L’ÉDITO DE LUC DE BAROCHEZ. Alors que l’administration Biden opère un virage anti-Netanyahou, le chef du gouvernement israélien, en difficulté, parie sur l’élection de Trump en novembre.
L'une des surprises géopolitiques de la guerre à Gaza est l'incapacité des États-Unis à imposer la retenue au gouvernement israélien. Puissance tutélaire de l'État juif depuis l'administration Truman au début des années 1950, l'Amérique a longtemps été réputée y faire la pluie et le beau temps. Encore aujourd'hui, elle dipose de moyens de pressions considérables, militaires, diplomatiques, financiers. Benyamin Netanyahou en sait quelque chose, lui qui avait perdu le pouvoir en 1999 parce que ses électeurs lui reprochaient d'avoir terni les relations avec l'administration de Bill Clinton. Un quart de siècle plus tard, ce même Netanyahou tient tête à Joe Biden avec opiniâtreté. Mais la différence est qu'une grande partie de ses électeurs lui en sont reconnaissants.
Craignant que sa candidature, en novembre, soit une victime collatérale de la guerre, le président américain souhaite enrayer la désaffection des électeurs de gauche, qui l'accusent de partialité pro-israélienne après les massacres du 7 octobre. Il a fait adopter des sanctions contre des colons extrémistes; il a accéléré l'aide humanitaire; il a essayé, en vain, d'imposer à Netanyahou un cessez-le-feu avant le 11 mars, début du mois de ramadan. Désormais, il souhaite ouvertement sa chute.
Témoignage de l'immense frustration qui règne à Washington, le chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, a décrit Netanyahou, le 14 mars, comme un "obstacle à la paix" et a appelé à de nouvelles élections en Israël. Venant du sénateur de New York qui, depuis des décennies, est l'ami le plus fidèle de Jérusalem au sein du Partidémocrate américain, ces propos ont provoqué un choc.
Les États européens qui, comme la France, souhaitent la création d'un État palestinien à côté d'Israël se réjouissent du changement de ton de Washington et entrevoient déjà la fin de l'ère Netanyahou. C'est aller vite en besogne. Car ce que les Israéliens, dans leur majorité, reprochent à leur dirigeant, ce n'est pas de mener au Hamas une guerre sans concession! C'est au contraire d'avoir négligé la sécurité de l'État, d'avoir sous-estimé la menace islamiste et d'avoir ainsi permis aux escadrons de la mort venus de Gaza de commettre les pogroms du 7 octobre.
Les Israéliens étaient déjà en grande majorité hostiles à l'idée d'un Etat palestinien, ils le sont encore plus aujourd'hui. 71,5% des Juifs israéliens, selon un sondage réalisé le mois dernier, sont persuadés qu'un tel État, même démilitarisé, serait un foyer de terrorisme. Les mêmes enquêtes d'opinion indiquent que 44% des Israéliens aspirent à un retour de Donald Trump à Washington, contre 30% qui préféreraient une réélection de Biden. Dès lors, la tactique de Netanyahou se dessine: s'accrocher au pouvoir en misant sur un changement de titulaire à la Maison-Blanche. Le pari est risqué.
Le Premier ministre n'a atteint à ce jour aucun de ses buts de guerre affichés - éradication du Hamas, démilitarisation de la bande de Gaza, déradicalisation de la population palestinienne, libération des otages. Sur le plan politique, sa conduite de la guerre a refait l'unanimité du monde arabe contre Israël. Chez les Palestiniens, le soutien au Hamas est plus élevé que jamais. Dans ces conditions, les pressions de Washington ne vont pas manquer de se durcir à l'approche de l'élection présidentielle. Le bras de fer Biden-Netanyahou n'est pas encore joué.
Le Point