Frapper l’Iran ou les Houthis, le casse-tête d’Israël

Frapper l’Iran ou les Houthis, le casse-tête d’Israël
الأربعاء 8 يناير, 2025

Les rebelles basés au Yémen constituent une menace, mais certains analystes des questions sécuritaires estiment que leurs patrons à Téhéran méritent de se retrouver dans le viseur d’Israël

Dov Lieber / The Wall Street Journal / L'Opinion

TEL AVIV — Au cours de l'année dernière, Tsahal a montré qu'il était capable d'éliminer les menaces pesant sur la sécurité d’Israël. Après le choc initial des attentats du 7-Octobre, une importante partie des principaux dirigeants du Hamas ont ainsi été éliminés. Quant à l'autre grand allié de l'Iran dans la région, le Hezbollah, il a subi un sérieux revers au Liban.

Aujourd'hui, Israël se concentre sur les Houthis au Yémen, un groupe de rebelles qui continue de poser problème puisqu'il tire régulièrement des missiles sur l’Etat hébreu. Sauf qu'il existe peu de solutions évidentes pour réduire cette menace.

Jusqu'à présent, Tel-Aviv explique cibler les infrastructures énergétiques et de transport que les Houthis utilisent à des fins militaires. La prochaine étape consistera à neutraliser les principaux dirigeants du groupe, comme avec le Hamas et le Hezbollah.

« Nous traquerons tous les dirigeants des Houthis et nous les frapperons comme nous l'avons fait dans d'autres régions », a affirmé le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, fin décembre, après la quatrième série de frappes aériennes menées par l’Etat hébreu contre le groupe rebelle depuis juillet.

Les Houthis représentent toutefois un défi sécuritaire unique pour Israël en raison de la distance qui le sépare du Yémen, du manque de renseignements sur les rebelles et du fait que les frappes aériennes de représailles semblent ne faire qu'accroître le soutien interne au groupe, sans être très efficaces pour endiguer les attaques. La coalition dirigée par les Etats-Unis a également échoué à mettre un terme aux menaces houthies sur le transport maritime mondial. Le Yémen est l'un des pays les plus pauvres du monde, et la guerre d'une dizaine d'années menée par la coalition dirigée par l'Arabie saoudite n'a pas réellement affaibli le groupe.

Depuis qu'Israël a conclu un cessez-le-feu avec le Hezbollah libanais, en novembre, les Houthis sont devenus le principal risque sécuritaire pour l'Etat hébreu qui, depuis quinze mois, s’attaque aux proxies de l'Iran à la suite des attentats du 7-Octobre. Ces dernières semaines, le groupe a lancé quasi quotidiennement des missiles en direction du pays.

La pression exercée sur le gouvernement israélien pour qu'il réagisse est de plus en plus forte. Les attaques des Houthis obligent souvent des millions de personnes à se réfugier dans des abris anti-bombes au petit matin et compliquent la reprise des vols des compagnies aériennes internationales qui ont interrompu la desserte d'Israël durant la majeure partie de la guerre en cours.

Mais, comme il n'existe aucune méthode efficace à court terme pour décourager les Houthis de frapper, certains spécialistes des questions de sécurité considèrent que l’Etat hébreu devrait les ignorer temporairement et se concentrer sur l'Iran, leur commanditaire qui constitue la plus grande menace pour Israël sur le long terme.

« La clé de la lutte contre les actes terroristes en provenance du Yémen se trouve à Téhéran », a déclaré Benny Gantz, ancien haut responsable du gouvernement israélien actuel, ex-ministre de la Défense et aujourd'hui figure de proue de l'opposition, lors d'une conférence de presse in décembre.

M. Gantz soutient que, même si Israël devra combattre les alliés de l'Iran pendant des années, le pays a maintenant la possibilité de prendre un « virage stratégique » en affrontant directement la République islamique.

Conscients qu’elles ne permettront pas de stopper totalement les attaques des Houthis, les partisans de frappes israéliennes contre l'Iran estiment toutefois qu’elles affaibliront le groupe et favoriseront le principal objectif à long terme d'Israël, à savoir empêcher l'Iran de se doter de l'arme nucléaire.

La République islamique est, en outre, particulièrement vulnérable à l'heure actuelle, souligne Yoel Guzansky, ancien spécialiste de la région du Golfe au Conseil national de sécurité israélien, aujourd'hui membre de l'Institut d'études de sécurité nationale, basé à Tel-Aviv.

Les proxies que Téhéran a essaimés dans la région pour dissuader Israël d'attaquer ont été largement affaiblis, tandis que les défenses anti-aériennes iraniennes ont été ébranlées par les frappes israéliennes d'octobre dernier. Tel-Aviv devrait profiter de cette fenêtre avant que la République islamique et ses alliés ne reconstituent leurs forces, poursuit M. Guzansky.

Une riposte de l'Iran servirait, elle, de motif à Israël pour frapper à nouveau le régime de mollahs et potentiellement ses sites nucléaires, selon les spécialistes des questions sécuritaires.

Après ses dernières frappes au Yémen in décembre, Tsahal a qualifié les Houthis de « groupe terroriste autonome » bénéficiant de la coopération et du inancement de l'Iran pour mener à bien ses attaques.

Selon certains analystes, la meilleure option pour Israël en vue d'une solution à long terme au problème posé par les Houthis pourrait être de chercher la mise en place d'une coalition régionale dirigée par les Etats-Unis avec les pays du Golfe — notamment l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis — qui subissent également la multiplication des attaques du groupe. Une telle décision pourrait obliger Tel-Aviv à faire des compromis difficiles avec les Palestiniens. Mais en agissant seul face aux Houthis, qui entravent le commerce international en s'en prenant à des navires en mer Rouge, Israël risque de se retrouver l'unique responsable d'un problème international, observe Alon Pinkas, ancien diplomate israélien de haut rang.

« Tel-Aviv est en train d'israéliser le problème », résume-t-il.

Dans les faits, de nombreux autres gouvernements cherchent à chasser les chefs houthis de leurs bastions qui surplombent les voies maritimes de la mer Rouge. L'Arabie saoudite, par exemple, souhaiterait les voir disparaître. De leur côté, des représentants du gouvernement internationalement reconnu du Yémen — qui contrôle la majeure partie du territoire du pays — ont récemment demandé à la coalition dirigée par les Etats-Unis — qui prend également pour cible le groupe — d'en éliminer les dirigeants. L'Egypte subit, elle aussi, durement les conséquences économiques de l'affaiblissement du commerce transitant par la mer Rouge.

Les Houthis ne contrôlent qu'une petite partie — mais très peuplée — du Yémen, au nord-ouest du pays. Conscients de la menace israélienne, leurs dirigeants ont pris des précautions, construisant des centres de commandement souterrains, évitant d'utiliser des téléphones portables, et variant leurs cachettes et leurs itinéraires, selon une personne bien informée sur le mode de pensée des Houthis.

Le débat sur la manière d’agir face au groupe yéménite fait, d'une certaine façon, écho aux dilemmes antérieurs opposant frappes directes contre l'Iran et attaques contre ses proxies comme le Hamas et le Hezbollah. Israël a finalement choisi de vaincre ces groupes séparément et d'éviter une confrontation plus large avec Téhéran. Yuli Edelstein, président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Parlement israélien, a déclaré dans une interview que le pays s'orientait vers une approche similaire à l'égard des Houthis.

« Tout le monde comprend que si nous nous attaquons à l'Iran, cela affaiblira les Houthis, mais qu'ils ne disparaîtront pas pour autant », dit-il.

Selon un haut responsable israélien, le pays doit faire la distinction entre le danger immédiat représenté par les attaques des Houthis et la menace stratégique à plus long terme que constitue l'Iran. « Il n’y a aucun lien entre les deux, poursuit-il. Chacun nécessite une décision différente. »

D'autres considérations entrent également en ligne de compte. Benjamin Netanyahu a déclaré qu'empêcher l'Iran de se doter d'un programme nucléaire militaire était sa priorité absolue, alors que la communauté du renseignement américain a averti le mois dernier que le risque de voir Téhéran se doter d'une bombe atomique était de plus en plus grand. Des représentants du gouvernement israélien se disent optimistes quant à la volonté de Donald Trump de participer à ces initiatives, même si les analystes estiment que la future administration sera susceptible d'épuiser d'autres options avant de recourir à la force.

Parallèlement, Tel-Aviv s'efforce de recueillir plus de renseignements pour être en mesure de frapper les dirigeants houthis, indique le haut responsable israélien précité. Et si la poursuite des attaques contre les Houthis n'empêche pas les tirs de missiles du groupe rebelle, elle signale au reste de la région que toute tentative de frapper Israël sera lourdement punie, explique Avner Golov, ancien directeur principal du Conseil national de sécurité de l'Etat hébreu, aujourd'hui vice-président de MIND Israël, un groupe consultatif.

« Il est important qu'Israël continue à porter fréquemment des coups pour s'assurer que les gens sachent que nous ne nous laissons pas faire », conclut-il.