Entre Joe Biden et Xi Jinping, le ton a changé

Entre Joe Biden et Xi Jinping, le ton a changé
الخميس 23 نوفمبر, 2023

Le Monde

Si les deux présidents ont prudemment renoué le dialogue à San Francisco, où ils se sont rencontrés le 15 novembre, les divergences géopolitiques, économiques et idéologiques pèsent toujours autant sur la relation entre la Chine et les Etats-Unis, estime dans sa chronique Alain Frachon, éditorialiste au « Monde ».


Un journaliste interroge Joe Biden sur les entretiens qu’il vient d’avoir, mercredi 15 novembre, avec Xi Jinping : « Le considérez-vous toujours comme un dictateur ? » C’est ainsi que le président américain avait, en 2022, qualifié son homologue chinois. Réponse de Biden en 2023 : « Et bien oui, c’est ce qu’il est. » L’Américain ajoute : « Il l’est comme un gars qui dirige un pays dont le système est totalement différent du nôtre. »

A Pékin, le « gars » en question n’a visiblement pas apprécié. Le ministère des affaires étrangères qualifie cet échange de « manipulation irresponsable à laquelle la Chine s’oppose fermement ». Joe Biden a-t-il d’une petite phrase torpillé le résultat d’un sommet – tenu à San Francisco à l’occasion du Forum de coopération Asie-Pacifique – avant tout destiné à mettre un peu de baume sur une relation sino-américaine dégradée comme jamais depuis quarante ans ?

En pleine année électorale, l’octogénaire de la Maison Blanche confirmerait ainsi sa réputation de « Monsieur super-gaffe ». A moins qu’il n’ait mis le doigt sur l’un des éléments clés qui plombent la relation entre les deux premières économies de la planète. On veut parler du fossé politico-idéologique qui les sépare – et que quatre heures de conversation dans une villa de rêve du Nord californien n’étaient pas de nature à combler.

Il n’empêche, ce sommet marque « une pause dans la rivalité » Pékin-Washington, écrit cette semaine le sinologue François Godement, de l’Institut Montaigne. Ces derniers mois ont connu la reprise d’échanges ministériels dans tous les domaines. Avant même le déjeuner californien, les deux pays ont créé un groupe de travail sur le climat. A San Francisco, ils ont décidé de reprendre les contacts, interrompus depuis un an, entre leurs armées.

« Cool attitude »
L’objectif est de remédier à une situation où l’on frise chaque jour l’incident quand se croisent dans l’espace aérien et maritime du Pacifique occidental patrouilles chinoises et américaines. Les Chinois ont accepté d’arrêter leurs exportations de composants chimiques nécessaires à la fabrication du fentanyl, cet opioïde de synthèse qui a fait des centaines de milliers de morts aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années.

Le ton a changé. Ce n’était plus, côté chinois, celui de la diplomatie des « loups guerriers » : enterrée tout soudain cette ode à l’émergence de la superpuissance chinoise doublée d’une agressive dénonciation de toutes les vilenies commises par un Occident déclinant. La génétique de San Francisco, où l’on cultive volontiers une manière de cool attitude, a dû jouer. Plus important, Xi était demandeur, il a besoin de Wall Street.

Face à une conjoncture économique alanguie, le président chinois sollicite un regain d’investissements américains dans son pays. Il a tenté de charmer un parterre de vedettes du gros business d’outre-Atlantique. Il ne digère pas les restrictions à l’exportation de certains éléments de haute technologie décidées par l’administration Biden.

C’est là que l’idéologie intervient. La politique intérieure menée par Xi depuis son arrivée au pouvoir en 2012 interagit sur sa politique extérieure et façonne en partie la relation Pékin-Washington. On sait les traits qui dessinent le profil de la Chine d’aujourd’hui : mise en surveillance numérique de la population ; écrasement de toute dissidence domestique ; loi sur l’espionnage des « datas », qui est une menace pour les entreprises étrangères ; sort peu enviable réservé à Hongkong et intimidantes gesticulations armées autour de Taïwan ; enfin, martelé avec toute la force de la machine de propagande du parti-Etat, discours sur le déclin américain et la supériorité intrinsèque du modèle chinois, sans parler de la nécessité de « désoccidentaliser » l’ordre international… Rien de tout cela ne crée le climat de confiance permettant la renaissance d’une relation sino-américaine durablement apaisée. Même dans un pays où la dialectique accomplit des miracles.

Synthèse difficile
Les Etats-Unis ont une ambition plus simple. Dans leur document stratégique d’octobre 2022, ils dressent ce constat : « La Chine est le seul concurrent [des Américains] qui a l’intention de reformater l’ordre international et qui, chaque jour davantage, dispose des moyens économiques, diplomatiques, militaires et technologiques pour ce faire. » Washington ne veut ni comploter contre le régime au pouvoir à Pékin, ni même découpler les deux économies, mais l’Amérique entend préserver ou accentuer son avantage compétitif dans certaines des technologies qui formeront le paysage économique et militaire de demain.

La Chine de Xi a choisi de cultiver une posture idéologique antiaméricaine sur la scène internationale – notamment en finir avec la présence militaire des Etats-Unis dans le Pacifique occidental. A l’intérieur, elle juge « hostile » et combat l’influence politico-culturelle que l’Amérique peut exercer dans l’empire du Milieu. Cette politique est-elle compatible avec les propos tenus par Xi, à San Francisco : « La question numéro un pour nous est de savoir si nous sommes partenaires ou adversaires », a-t-il interrogé, assurant qu’il était prêt, de son côté, à jouer les partenaires.

Mais Joe Biden doit, lui aussi, gérer quelques contradictions : contenir la percée de la Chine dans certaines technologies ; endiguer son expansionnisme en Asie et ailleurs ; enfin « la cajoler, écrit Ed Luce du Financial Times, pour qu’elle accepte l’ordre international hérité de 1945 ». Synthèse difficile, qui suppose sans doute de ne pas traiter trop souvent l’empereur Xi de « dictateur ». La relation PékinWashington va rester pour le moins rugueuse, très éloignée de la cool attitude californienne.p