Le renoncement de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis et l'incursion ukrainienne en Russie ont changé la donne. Non, Donald Trump ne sera pas forcément élu et la Russie ne gagnera pas obligatoirement la guerre. En l'espace d'un peu plus d'un mois, l'espoir a changé de camp, écrit Dominique Moïsi.
« Trump sera réélu Président des Etats-Unis et la Russie imposera ses conditions de paix à l'Ukraine. » C'était le 20 juillet dernier. Juste à la veille de la décision de Joe Biden de ne pas se représenter . Mon interlocuteur, qui me résumait ainsi sa pensée, est un très haut gradé de l'armée française. Il ne faisait que traduire le consensus qui pouvait exister au début de l'été au sein des élites françaises et sans doute mondiales.
Cette double résignation n'est plus à l'ordre du jour. En l'espace d'un peu plus d'un mois, l'espoir a changé de camp. Ne serait-il pas plus juste de dire que l'espoir est de retour ? En se retirant très tardivement de la course à la Maison-Blanche, Joe Biden a choisi ouvertement Kamala Harris . Le temps manquait pour organiser une vraie campagne au sein du Parti démocrate. Les images de la Convention nationale des démo crates à Chicago évoquent bien sûr celles de 2008, mais avec peut-être une différence significative. Barack Obama était plus aristocratique et distant. Kamala Harris est plus chaleureuse, plus joyeuse surtout. Est-ce le soulagement après la peur de la catastrophe annoncée si Biden maintenait sa candidature ? L’enthousiasme est plus grand encore chez les démocrates en 2024 qu’en 2008.
Nationalisme positif
Tout comme Obama avant elle, Harris fait campagne sur l’espoir. Elle joue avec talent jusqu’à présent sur les émotions positives, au moment où son rival annonce, de manière apocalyptique, la Troisième Guerre mondiale (s’il n’est pas réélu bien sûr). Les émotions négatives reflètent sans doute l’évolution récente de l’Amérique mais elles sont en contradiction avec ses fondamentaux optimistes. S’il l’emporte, comme cela semble possible (mais trois mois est une éternité en politique), le Parti démocrate aura fait la démonstration qu’un nationalisme positif et modéré sur fond de clarté morale constitue la meilleure des réponses au populisme. « Ayez confiance en vous et en vos valeurs » dit Kamala Harris, répliquant ainsi au : « Ayez peur de tout et surtout de l’Autre » de Donald Trump. En choisissant Tim Walz, le gouverneur du Minnesota, Kamala Harris conteste à Donald Trump son quasi-monopole sur le vote des cols-bleus. Personnalité rassurante, chaleureuse, populaire dans le meilleur sens du terme, Walz peut aussi attirer un élec torat plus rural, qui risquait de faire cruellement défaut aux démocrates.
Mais la force du duo Harris-Walz ne tient-elle pas surtout aux limites du ticket Trump-Vance, le second renforçant les faiblesses du premier ? Tant que les candidats du Parti démocrate étaient Biden-Harris, le choix de Vance, une grande gueule particulièrement extrémiste dans ses prises de position (en particulier sur l’avortement) pouvait se justifier. Aujourd’hui, à l’inverse, le choix de Tim Walz par Kamala Harris ne fait que souligner la radicalité, sinon le machisme anachronique de JD Vance. Galvanisées par Michelle Obama, les femmes ne peuvent que se mobiliser massivement, tout comme les jeunes.
Mauvais perdant en 2020, Donald Trump ne serait-il pas un mauvais candidat en 2024 ? Une fois éliminé l’obstacle qu’aurait pu constituer la Justice, trop sûr de lui et de sa revanche inéluctable sur Biden, Trump semble avoir du mal à être autre chose que sa caricature. Rien n’est certes joué dans une Amérique à ce point polarisée. Et le Parti démocrate doit se garder de mettre trop en avant la carte identitaire. Mais la dynamique est incontestablement passée du côté des démocrates.
Sur le front de la guerre en Ukraine, rien n’est joué non plus. Mais en portant les combats profondément à l’intérieur du territoire russe et en s’emparant de plus de 100 localités, Kiev a marqué des points sur Moscou. L’effet de surprise semble avoir été total. En créant (pour combien de temps ?) une zone tampon à ses frontières, l’Ukraine a fait une nouvelle fois la démonstration que le petit David ukrainien pouvait équilibrer, sinon déstabiliser le Goliath russe.
Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des combats se déroulent à l’intérieur même de la Russie. Par centaines de milliers, des populations russes doivent chercher refuge plus à l’intérieur de leurs territoires. Une opération militaire spéciale qui devait mettre rapidement l’Ukraine à genoux commence à ressembler à un désastre qui ne fait que souligner les faiblesses de la Russie de Poutine et plus particulièrement celles de son armée.
La fatigue change de camp
Les Ukrainiens sont trop réalistes pour crier victoire (et les Russes continuent de progresser de manière significative dans le Donbass). Mais ces territoires momentanément conquis ont, au-delà de leur valeur stratégique, une double utilité potentielle. Servir de monnaie d’échange demain dans le cadre d’une négociation qui finira bien par se tenir. Et, sur un plan plus psychologique, faire que la fatigue change de camp.
Moscou, depuis le début du conflit, compte sur la fatigue des Occidentaux d’abord, sur celle des Ukrainiens ensuite. Et si les Russes se fatiguaient de la guerre avant les Ukrainiens ? Et si les services de sécurité russes se lassaient de Poutine, de ses prises de risques excessives, sinon de ses dérives idéologiques ? Ouvrir la Russie aux étrangers fuyant l’idéologie « néolibérale destructrice » de l’Occident, comme vient de l’annoncer généreusement le maître du Kremlin, est une chose. Garantir la sécurité des territoires russes face aux « terroristes » ukrainiens en est une autre.
Poutine attendait avec confiance la victoire de Donald Trump aux États-Unis. Celle de Kamala Harris constituerait, pour lui, une source d’embarras. Dans son discours de clôture de la Convention démocrate à Chicago, Kamala s’est clairement opposée à tous ceux qui « font ami-ami avec les dictateurs ». De plus, au moment où Moscou entend jouer le ressentiment du « Sud global » à l’égard de l’Ouest, l’arrivée à la tête de la première puissance occidentale et mondiale d’une femme tout à la fois noire et indienne pourrait brouiller les cartes.
Certes, la victoire du ticket Harris/ Walz aux Etats-Unis ne sera pas celle de l’Ukraine. Mais la victoire du ticket Trump/Vance serait perçu comme une défaite pour Kiev. L’Amérique de Trump n’abandonnerait pas nécessairement l’Ukraine, mais ne ferait pas preuve de la même fidélité, de la même empathie à l’égard des Ukrainiens que l’Amérique de Biden hier (et de Harris demain). Et si, de Washington à Kiev, l’espoir était permis ?
Les Echos