Entre Israël et l’Arabie saoudite, le mirage d’une normalisation

Entre Israël et l’Arabie saoudite, le mirage d’une normalisation
الثلاثاء 23 يناير, 2024

Hélène Sallon, Beyrouth, correspondante / Le Monde

Les Etats-Unis ne jurent que par le rapprochement entre les deux puissances régionales pour régler pacifiquement la question palestinienne, alors même que la guerre a durci les positions des opinions et des chancelleries du Moyen-Orient.

 

L’idée d’un grand accord régional pour mettre fin à la guerre dans la bande de Gaza et prévenir un embrasement au Moyen-Orient refait surface. Avec un air de déjà-vu, une normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël est agitée en contrepartie de la création d’un Etat palestinien. Il renvoie aussi bien, côté saoudien, à l’initiative de paix arabe du roi Abdallah de 2002 qu’au plan du prince héritier Fahd de 1981.

Avant que la guerre entre l’Etat hébreu et le Hamas ne vienne dissiper, le 7 octobre 2023, l’illusion d’un Moyen-Orient en passe de renouer avec la stabilité, les conseillers du président américain, Joe Biden, promettaient de réaliser ce tour de force à temps pour le lancement de la campagne pour le scrutin présidentiel de novembre 2024.

Dans un étrange flash-back, la formule est ressortie aux dirigeants arabes comme une solution miracle par les émissaires américains. Sans aucune autocritique, comme si aucune leçon n’avait été tirée de trois mois d’une guerre brutale qui a durci les positions dans la région.

La normalisation israélo-saoudienne est ainsi érigée en priorité dans le plan controversé du conseiller pour le Moyen-Orient du président américain, Brett McGurk, qui a fuité dans la presse américaine. L’homme, à qui l’on prête d’avoir convaincu Joe Biden de renouer avec le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman, dit « MBS », à l’été 2022, et de poursuivre le projet de normalisation amorcé en 2020 par les Emirats arabes unis et Bahreïn par son prédécesseur, Donald Trump, y propose de stabiliser Gaza en quatre-vingt-dix jours.

Au forum de Davos, le 17 janvier, le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, n’a pas montré le même optimisme. Néanmoins, dans la vision du « jour d’après » la guerre à Gaza qu’il a esquissée, la normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite apparaît aussi comme l’alpha et l’oméga d’une solution. « Nous poursuivons activement une voie vers la normalisation et l’intégration avec nos partenaires régionaux. Un avenir dans lequel Gaza ne sera plus jamais utilisée comme plate-forme pour le terrorisme, où les Arabes et les Israéliens pourront vivre en paix, où les Palestiniens auront leur propre Etat et où la sécurité d’Israël sera assurée », a-t-il explicité.

Fiasco américain
Ce tableau idyllique manque de propositions concrètes pour parvenir à cet horizon de paix et de sécurité. La tournée effectuée, début janvier, dans dix pays de la région, par le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, n’a pas apporté un début de réponse.

Qualifiée de « fiasco » par des diplomates, elle a été dominée par la catastrophe humanitaire dans la bande de Gaza et l’escalade provoquée en mer Rouge par les attaques des rebelles yéménites contre les navires maritimes qui empruntent le détroit de Bab Al-Mandab en direction du canal de Suez. Le sentiment domine, à Washington, que le président Biden se contente du service minimal d’ici à la présidentielle de novembre. Il veut mettre fin au chaos provoqué par l’opération militaire israélienne dans la bande de Gaza et obtenir l’engagement des pétromonarchies du Golfe qu’elles mettront la main à la poche pour la réponse humanitaire. Sur la question du « jour d’après », les dirigeants arabes continuent de conditionner l’ouverture de négociations concrètes à un cessez-le-feu dans l’enclave palestinienne. La cruelle réalité de la guerre, qui a déjà fait plus de vingt-cinq mille morts dans la bande de Gaza, et le durcissement des opinions arabes contre Israël et les Etats-Unis contraignent l’action des gouvernements de la région, même ceux qui, en coulisses, appellent de leurs vœux l’élimination du Hamas.

C’est le cas en Arabie saoudite, où, selon un sondage mené fin 2023 par le Washington Institute for Near East Policy, 96 % des interviewés étaient favorables à la rupture de « tout contact diplomatique, politique, économique et autre avec Israël » par les pays arabes, pour protester contre son action militaire à Gaza. Bien qu’ultra-répressif, le régime saoudien ne peut pas ignorer ce sentiment dominant au sein de sa population.

Les dirigeants saoudiens sont invités à la prudence, malgré leurs déclarations d’intention répétées, depuis la rencontre entre Antony Blinken et « MBS » à Al-Ula, le 8 janvier, selon lesquelles la normalisation avec Israël reste sur la table dans le cadre d’un accord global pour la résolution du conflit palestinien.

« C’est un leurre, mais “MBS” est partisan de ne pas fâcher l’Amérique, tout en sachant parfaitement que c’est infaisable. A des fins tactiques, il continue à faire croire que ce n’est pas entièrement enterré », analyse Fatiha DaziHéni, spécialiste de la péninsule Arabique et du golfe Persique à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem). La couronne saoudienne est tétanisée à l’idée que les rebelles houthistes puissent lancer des représailles sur son territoire, en réponse aux frappes que mènent contre eux Londres et Washington.

Une escalade risque d’enterrer l’ambition du jeune souverain d’attirer investisseurs étrangers et touristes dans le cadre de son plan de modernisation du royaume, « Vision 2030 ». Pour « MBS », l’ordre des priorités n’a pas changé : le règlement de la question palestinienne est un préalable à une normalisation avec Israël. « Il y a un désaccord avec les Américains sur l’ordre des priorités, estime l’expert saoudien Aziz Alghashian. Le paradigme américain est toutefois en train de changer. Il leur apparaît désormais clairement que c’est Israël, et non les Palestiniens, qui fait obstacle à une solution de paix. L’administration Biden a les leviers pour forcer Benyamin Nétanyahou à s’engager sur la création d’un Etat palestinien, mais elle ne veut pas les utiliser, car ce serait coûteux en pleine année électorale. » Le premier ministre israélien n’est pas prêt à lui faciliter la tâche.

Le 18 janvier, M. Nétanyahou a affirmé que tant qu’il serait au pouvoir, un Etat palestinien ne verrait pas le jour.