Après la série d’attaques au Liban, il revient au parti chiite d’engager ou pas une escalade décisive contre Israël.
Hélène Sallon, Le Monde
Une onde de terreur s’est à nouveau répandue à travers le Liban, mercredi 18 septembre. Dans la banlieue sud de Beyrouth, la tension est soudainement montée d’un cran, peu après 17 heures, lorsque des explosions ont retenti dans le fief du Hezbollah. Après l’explosion simultanée, la veille, de bipeurs qui a tué douze personnes et fait près de 3 000 blessés, en majorité des combattants du parti chiite, des talkies-walkies ont, cette fois, explosé à travers le pays, faisant vingt morts – parmi les combattants du Hezbollah, selon la formation – et 450 blessés, selon un bilan provisoire du ministère de la santé libanais.
La panique s’est emparée de la banlieue sud. Des membres du Hezbollah ont jeté leurs téléphones au sol, inquiets que tous les appareils de communication de la formation chiite soient compromis. Des habitants se sont mis à scruter avec angoisse le ciel, où des drones de surveillance israéliens avaient été repérés. La série d’attaques, imputée à Israël et dénoncée comme « aveugle et illégale » au regard du droit international par l’ONG Human Rights Watch, a réussi à instiller la peur et la paranoïa parmi la population.
Succès tactique pour Israël
Dans les rangs du Hezbollah, l’on se demande si cette opération est le prélude à une invasion israélienne du Liban sud ou un simple avertissement adressé au parti pour qu’il cesse ses attaques contre Israël. En octobre 2023, peu après l’attaque du Hamas contre l’Etat hébreu, le parti chiite a commencé à lancer des roquettes sur le nord d’Israël, pour desserrer l’étau sur le Hamas dans la bande de Gaza et capitaliser sur l’image de résistance dans le monde arabe. Alors que l’espoir d’une solution négociée dans la bande de Gaza et à la frontière libanaise s’amenuise, le ministre de la défense israélien, Yoav Gallant, a annoncé, mercredi, une « nouvelle phase de la guerre », cette fois dans le nord d’Israël.
« En démontrant sa supériorité en matière de renseignement, Israël a une fois de plus réussi à humilier le Hezbollah et, indirectement, l’Iran », estime Ali Alfoneh, chercheur à l’Arab Gulf States Institute, à Washington. La série d’attaques a désorganisé les rangs du Hezbollah, porté un coup au moral de ses partisans et réduit, dans l’immédiat, ses capacités de riposte. Avant même de préparer sa réplique, le Parti de Dieu va devoir identifier les failles de sécurité et les informateurs, et adapter ses protocoles de sécurité. « Ces formations apprennent de leurs erreurs et seront poussées vers l’autonomie technologique, pour réduire le risque d’infiltration », prédit Ali Alfoneh.
C’est un succès tactique pour Israël, mais pas encore une victoire stratégique. En s’émancipant progressivement du principe de la riposte graduée, qui a longtemps régulé, de manière tacite, sa confrontation avec le parti chiite, et en choisissant de porter des coups majeurs à la structure de commandement et à l’infrastructure militaire de ce mouvement, Israël a pris l’avantage. Le front de soutien au Hamas se referme comme un piège sur le Hezbollah et l’axe de la résistance. Par leur réticence à déclencher une guerre ouverte contre l’Etat hébreu, le Hezbollah et ses alliés ont vu leur pouvoir de dissuasion s’éroder au fil des mois.
Le Hezbollah est, une nouvelle fois, le dos au mur. La responsabilité d’enclencher ou non, en représailles, une escalade décisive contre Israël, lui revient. Son chef, Hassan Nasrallah, devrait dessiner la direction dans le discours qu’il prononcera jeudi après-midi. Le chef du conseil exécutif du parti chiite, Hachem Safieddine, a déjà promis à Israël, mercredi, une « punition spéciale », estimant que le Hezbollah est entré dans une « nouvelle confrontation avec l’ennemi ». Mais, selon Ibrahim Al-Amine, le rédacteur en chef d’Al-Akhbar, un quotidien libanais proche du Hezbollah, « compte tenu de l’ampleur de ce qui s’est passé, et quelle que soit la soif d’une réponse large et forte, la résistance ne cédera pas aux émotions. »
« Le Hezbollah est dans une position très délicate : refuser de riposter donne à l’organisation une apparence de faiblesse, d’impuissance et de compromis, ce qui encourage des attaques israéliennes encore plus audacieuses ; mais aller trop loin dans les représailles risque de donner au premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, l’excuse dont il a besoin pour mener l’opération militaire de grande échelle que beaucoup au sein de son gouvernement réclament à cor et à cri », abonde Daniel DePetris, analyste militaire au sein du cercle de réflexion Defense Priorities, basé à Washington.
Aveu de faiblesse
Bien que le parti chiite se vante de capacités militaires pouvant modifier l’équilibre des forces avec Israël en cas de guerre, une confrontation n’est pas dans son intérêt, au vu des conséquences humaines et économiques désastreuses au Liban, un pays déjà à genoux et polarisé. Samedi, le numéro deux du Hezbollah, le cheikh Naïm Qassem, le répétait : le Hezbollah « n’a pas l’intention de déclencher une guerre, jugée inutile, d’autant plus que les pertes seront énormes des deux côtés », a-t-il martelé, tout en estimant la formation « prête à toute éventualité. »
Depuis octobre 2023, et en dépit des appels en ce sens des chefs du Hamas dans la bande de Gaza, le Hezbollah et son parrain iranien se sont refusés à précipiter l’axe de la résistance dans une confrontation ouverte avec Israël. Ils ont préféré subir les coups, de plus en plus cinglants, portés par Israël. Ce dernier, y voyant un aveu de faiblesse, a rempli son carnet de cibles parmi les cadres du Hezbollah, du Hamas et des gardiens de la révolution iraniens, au Liban, en Syrie et en Iran. Depuis l’attaque contre le consulat iranien à Damas, en Syrie, le 1er avril, qui a ciblé des généraux iraniens, Israël a repoussé les lignes rouges par des opérations coup de poing. Le double assassinat du haut cadre militaire du Hezbollah, Fouad Chokr, à Beyrouth, le 30 juillet, et du chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, à Téhéran, le 31 juillet, ont marqué un tournant.
« Cette double attaque a renforcé la vulnérabilité du Hezbollah et de la République islamique, et leur a donné le sentiment qu’ils perdaient leur avantage stratégique à la faveur d’Israël. La peur a changé de camp. Le Hezbollah a compris que la guerre commençait à lui coûter cher, et à coûter cher au Liban aussi, et qu’il n’y avait pas d’issue », analyse un diplomate occidental.
Les intentions d’Israël, prêt à prendre le risque d’un embrasement régional, sont devenues plus difficiles à lire pour le parti chiite. A cela s’est ajoutée une désillusion envers les capacités de Washington à brider son allié israélien. Les efforts diplomatiques déployés par l’administration américaine pour empêcher une riposte cinglante de l’Iran et du Hezbollah contre Israël, contre la promesse de pousser à une cessation des hostilités dans la bande de Gaza, ont néanmoins payé. Téhéran a jusqu’à présent retenu ses coups. Et la riposte du Hezbollah à l’élimination de Fouad Chokr – des tirs sur des sites militaires israéliens, le 25 août – a été très mesurée et a été suivie immédiatement de messages de désescalade.
Cette réponse n’a pas permis au mouvement chiite de rétablir sa capacité de dissuasion, comme le montre la nouvelle série d’attaques, mardi et mercredi. Des efforts diplomatiques ont été lancés par Washington pour tenter de désamorcer une escalade supplémentaire. L’administration Biden a adressé des appels à la retenue en direction de l’Iran, dont l’ambassadeur au Liban a été blessé, mardi, par l’explosion de son bipeur. Mercredi, l’envoyé iranien auprès des Nations unies a signifié, dans une lettre, que l’Iran se « réserve le droit, conformément au droit international, de prendre toutes mesures jugées nécessaires ».