Ce positionnement rend plus difficile le rôle de médiateur que Paris ambitionne de jouer au Liban
Philippe Ricard (Paris ) et Hélène Sallon (Beyrouth), Le Monde
L’escalade entre Israël et l’Iran risque de fragiliser encore la position de la France dans la région. Un an après les attaques du 7-Octobre, tandis que la guerre de Gaza continue, Paris s’est rangé aux côtés d’Israël, comme des Etats-Unis, pour condamner le tir de quelque deux cents missiles iraniens vers l’Etat hébreu, mardi soir. Téhéran cherchait à répliquer aux opérations orchestrées par Israël pour éliminer des responsables du Hezbollah et du Hamas.
Tandis que la région menace de s’embraser, la France a serré les rangs, mercredi 2 octobre, avec les principaux alliés occidentaux d’Israël, lors d’une visioconférence des dirigeants du G7. Les sept puissances démocratiques les plus riches de la planète ont exprimé leur « forte préoccupation face à l’escalade » du conflit au Proche-Orient et « condamn[ent] fermement » l’attaque iranienne menée la veille contre Israël.
Les Américains essaient d’encadrer la riposte annoncée par le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Joe Biden a fixé une ligne rouge à Israël, qui consiste à ne pas s’en prendre aux installations nucléaires iraniennes. « Nous sommes d’accord tous les sept sur le fait que les Israéliens ont le droit de riposter, mais qu’ils doivent répondre de manière proportionnée », a affirmé le président américain, après le G7, sans plus de détail.
A l’issue d’un conseil de défense convoqué, mardi soir, à l’Elysée, Emmanuel Macron avait condamné, « avec la plus grande fermeté, les nouvelles attaques de l’Iran contre Israël ». Au nom de la « sécurité » de l’Etat hébreu, il a également rappelé « l’exigence de la France que le Hezbollah cesse ses actions terroristes contre Israël et sa population », tout en souhaitant qu’« Israël mette fin au plus vite à ses opérations militaires » dans le pays du Cèdre.
« La sécurité d’Israël n’est pas négociable », estime le ministre des armées, Sébastien Lecornu, dans un entretien au Point. Pour lui, « l’agenda d’insécurité et de déstabilisation est porté par Téhéran et ses proxys », que ce soit à la frontière nord d’Israël, avec le Hezbollah, en Irak, avec des milices chiites, et en mer Rouge, en raison des attaques des houthistes.
Une inflexion française
La pénétration du renseignement israélien au sein du Hezbollah a surpris Paris qui s’interroge sur l’ampleur du renseignement accumulé par Israël sur l’Iran. « On est à l’aveugle, or, la qualité du renseignement israélien sur l’Iran est ce qui orientera les actions futures des Israéliens. Nous ne pesons pas dans l’équation, on avance au gré de ce que nous racontent les Américains et les Israéliens sur l’Iran. L’idée circule, dans certains cercles, que, peut-être, les Israéliens nous emmènent vers un moment historique, que c’est le début de la fin pour le régime iranien », confie une source diplomatique.
Une inflexion a été observée à Paris sur le dossier iranien. L’Elysée, dans un communiqué diffusé à l’issue du conseil de défense, assume avoir mobilisé ses moyens militaires au Moyen-Orient pour parer à la menace iranienne. En avril, la France n’avait reconnu que de façon officieuse avoir joué un rôle pour contrer les missiles iraniens. « Il n’est plus seulement question pour Paris de défendre ses seuls intérêts. La défense d’Israël est désormais clairement assumée », commente cette source.
Paris cherche à dissocier les dossiers iranien et libanais, une stratégie que certains jugent intenable. Cela pourrait compliquer les laborieux efforts de la France pour tenter de jouer les médiateurs entre Israël et le Hezbollah. Engagés dès les premiers jours de la guerre à Gaza, en coopération plus ou moins étroite avec les Etats-Unis, ces efforts ont culminé par un coup de dés, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, fin septembre : un projet de trêve presque aussitôt rejeté par Benyamin Nétanyahou.
« La France prétend être médiatrice, mais ne l’est pas, juge l’ancien diplomate Yves Aubin de La Messuzière. Nous sommes très proches du Liban, bien que notre influence y ait beaucoup diminué. La prise de position claire en faveur d’Israël, même si nous n’avons pas toujours été alignés sur elle au fil de la guerre de Gaza, alimente la confusion et la perte de crédit de la France dans les médias libanais et arabes. »
Le chef de l’Etat français ne renonce pas pour autant à jouer un rôle d’intermédiaire pour tenter d’enrayer l’escalade au Liban, où il s’était fait fort, en août 2020, deux jours après l’explosion dans le port de Beyrouth, de contribuer à dénouer la crise politico-économique secouant le pays. Tout en renvoyant M. Barrot dans la région dans les prochains jours, il annonce l’organisation – à une date encore indéterminée – d’une conférence de soutien au « peuple libanais et à ses institutions ».
Appel au cessez-le-feu
La France continue d’appeler au cessez-le-feu et au respect de la souveraineté libanaise. Paris condamne le lourd tribut payé par les civils, alors que près de deux mille morts sont dénombrés par les autorités de Beyrouth depuis octobre 2023. « La France fait passer le message aux Etats-Unis que cela doit s’arrêter, qu’il y a des lignes rouges, mais elle n’a pas leur oreille et, au fond, cela l’arrange qu’Israël tape sur le Hezbollah », dit la même source diplomatique.
La visite de M. Barrot au Liban, lundi, a illustré l’impuissance de la France sur ce dossier. De Beyrouth, il a exhorté Israël à « s’abstenir de toute incursion terrestre au Liban » et appelé les belligérants à « saisir » la proposition internationale de cessez-le-feu, lancée à l’ONU. Dans la même soirée, Israël annonçait le début d’une opération terrestre à la frontière libanaise.
S’il salue le caractère « symbolique » de ce déplacement, le politologue franco-libanais Karim Bitar estime que « la France est plus inaudible aujourd’hui au Liban qu’auparavant ». « Sa marge de manœuvre s’est réduite, mais elle n’est pas inexistante, car elle est devenue la seule puissance qui a des canaux avec le Hezbollah ».
Alors que le Liban n’a plus de président depuis deux ans, Paris poursuit ses efforts pour débloquer la situation. Mercredi soir, le premier ministre démissionnaire Najib Mikati, le président du Parlement, Nabih Berri, et le chef druze Walid Joumblatt ont appelé à l’élection d’un « président de consensus ». Le Hezbollah, qui n’a plus de direction depuis l’assassinat d’Hassan Nasrallah, le 27 septembre, a délégué M. Berri pour négocier en son nom.
M. Mikati tente de convaincre la France d’aider au renforcement des forces armées libanaises pour qu’elles se déploient au Liban sud. Paris y est réticent, de crainte que ces armements ne tombent entre les mains du Hezbollah ou que l’armée libanaise soit entraînée dans une confrontation avec la formation chiite.