites, à Tartous, Banias, Jablé et Lattaquié, mais aussi à Homs, en signe de protestation contre l'attaque d'un de leurs sanctuaires à Alep, la seconde ville du pays. Selon une ONG, un manifestant a été tué et cinq autres ont été blessés à Homs, où un couvre-feu nocturne a été instauré tandis que les routes d'accès au quartier à majorité alaouite de Mazeh 86, à Damas, sont désormais bloquées.
La vidéo qui montrait l'attaque d'Alep contre un sanctuaire alaouite remonte au 1er décembre. Elle a été filmée lors de la prise de la ville par les rebelles, a précisé le ministère de l'Intérieur. « Le but de faire circuler à nouveau de telles images est de semer la discorde parmi le peuple», a ajouté le ministère de l'Intérieur.
Joint au téléphone par Le Figaro, Abdoul Hussein Mansoura, un habitant de Jablé, confirme la manipulation tout en exposant les raisons de la peur diffuse qui s'est propagée au sein de la communauté alaouite, et dans une moindre mesure chrétienne, depuis la prise du pouvoir par les islamistes du HTC.
« Un religieux alaouite converti au chiisme a enflammé la situation dans une vidéo », explique cet alaouite, selon qui « l'Iran cherche probablement à déstabiliser la situation ». Mais au-delà d'une part de manipulation, « une véritable peur s'est installée chez les alaouites et les chrétiens de Lattaquié et alentours, ajoute Abdoul Hussein Mansoura. Nous avons vu beaucoup de groupuscules islamistes, souvent non arabes, des Ouzbeks notamment, venir d'Idlib pour tenter de faire la loi chez nous. Lundi, certains sont entrés dans un magasin près de chez moi, à Jablé, ils ont tiré sur les bouteilles d'alcool, un passant a été blessé. Les gens du village ont réussi à les désarmer et à les livrer à HTC, qui nous a dit qu'ils allaient être jugés. »
Risque de débordement par des islamistes étrangers
Depuis quinze jours, les incidents de ce genre se sont multipliés. L'un d'eux a vu des djihadistes étrangers incendier le sapin de Noël dans le village de Souqaylabia, près de Hama.
A Lattaquié, les minorités se félicitent d'entendre le groupe HTC répéter que ses hommes sont là « pour assurer la paix civile ». « C'est vrai qu'avec les gens de HTC, on n'a pas de problème, confie un habitant de Lattaquié qui préfère rester anonyme. L'un d'eux est venu me voir pour me rassurer en disant que nous étions sous leur protection, que nos problèmes étaient les leurs. Mais après tous ces incidents, la population a tendance à moins les croire. »
«Le problème, explique Abdoul Hus sein Mansoura, c'est que HTC manque d'hommes pour tenir la sécurité. » Selon lui, la province d'Idlib qu'ils tenaient avant le renversement d'Assad n'a pas assez de policiers pour sécuriser toute la Syrie. HTC ne disposait que de 30000 à 35000 hommes.
D'où un risque de débordement par des ultras, des islamistes étrangers restés acquis aux idéaux djihadistes, contrairement aux combattants du HTC, qui, pour l'instant, multiplient les gestes d'apaisement envers les autres Syriens. En plus, renchérit Abdoul Hussein Mansoura, les nouveaux policiers de HTC sont assez mal formés, « ils essaient de recruter localement des sunnites, mais là encore, leurs recrues n'ont pas d'expérience du maintien de l'ordre ». Il redoute qu'au final sa communauté paie deux fois la facture, d'abord parce qu'elle est la communauté de l'ancien régime, méme si à la fin 80% des alaouites étaient contre Assad, et parce que certains d'entre eux font aujourd'hui le coup de feu contre le nouveau pouvoir. C'est l'autre danger qui guette le « pays alaouite».
Si pratiquement tout le clan Assad a fui la Syrie, de nombreux chabihas ses soutiens, à la sinistre réputation avant sa chute ont pris le maquis dans les montagnes au-dessus de la côte, après y avoir caché des armes. Sur des images diffusées jeudi sur les réseaux sociaux, on en voit résister les armes à la main au ratissage lancé contre eux dans les rues de leurs villages.
Mercredi, quatorze membres des forces de sécurité ont été tués dans des combats avec des hommes armés qui tentaient d'empêcher l'arrestation à Khirbet al-Ma'zah d'un gros bonnet des chabihas, Mohammed Kanjo Hassan, un des responsables des crimes à la prison de Saydnaya, près de Damas. Le général Kanjo Hassan, chef de la justice militaire sous Bachar el- Assad, a finalement été arrêté à Khirbet al-Ma'zah avec 20 membres de sa garde rapprochée, selon l'Organisa- tion syrienne des droits de l'homme.
En face de la maison d'Abdoul Hussein Mansoura, un ancien cadre des redoutés services de renseignements a déguerpi pour se cacher dans la montagne, laissant son épouse der rière lui. D'autres, dans le voisinage, ont fait de même. Si Abdoul Hussein Mansoura ne croit pas qu'ils puissent lancer une insurrection au plan national contre le nouveau pouvoir, les reliquats de la dictature peuvent jouer sur les peurs et manipuler des Syriens, désorientés par la rapidité des changements.