Par Georges Malbrunot, LE FIGARO
RÉCIT - Durant le week-end, selon nos informations, le dictateur serait parti seul, de son côté, vers la Russie, ses cousins et proches auraient gagné le Liban, son frère, Maher, le chef de la IVe Division, demeurant introuvable.
Après un quart de siècle au pouvoir et treize années de guerre à ses opposants qui ont fini par le renverser, Bachar el-Assad a quitté la Syrie samedi soir, seul, sans même prévenir ses proches, selon les informations recueillies par Le Figaro.
Même si le Kremlin n’a pas confirmé lundi sa présence à Moscou, des agences de presse russes ont affirmé dimanche soir que le dictateur déchu se trouvait en Russie « avec les membres de sa famille », et que « l’asile » leur a été accordé « sur la base de considérations humanitaires ». « Son entourage professionnel a perdu contact avec Bachar samedi vers 22h30 », affirme un Syrien, proche de l’ancien régime. Juste après qu’Assad est monté dans un avion privé à l’aéroport international de Damas et a décollé pour Moscou. « Les membres de son équipe ont alors commencé à se poser des questions voyant que Bachar ne répondait pas à leurs appels », ajoute notre source.
Au «Palais du peuple», où travaillait Assad, deux personnes occupaient des fonctions importantes autour de lui : le secrétaire général du palais, Mansour Azzam, et son adjointe, Lina Kinaya. Le tandem n'aurait pas été prévenu par leur chef de sa fuite vers la Russie, Assad craignant probablement des fuites auprès de ses ennemis. «Lina Kinaya est encore à Damas, Mansour Azzam, lui, est injoignable, comme pas mal de conseillers ou de responsables des services de renseignements», selon l’officiel, qui reste discret, attendant que la route vers le Liban soit sécurisée pour partir à son tour.
Certains avaient visiblement anticipé la chute
Dans un sauve-qui-peut général, vers une heure du matin dimanche, les gardes d’Assad et quelques proches auraient commencé à partir de Damas, en direction du Liban, et de leur fief dans la montagne alaouite, sur la côte méditerranéenne, le bastion de la famille Assad. Habituée des chaînes de télévision arabes et anglo-saxonnes, Boutheina Shaaban, une proche conseillère de Bachar el-Assad serait parvenue à se réfugier au Liban, mais l’information n’a pas été confirmée.
Alors que les rebelles encerclaient Damas, il fallait aller vite pour échapper à leur vindicte, la route vers le Liban ayant été coupée à partir de deux heures du matin. Quelques officiers chrétiens des services de renseignements et la famille d’un ministre ont tout de même pu fuir à Beyrouth, selon une source libanaise dans la capitale de ce pays.
Certains membres de la famille Assad avaient visiblement anticipé la chute de leur cousin. Samedi dans la journée, Ihab et Iyad Makhlouf, deux frères issus des Makhlouf, le clan de la mère de Bachar, avaient fui vers le Liban. Selon nos informations, Ihab Makhlouf a été abattu près de la frontière libanaise et Iyad serait hospitalisé dans un lieu tenu secret au Liban.
Leur frère, Rami Makhlouf, ancien argentier du régime que Bachar avait assigné à résidence depuis plusieurs années, a été plus chanceux. Il aurait réussi à se réfugier à Dubaï, aux Émirats arabes unis, où des membres de la famille Assad, notamment Boushra, la sœur du dictateur, y résident depuis une dizaine d’années. En milieu de semaine dernière, l’homme longtemps le plus riche de Syrie était réapparu dans une vidéo publiée sur sa page Facebook, où il appelait les militaires syriens à «affronter les rebelles», tout en demandant aux habitants d’Alep et de Hama, ville qui venaient de tomber, de leur «pardonner».
Placé sous surveillance parsoncousin Bachar à Salanfeh, dans la montagne alaouite, Rami Makhlouf a pu prendre un avion pour Dubaï, à partir de l’aéroport voisin de Lattaquié. En 2021, Ali, son fils aux allures de playboy, avait été filmé au volant d’une Ferrari Spyder d’une valeur de 300000 dollars à Beverly Hills, le quartier huppé de LosAngeles, aux côtés d’un mannequin. Rami Makhlouf personnifiait la corruption du régime, une vérité connue de tous les Syriens.«Ils’ensortbien,ilpourravivre, il a ce qu’il faut. Les imbéciles de l’histoire, ce sont les petites mains du régime, ceux quisont restés et n’ont pas pu fuir», constate amèrement l’un d’eux.
Luttes fratricides
Alors que les Syriens pavoisent, il ne reste donc apriori plus personne du clan Assad à Damas, quarante-huit heures après sa chute. Asma, son épouse, ne se trouvait pas forcément dans l’avion samedi soir avec son mari. Selon plusieurs sources, l’ex-première dame était déjà dans la capitale russe où Hafez, l’aîné de ses fils, est étudiant en doctorat de mathématiques. «Asma se rendait régulièrement à Moscou pour se faire suivre médicalement, car elle souffrait d’un cancer du sang depuis le printemps, après s’être remise d’un autre cancer», souligne un diplomate qui suit de près le dossier syrien. L’ancienne avocate d’affaires, insensible aux drames des Syriens ces dernières années, pourrait s’être installée récemment à Moscou. On ignore où se trouvent Zein et Karim, les deux autres enfants du couple Assad.
Mais où est donc passé Maher, le frère de Bachar et féroce chef de la IVe Division ? Certains l’annoncent dans un émirat du Golfe, d’autres en Biélorussie, et d’autres encore… en Syrie sur une des deux bases russes. «Les Russes l’ont gardé pour gérer un éventuel retrait logistique de leurs gros moyens sur leur base», croit savoir un diplomate arabe au Moyen-Orient. Le récupéreront-ils à Moscou, alors que Maher était l’homme des Iraniens en Syrie et qu’il était en bisbilles avec Bachar ? «Son sort dépendra des négociations entre les rebelles et Moscou sur l’avenir des bases russes en Syrie», explique cette source, selon laquelle «à la fin, les Russes pourraient le sacrifier et le remettre aux rebelles en échange du maintien de leurs bases».
Une chose est sûre : Bachar et Maher étaient en conflit, ces derniers temps, ce qui n’était pas une nouveauté dans une famille où, depuis des décennies, les luttes fratricides sont quasiment de notoriété publique. «Leur dispute était connue depuis qu’Asma avait voulu accroître encore son portefeuille de richesses, elle était trop sous les feux des projecteurs, Maher n’aimait pas cela», confie un homme d’affaires. Rien d’étonnant donc que Bachar ne l’ait pas convié à monter dans le même avion que lui samedi soir, alors qu’il prenait la fuite pour échapper à la vengeance des Syriens.