Face aux attaques de l’Etat hébreu, la République islamique semble hésiter sur la réponse à apporter, pour notamment éviter une escalade majeure dans la région.
Par Ghazal Golshiri et Madjid Zerrouky, Le Monde
La Syrie continue d’être le théâtre de la guerre par procuration que se livrent Israël et l’Iran. Avec dix-huit personnes tuées, l’attaque qui a visé le 9 septembre des installations militaires dans le centreouest du pays est l’un des bombardements les plus violents menés par l’aviation de l’Etat hébreu sur le pays. Les raids israéliens s’y sont intensifiés depuis la guerre à Gaza, déclenchée par l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. Ils visent fréquemment des objectifs du Hezbollah libanais et des milices pro-iraniennes.
La veille, à Téhéran, Hossein Salami, le commandant en chef des gardiens de la révolution, l’armée idéologique du pays, avait renouvelé ses menaces contre l’Etat hébreu après une période de silence relatif des hauts dirigeants iraniens à la suite de l’assassinat, le 31 juillet, d’Ismaïl Haniyeh, le chef du bureau politique du Hamas à Téhéran. « Les Israéliens connaîtront le goût amer de la vengeance face à leur malveillance. Quand, où et comment ? La réponse arrivera certainement différemment », a-t-il mis en garde.
Dans les jours qui avaient suivi la mort du chef politique du mouvement islamiste palestinien − une action imputée à Israël, mais dont Tel-Aviv n’a pas reconnu la responsabilité −, la République islamique avait promis de le venger. Le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, annonçait lui-même une riposte : « Nous considérons qu’il est de notre devoir de venger son sang, car il est mort en martyr sur le territoire de la République islamique d’Iran », lançait-il fin juillet. Plus d’un mois plus tard, les responsables iraniens laissent entendre que cette riposte ne prendra pas la forme d’une attaque directe sur le territoire israélien, pour éviter une escalade majeure.
L’élan provoqué après son assassinat a depuis quelque peu disparu. La colère et l’indignation s’étiolent, le choc et l’humiliation faisant place à une évaluation plus pragmatique du coût d’une guerre ouverte contre Israël et au retour à une approche plus prudente des gardiens de la révolution. « L’une des explications pourrait être que les dirigeants iraniens n’ont toujours pas trouvé la bonne formule pour riposter sans que cela entraîne la région dans un conflit ouvert », estime Hamidreza Azizi, hercheur à l’institut de recherche Stiftung Wissenschaft und Politik à Berlin. Il est aujourd’hui difficile d’utiliser l’assassinat de Haniyeh pour attaquer Israël. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y aurait pas de réponse indirecte », soutient le chercheur.
« Pas l’effet escompté »
L’attaque iranienne contre Israël, le 13 avril, en représailles aux frappes assumées par l’Etat hébreu contre le consulat d’Iran en Syrie, « n’a pas eu l’effet de dissuasion escompté », poursuit Hamidreza Azizi, « parce que Tel-Aviv a repris ses attaques de plus belle. Les dirigeants iraniens ont besoin de trouver une réponse différente qui soit plus efficace ».
Le 13 avril, la majeure partie des quelque 300 drones, missiles de croisière et missiles balistiques lancés en direction du territoire hébreu par Téhéran et ses alliés houthistes yéménites avaient été interceptés par les défenses antimissiles israéliennes et américaines déployées autour d’Israël. Même si l’Iran dit avoir prévenu les autorités américaines et les pays voisins soixante-douze heures avant ses frappes.
Rencontrant ses commandants militaires le 21 avril pour les « féliciter » après la riposte iranienne en direction du territoire israélien, Ali Khamenei avait lui-même admis le succès plus que relatif, d’un point de vue militaire, de l’opération. « Le nombre de missiles lancés et le nombre d’entre eux qui ont atteint leur cible ne sont pas la question principale. Ce qui compte vraiment, c’est que l’Iran ait démontré sa volonté au cours de cette opération », déclarait-il.
« L’attaque du 13 avril contre Israël, estimait alors l’Institute for the Study of War, un centre de réflexion américain basé à Washington, avait très probablement pour but de causer des dommages importants en deçà du seuil qui déclencherait une réaction israélienne massive. L’attaque a été conçue pour réussir et non pour échouer. » Une analyse alors partagée par Fabian Hinz, chercheur au centre d’analyse International Institute for Strategic Studies, pour qui « l’attaque était une tentative sérieuse de submerger les systèmes de défense israéliens ». Cet échec peut-il remettre en cause, dans l’esprit des dirigeants iraniens, l’effet dissuasif de l’arsenal balistique qu’ils ont patiemment bâti depuis quarante ans ? Téhéran affirme qu’il n’en est rien, en communiquant régulièrement sur l’abondance de ses stocks.
Lancé avec l’aide de la Corée du Nord en 1986, ce programme est né en réponse aux tirs de missiles irakiens contre les grandes villes du pays lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988). Priorité budgétaire et militaire, il n’a cessé de croître pour dissuader tout adversaire d’attaquer son territoire. « Le principal moyen dont dispose l’Iran pour menacer les Etats-Unis et leurs alliés dans la région est son stock d’environ 2 500 à 3 000 missiles balistiques », déclarait en 2020 le patron du commandement central américain devant la commission des forces armées du Sénat. Nul doute que cet arsenal s’est étoffé depuis, et il est peu probable que l’Iran, isolé, infléchisse sa stratégie militaire, peu de pays étant prêts à lui fournir des armes. Conséquence : à l’exception des programmes de missiles et de drones, ses forces armées souffrent d’une obsolescence des équipements dans leurs autres branches.
« Notre unité est faible »
Dans son message de félicitations aux chefs militaires, Ali Khamenei s’est bien gardé d’évoquer l’attaque, le 20 avril, par Israël, d’un radar déployé près de la ville d’Ispahan (centre), qui abrite plusieurs sites militaires, y compris nucléaires et balistique. La réponse de l’Etat hébreu, modérée, a exposé une faiblesse capacitaire iranienne : sa défense antiaérienne.
Si l’Iran a riposté plus rapidement à l’attaque israélienne en avril et qu’il refuse, jusqu’à présent, de faire de même depuis l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh, c’est aussi parce que la perception qu’a Téhéran de la stratégie israélienne a évolué. « En avril, à Téhéran, on estimait que les Israéliens avaient fait une erreur de calcul : ils avaient pensé que l’Iran, se tenant à sa politique de patience stratégique [inscrivant son combat contre Tel-Aviv dans un temps long], ne répondrait pas, explique M. Azizi. L’analyse des Iraniens a, semble-t-il, changé : ils considèrent que Benyamin Nétanyahou cherche à élargir le conflit dans le but de favoriser une arrivée au pouvoir de Donald Trump aux Etats-Unis. »
L’éventualité d’un retour à la Maison Blanche de l’ex-président inquiète à Téhéran, tout comme la perspective d’un conflit régional, qui sonnerait le glas des intentions du président nouvellement élu, Massoud Pezeshkian, de modérer l’image du régime dans l’espoir d’un allégement des sanctions en cas d’accord avec l’Occident sur le dossier nucléaire. « Il y a des tensions, des effusions de sang et des guerres dans la région, déclarait le chef de l’Etat iranien, en août, lors d’un discours devant le Parlement. Nos relations avec nos voisins sont fragiles, notre capital social s’est réduit, notre unité est faible et le gouvernement a perdu sa crédibilité auprès de la société. »
La retenue iranienne peut également s’expliquer par un contexte intérieur peu favorable à un aventurisme militaire du régime. « La mauvaise situation économique, le mécontentement généralisé depuis la répression des derniers mouvements de contestation, le faible soutien populaire envers le régime et sa légitimité vacillante entrent également dans les calculs des dirigeants iraniens », explique Hamidreza Azizi. Dans le cas d’une confrontation plus ouverte avec Israël, des frappes pourraient cibler des infrastructures critiques, des raffineries de pétrole et des centrales électriques, ce qui aggraverait la crise économique, contribuant à la crise de légitimité du régime.