Par Ardavan Amir-Aslani, Atlantico
L’accord de normalisation signé en mars dernier entre l’Iran et l’Arabie Saoudite sous l’égide de la Chine promettait beaucoup. Il se fondait en effet sur un espoir d’apaisement au Moyen-Orient grâce à une véritable coopération économique entre les deux rivaux, qui avaient rompu toute relation diplomatique en 2016 et ne cessaient, depuis lors, de se faire la guerre par procuration à travers la région. Néanmoins, en dépit de multiples réunions officielles tant à Riyad qu’à Téhéran entre les officiels des deux pays, rien de véritablement concret ne semble avoir encore émergé de cet accord. Faut-il dès lors le considérer comme une coquille vide ?
La genèse de ce rapprochement dénote une lente et patiente maturation, qui contredit ce point de vue. Les considérations économiques et sécuritaires sont en effet essentielles pour expliquer cette réconciliation. Dès 2019, à la suite des attaques menées sur son sol et attribuées à l’Iran, l’Arabie Saoudite a été en pourparlers avec son puissant voisin pour normaliser leurs relations. En effet, le développement de son plan de transition économique « Vision 2030 » nécessite paix et stabilité dans la région. Or, le préalable à cet objectif louable est un cessez-le-feu durable au Yémen avec les Houthis, ce qui place l’Iran comme interlocuteur incontournable dans les négociations de paix.
Pour sa part, Téhéran nourrit également des espoirs de retombées économiques de son rapprochement avec Riyad. Ainsi, il pouvait légitimement espérer de la première économie régionale, non seulement des investissements majeurs dans le pays, mais aussi qu’elle influence positivement Washington en faveur d’une levée des sanctions pour soulager l’économie iranienne. Or, dans un cas comme dans l’autre, les espoirs de l’Iran ont pour l’instant été déçus, d’abord en raison des réticences des investisseurs étrangers faute d’un cadre financier suffisamment solide. Le fait que l’économie iranienne demeure toujours sous sanctions américaines explique également cette frilosité. De fait, l’Iran ne parvient donc pas à sortir de ce cycle infernal.
La guerre à Gaza a par ailleurs recréé les conditions d’une instabilité globale et entraîné des conséquences géopolitiques qui menacent la viabilité de la normalisation irano-saoudienne. Certes, le conflit a gelé les négociations entre Tel-Aviv et Riyad, qui semblait en voie d’adhérer aux accords d’Abraham, ce qui convient aux orientations stratégiques de Téhéran. Mais la guerre entre le Hamas et l’État hébreu a presque immédiatement déclenché une réponse militaire des Houthis, qui depuis le Yémen ont attaqué le sud d’Israël ou les navires battant pavillon israélien. Or, il est évident qu’une résurgence de la guerre au Yémen constitue une menace claire pour l’accord entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.
Pour autant, on sent une volonté réciproque d’éviter tout débordement du conflit à l’échelle régionale. Et de fait, le dialogue mutuel entre Iraniens et Saoudiens a, pour l’heure, su résister aux évènements. Le 11 novembre dernier, en marge du sommet de l’Organisation de la coopération islamique dédié à la situation à Gaza, Ebrahim Raïssi et « MBS » se sont rencontrés pour la première fois. Quinze jours plus tard, le chef de l’état-major iranien confirmait s’être entretenu avec son homologue saoudien en vue d’une coopération approfondie des deux pays dans le domaine sécuritaire. Mais sur le plan économique, rien de précis n’a été annoncé, du moins officiellement. Plusieurs médias ont ainsi évoqué un « marchandage » proposé par le royaume wahhabite à l’Iran : l’apaisement des proxies iraniens – alors que ceux-ci se déclarent prêts à étendre le confit gazaoui à l’ensemble du Moyen-Orient – en échange de la promesse (pour le moins hypothétique et en tout cas très opaque) d’investissements saoudiens.
Indépendamment de la réalité de cette offre, savoir si l’Iran serait prêt à l’accepter est sujet à caution. Il est certain que Téhéran possède une réelle influence sur ces groupes qui composent « l’axe de résistance ». Mais ce réseau de proxies fait également partie de sa stratégie de défense, patiemment bâtie et renforcée depuis quarante ans afin de garantir sa propre intégrité territoriale. Selon toute vraisemblance, l’Iran n’abandonnerait donc jamais cet outil de projection de puissance pour des investissements à court terme, même si son économie pourrait en bénéficier. La pertinence de cette analyse peut être discutable. Elle n’en demeure pas moins fondamentale dans l’idéologie de la République islamique. L’autre risque, et non des moindres, serait de voir les proxies iraniens se détourner de leur parrain pour poursuivre leurs propres intérêts, en cas de désaccord politique et stratégique. Et le conflit à Gaza est un cas typique où des divergences idéologiques majeures peuvent se manifester.
Certes, le renforcement de l’entente entre les deux pays peut faciliter à long terme les possibilités commerciales et d’investissements. Indépendamment de l’évolution du conflit gazaoui, il n’en reste pas moins que les obstacles très concrets que l’on a évoqués demeurent, à commencer par ce régime de sanctions qui paralyse toute action de la part des investisseurs étrangers, en particulier lorsque ceux-ci sont des partenaires économiques des Etats-Unis. Aussi, tant que le conflit entre Israël et le Hamas durera, le dialogue entre Téhéran et Washington demeurera rompu, bloquant toutes les autres évolutions stratégiques, y compris avec les voisins régionaux de l’Iran. Militer en faveur d’une résolution du conflit à Gaza ne pourrait donc que servir les intérêts de Téhéran.