Par Antoun Souhaid
La récente libération d'otages par le Hamas marque un tournant majeur dans le conflit israélo-palestinien en cours. Cet échange, faisant partie d'un accord plus vaste, a des répercussions sur la trajectoire du conflit et sur la possibilité d'un cessez-le-feu général. Cependant, au fur et à mesure que la situation évolue, des interrogations émergent quant aux stratégies déployées par les deux parties et au contexte plus large du conflit.
Dynamique de la libération des otages
Depuis vendredi dernier, 46 otages ont été libérés par le groupe terroriste dans le cadre d'un accord prévoyant le retour de 50 otages en échange de 150 prisonniers palestiniens. Cinq otages avaient déjà été libérés avant la trêve, et près de 200 personnes restent encore retenues. La libération de 46 otages par le Hamas en échange de 150 prisonniers palestiniens reflète un processus de négociation complexe. L'arrêt temporaire des hostilités dû à la trêve humanitaire apporte une lueur d'espoir, mais la question qui se pose est de savoir s'il peut conduire à un cessez-le-feu durable.
Détermination d'Israël et réaction face au Hamas
L'histoire, notamment celle de la guerre de juillet 2006 au Liban, révèle que chaque fois qu'une milice attaquait Israël, la riposte était une représailles massive. Le Hamas a donc attaqué en connaissance de cause de la riposte israélienne. Cependant, pour les groupes terroristes, la mort est souvent perçue comme une victoire. Plus le nombre de décès est élevé, plus ils estiment avoir remporté une victoire contre leur ennemi.
Autrement dit, le Hamas n'a pas libéré les otages en fonction des frappes, mais dans le but d'obtenir un accord, une libération de prisonniers palestiniens, et de mettre en lumière le sort de ses prisonniers.
Israël a-t-il montré de la faiblesse ?
Obtenir la libération de 150 prisonniers palestiniens au prix de 15 000 morts, 17 000 blessés, 70 000 immeubles effondrés, 400 000 déplacés, et 8 000 personnes dont on ne connaît pas le sort à Gaza peut-il être véritablement considéré comme un succès ?
Le mouvement islamiste a certes posé les conditions de la trêve et de la libération des otages en poussant Israël à négocier. La victoire du Hamas se concentre sur deux points essentiels :
D'une part, il a obtenu un soutien dans le monde arabe et musulman parce qu'il a frappé Israël. Le Hamas a gagné en représentant, depuis le 7 octobre, davantage les Palestiniens que l'Autorité palestinienne, qui est plus en retrait dans cette guerre.
D'autre part, la négociation de la libération des otages et, par la suite, du sort de la guerre se fait avec le Hamas. Le groupe islamiste est donc l'interlocuteur des négociations israélo-palestiniennes, non l'Autorité palestinienne. Bien que plusieurs otages israéliens aient été libérés, il en reste encore entre les mains du Hamas. Il est donc dans l'intérêt du Hamas de prolonger la prise d'otage pour maintenir sa position d'interlocuteur avec Israël. Cependant, cet échange ne l'a pas renforcé, car ses infrastructures sont démolies, et il n'a pas obtenu le ratio d'échange souhaité, qui est actuellement d'un otage pour trois prisonniers palestiniens.
Le Hamas, en tant qu'organisation terroriste, capitalise sur deux éléments essentiels qui lui confèrent une force particulière, allant jusqu'à la cruauté : la surprise et la violence. Tout comme le Hezbollah au Liban ou tout groupe agissant en tant que milice, le Hamas est une organisation terroriste dont le mode opératoire repose sur l'effet de surprise et la violence. Ce groupe est capable de porter la barbarie à des sommets, ciblant des enfants, des femmes et des personnes âgées. C'est la raison pour laquelle les Israéliens, choqués par l'attaque du 7 octobre dernier, ont comparé les actes à l'attaque stupéfiante du 11 septembre 2001 aux États-Unis. L'effet de surprise consistant à prendre pour cible des civils, outre leur âge et leur sexe, est une caractéristique propre aux groupes terroristes. La mort devient ainsi une réalisation de leur objectif contre Israël, constituant une source de force pour eux. Du côté des Palestiniens, le nombre de décès est présenté par le Hamas comme un moyen supplémentaire de défendre leur cause.
La barbarie du Hamas légitime-t-elle la logique israélienne de neutraliser l'ensemble des membres du Hamas ?
Israël remportera-t-il la guerre ?
L'objectif officiel de la guerre est de mettre fin au Hamas. Même si l'État hébreu parvient à détruire l'infrastructure et à éradiquer les responsables du Hamas, l'idéologie de ce dernier continuera à prospérer et ne pourra pas être éradiquée. En d'autres termes, même si son infrastructure est détruite, ses racines ne disparaîtront jamais.
Les massacres commis par le Hamas sont intolérables, tout comme les actions de l'armée israélienne bombardant les populations civiles de Gaza en violation du droit international. La question se pose de savoir comment traiter le Hamas sur le plan politique. En d’autres termes, comment assurer la transition d'un groupe terroriste à un groupe politique non armé ?
Vers un isolement d'Israël sur la scène internationale ?
Au moment où Israël s'éloigne de sa vocation d'État démocratique, entouré par des régimes autoritaires arabes, et adopte une logique d'extrémisme, voire de fanatisme, comme c'est le cas en Cisjordanie avec sa politique de colonisation, l'État hébreu est en danger d'existence, et le soutien international qui lui est alloué pourrait diminuer. Près de deux mois après le début de la guerre, la communauté internationale utilise des moyens diplomatiques contre Israël en réprimandant le gouvernement de Netanyahou. Les rappels constamment répétées des puissances internationales, notamment américaines et françaises, au gouvernement de Netanyahou quant à la nécessité de respecter les règles du droit de la guerre ne semblent pas avoir été entendus jusqu'à présent.
Du côté israélien, la situation n'est pas celle espérée. Pour l'État hébreu, sa sécurité nationale est menacée, et la communauté internationale semble avoir peu d'influence sur lui, sachant que les États-Unis ne peuvent s'opposer à la volonté israélienne en période électorale par crainte de conséquences électorales graves. Israël a agi de manière pire, voire inverse, en menant une politique de barbarie massive contre le peuple palestinien, attaché à sa terre. Cependant, la crise de Gaza révèle une baisse du soutien à Israël. Ce changement vis-à-vis d'Israël s'est manifesté notamment dans la rue arabe, au Sénat américain et dans les universités anglo-saxonnes où un mouvement de boycott d'Israël a vu le jour.
La poursuite de la guerre coûte cher aux Occidentaux, de même que le maintien du soutien à Israël
Les Occidentaux souhaiteraient que les combats cessent et que la trêve perdure.
Contrairement au souhait de la communauté internationale, Israël a refusé de procéder à un cessez-le-feu. La Palestine vit un moment de trêve et non de cessez-le-feu, ce qui signifie que le combat peut reprendre à la fin de la période déterminée par les parties belligérantes.
Israël prolonge la trêve pour obtenir la libération des otages, et nous ignorons actuellement le nombre de décès du côté israélien. Cependant, nous savons très bien que, suite aux attaques terroristes du 7 octobre, les Israéliens ont souffert et veulent maintenir la guerre pour se venger. Il existe donc une opinion internationale demandant un cessez-le-feu et une opinion israélienne réclamant la vengeance et la poursuite des combats. Maintenir la guerre amplifie l'éloignement américain et européen et conduit à la montée de l'antisémitisme. Nous sommes donc passés de la critique de l'État d'Israël à l'antisémitisme.
Le cessez-le-feu est-il probable ?
La trêve est une opération gagnant-gagnant pour les belligérants pour plusieurs raisons :
D'une part, le nombre de civils tués va s'arrêter momentanément.
D'autre part, la riposte massive a terni l'image d'Israël aux yeux de la communauté internationale. La trêve montre bien qu'Israël peut comprendre la situation.
Enfin, le Hamas est gagnant parce qu'il est considéré comme l'interlocuteur par des nations qui ne le reconnaissent pas officiellement.
Si le cessez-le-feu se réalise, le résultat de cette guerre mènera inévitablement à plus de violence dans le futur, car sans justice, la violence engendre la violence. De plus, l'idéologie du sionisme, représentée par le gouvernement israélien actuel, se fonde sur un régime suprématiste dans lequel un groupe détient plus de droits qu'un autre. Autrement dit, la terre d'Israël appartiendrait aux Juifs et non aux Palestiniens qui y vivent, et le seul moyen de réaliser cette idéologie est par le biais d'une politique extrémiste menant à la violence.
La résistance est une réaction à l'oppression
Tant qu'une réelle volonté de trouver une solution ou d'exécuter la solution existante n'existe pas, la réponse palestinienne à une réaction suprématiste de la part des Israéliens sera l'utilisation de la violence. Or, l'utilisation de la violence servira d'argument à Israël pour légitimer auprès de la communauté internationale l'utilisation de la violence pour se défendre.
Une action politique visant à mettre fin à cette guerre : une solution politique par la négociation
Pour trouver une solution, il faut deux parties pour négocier. Or, une crise de représentation est nettement présente au sein des deux parties. Du côté palestinien, que ce soit le Hamas, une milice qui a initié la guerre et commis des atrocités, qui représentera le peuple palestinien, ou l'Autorité palestinienne qui est en retrait voire discréditée ? Chez les Israéliens, serait-il le gouvernement d'extrême droite dont l'objectif avoué est d'annexer la Cisjordanie ?
Pour affaiblir un groupe terroriste, il est nécessaire de créer un mouvement politique national de substitution qui puisse nourrir d'autres espoirs, notamment celui de la paix, et qui serve d'interlocuteur à Israël et le gouvernement de Netanyahou doit être sanctionné pour les actes de barbarie commis.
Compte tenu des actes de violence commis par les deux parties, la solution à deux États est actuellement une utopie. Néanmoins, reconsidérer cet objectif représente un premier pas et demeure la meilleure solution pour mettre fin à ce conflit dévastateur. Il est essentiel de soutenir l’Autorité palestinienne, qui prône la paix, et demeure la seule alternative viable.
En accroissant le nombre de pertes civiles en Palestine, le projet de stabilité dans la région est constamment repoussé, voire anéanti. Il ne peut y avoir de stabilité et de paix sans justice rendue aux Palestiniens, et ceci passe par leur octroi d'un territoire. En l’absence d’une solution politique, les mêmes causes de la guerre produiront inévitablement les mêmes effets. Il s’agit d’une question d'ajournement du conflit, laissant la possibilité d’une reprise des hostilités à tout moment.