Le prix du baril de brent de la mer du Nord a retrouvé son niveau de la fin de 2021, alors que les pays exportateurs de pétrole augmentent leur offre sur le marché.
Par Adrien Pécout. LE MONDE.
Bientôt davantage de barils de pétrole sur le marché, mais potentiellement moins de clients : voilà pour les perspectives mondiales, sur fond de tensions commerciales après le retour du président américain, Donald Trump, le 20 janvier, à la présidence des Etats-Unis. Par anticipation, les cours de l’« or noir » s’en ressentent déjà. Mercredi 5 mars, le prix du baril de brent de la mer du Nord (du brut pour livraison en mai) s’est replié en cours de journée à son niveau le plus bas depuis décembre 2021. Soit 68,33 dollars (63,31 euros environ), avant de conclure la séance du lendemain, jeudi, à 69,46 dollars, en baisse de 5 % par rapport à la fin de février. Loin des standards de l’année 2022 (101 dollars en moyenne), marquée par le début de l’invasion russe en Ukraine.
Après plusieurs reports, la sensation de ces derniers jours est venue de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) – dont ne fait pas partie le premier producteur de la planète, à savoir les Etats-Unis. Lundi 3 mars, le cartel a annoncé le « retour progressif et flexible », à partir d’avril, de 120 000 barils supplémentaires sur le marché pendant un an et demi. De quoi réintroduire, à terme, 2,2 millions de barils quotidiens laissés sous terre, depuis novembre 2022, par cinq des douze membres de l’OPEP (Arabie saoudite, Irak, Emirats arabes unis, Koweït et Algérie) et trois de ses alliés (Russie, Kazakhstan et Oman).
De prime abord, il y aurait matière à s’étonner. Fin 2022, les coupes drastiques, soit des « ajustements volontaires », selon l’euphémisme de l’OPEP, s’ajoutant à des coupes préalables, visaient à maintenir les prix à des niveaux élevés. Un point primordial pour des pays dont les revenus dépendent en grande partie de leurs compagnies pétrolières nationales, à commencer, côté saoudien, par Saudi Aramco : plus de 106 milliards de dollars de bénéfice net en 2024, soit environ 12 % de moins qu’en 2023.
« Résoudre l’inflation »
Alors pourquoi vouloir rouvrir les vannes ? L’OPEP met en avant « des perspectives positives du marché ». Une autre façon de voir les choses est de rappeler qu’une baisse accentuée des prix pourrait permettre au cartel de regagner, après coup, des parts de marché. Et pour cause, elle écarterait les concurrents dont les coûts de production sont trop élevés, par exemple ceux travaillant dans le pétrole non conventionnel (schiste) aux Etats-Unis. « Si les prix continuent de baisser, les producteurs de pétrole américains commenceront à en souffrir et la production nationale américaine pourrait cesser de croître », estime Jorge Leon, analyste pour Rystad Energy.
Après que Donald Trump a martelé son intention de forer des puits et des puits, avec le vieux slogan du parti républicain « Drill, baby, drill ! », son entourage fixe une cible : ramener le prix du baril autour de 50 dollars, un niveau observé notamment en 2016 et en 2017, pour soulager la facture des automobilistes. Une façon de « résoudre l’inflation », a encore promis Peter Navarro, conseiller économique de la Maison Blanche, mardi 4 mars, au micro de Fox News. C’est en 2024, sous la présidence du démocrate Joe Biden, prédécesseur de M. Trump, que la production américaine a battu son record : plus de 13 millions de barils par jour.
Ces derniers mois, d’autres pays hors de l’OPEP ont soutenu la croissance de l’offre. C’est le cas du Guyana, sous l’impulsion de la major numéro un des Etats-Unis, ExxonMobil. Si bien que le ministre français des outre-mer, Manuel Valls, se dit prêt à « ouvrir le débat » sur la loi Hulot de 2017, et donc à envisager d’autoriser à nouveau la recherche d’hydrocarbures en Guyane.
Juste à côté, le Brésil du président Luiz Inacio Lula da Silva compte déjà parmi les dix plus gros pays producteurs mondiaux. Le 18 février, le gouvernement brésilien confirmait son adhésion à la charte de coopération entre pays producteurs de pétrole, liée à l’OPEP, sans contrainte de production. Et ce, tout en préparant l’organisation, pour novembre, dans la ville amazonienne de Belem, de la prochaine Conférence des Nations unies sur le climat, la COP30. Un événement censé lutter contre le dérèglement climatique… dont le pétrole, en tant qu’énergie fossile, est précisément l’une des causes. « Les pays ayant du pétrole dans leur sous-sol veulent pouvoir le valoriser, c’est-à-dire pouvoir le produire et le vendre, avant que la demande de pétrole ne commence à décroître », analyse Olivier Gantois, président de l’Union française des industries pétrolières.
A très court terme, les interrogations sur la demande sont avant tout liées à l’agressivité commerciale de Donald Trump. « Les droits de douane américains font peser le risque d’un ralentissement de la croissance économique et d’une pression à la baisse sur la croissance de la demande de pétrole », selon Ann-Louise Hittle, analyste pour Wood Mackenzie. Jeudi 6 mars, le 47e président des Etats-Unis annonçait geler, jusqu’au 2 avril, toute une partie du dispositif mis en place, deux jours plus tôt, contre le Mexique et le Canada. Sans toucher, cependant, aux barrières douanières déjà dressées contre la Chine. D’autres pourraient suivre contre l’Europe, Donald Trump ayant ouvertement menacé, le 26 février, d’appliquer « prochainement » un taux de 25 %.
Dans ses prévisions de février, l’Agence internationale de l’énergie s’attend à ce que l’offre totale de pétrole en 2025, c’est-à-dire 104,5 millions de barils par jour, dont 49,9 millions sont issus de l’OPEP ou de ses alliés, soit supérieure à la demande. Pronostic inverse de la part du cartel.