(Photo) Une large banderole, sur la place de la Palestine, à Téhéran, mercredi 31 juillet 2024, représentant le leader politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, tué la nuit précédente, et la mosquée du Dôme du Rocher, à Jérusalem, avec la phrase, en hébreu et en farsi : « Attendez-vous à une sévère punition. » VAHID SALEMI / AP
La République islamique considère que l’Etat hébreu a franchi une ligne rouge en frappant le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, sur son territoire. Sans déclencher une guerre ouverte, elle entend rétablir l’équilibre de la dissuasion.
Par Hélène Sallon (Beyrouth, correspondante) et Ghazal Golshiri - Le Monde
Un drapeau rouge a été hissé, mercredi 31 juillet, sur la mosquée iranienne de Jamkaran, haut lieu du chiisme duodécimain, près de la ville religieuse de Qom, en prévision d’une « grande vengeance », après l’assassinat, le matin à Téhéran, du chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, dans une frappe imputée à Israël. Ce drapeau avait été hissé pour la dernière fois après l’élimination par les Etats-Unis, en janvier 2020, du général iranien Ghassem Soleimani, chef de la Force Al-Qods des gardiens de la révolution et architecte de l’« axe de la résistance » à Israël.
Chose rare, le Guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, a lui-même présidé la prière funéraire, jeudi 1er août à l’université de Téhéran, sur la dépouille mortelle du chef du Hamas, avant qu’elle ne soit transportée à Doha, au Qatar, où il résidait. L’ayatollah Ali Khamenei a prévenu Israël qu’« à la suite de cet événement amer et tragique survenu à l’intérieur des frontières de la République islamique, il est de notre devoir de nous venger ».
Des promesses similaires ont été faites, au sein de l’« axe de la résistance », par le Hamas, les milices chiites irakiennes, et les houthistes yéménites, signe de concertations menées en coulisses. Le Hezbollah libanais a assuré que la mort d’Ismaïl Haniyeh allait « renforcer la détermination » des alliés de Téhéran à faire face à Israël. Il n’a en revanche pas encore commenté la frappe israélienne qui a visé, mardi 30 juillet au soir, le chef militaire Fouad Chokr, dans la banlieue sud de Beyrouth. Hassan Nasrallah s’exprimera, jeudi, aux funérailles de son bras droit, dont le corps a été retrouvé dans les décombres de l’immeuble où il se trouvait, mercredi après-midi.
Rétablir l’équilibre de la dissuasion
Ces appels à la vengeance laissent peu de doute sur l’éventualité d’une riposte contre Israël. Pour l’Iran et ses alliés, des lignes rouges ont été franchies par l’Etat hébreu et l’équilibre de la dissuasion doit être restauré. « En matière d’image, l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh à Téhéran est pire pour la République islamique que la frappe contre son ambassade à Damas, le 1er avril. Parce qu’il a eu lieu en Iran, de surcroît quelques heures après l’investiture du nouveau président, et qu’il a touché un haut dignitaire du Hamas, explique Arman Mahmoudian, chercheur au Global and National Security Institute de l’université de Floride du Sud. Si l’Iran ne répond pas, surtout dans l’hypothèse où une attaque par missile ou au drone se confirme, cela sera interprété comme le signe d’une grande faiblesse. » En ce qui concerne le Hezbollah, l’Etat hébreu a franchi une autre ligne rouge, au point que le mouvement islamiste l’accuse de vouloir changer les règles tacites d’engagement sur le front libanais.
Depuis qu’il a ouvert un front de soutien au Hamas dans la bande de Gaza, en octobre 2023, le Parti de Dieu s’est tenu au principe de réciprocité dans les coups portés et les cibles choisies. Un cap a été franchi, mardi, non pas tant dans l’élimination de Fouad Chokr elle-même, mais avec le bombardement de la Dahiyé, la banlieue sud de Beyrouth, un quartier très densément peuplé qui sert de fief au Hezbollah. Le Parti de Dieu avait menacé, en amont, de cibler des villes comme Haïfa ou Tel-Aviv si Beyrouth était visée. Avec cinq morts et plus de 80 blessés dans ces frappes, le parti chiite doit rassurer sa base populaire sur sa capacité à les défendre.
Israël se prépare donc à une riposte. L’espace aérien du nord d’Israël a été fermé. La question est désormais de savoir quand elle aura lieu et qu’elle en sera l’ampleur, si elle sera coordonnée entre les membres de « l’axe de la résistance » et si l’Iran y prendra directement part. Les calculs de Téhéran et de ses alliés, notamment du Hezbollah, n’ont pas changé. Ils ne veulent pas d’une guerre ouverte avec Israël, mais ils entendent rétablir l’équilibre de la dissuasion et conserver l’avantage stratégique qu’ils estiment avoir acquis dans la guerre de Gaza. Tant que le Hamas survit, il sort victorieux de la bataille et, eux, gagnent en popularité et en leviers diplomatiques. Mais, au fur et à mesure que le mouvement perd ses dirigeants, c’est une victoire à la Pyrrhus qui se dessine.
« Téhéran ne veut pas susciter de grandes tensions avec les Etats-Unis, ce qui pourrait faciliter l’élection de Donald Trump », estime M. Mahmoudian. L’Iran maintient des canaux diplomatiques ouverts, notamment avec Washington et Paris, pour passer des messages de désescalade. Après l’assassinat du général Soleimani, en 2020, et l’attaque contre son ambassade à Damas, en avril, Téhéran était allé jusqu’à prévenir par avance de sa riposte pour éviter un embrasement régional incontrôlé. Le Hezbollah, pour sa part, selon des sources diplomatiques, a multiplié les contacts après le tir meurtrier sur la ville druze de Majdal Shams, sur le plateau du Golan occupé, samedi 27 juillet, qui a coûté la vie à douze enfants, pour nier toute responsabilité et souligner qu’il ne souhaitait pas d’extension du conflit. Depuis mardi, il reste sourd à leurs appels à la désescalade.
L’OPTION DE LA COORDINATION
Mercredi, le Conseil de sécurité des Nations unies a tenu une réunion d’urgence, à la demande de l’Iran, sur l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh. Quelques heures plus tôt, la mission iranienne à l’ONU avait annoncé, dans un tweet, que la riposte reposerait sur des « opérations spéciales ». « Cela laisse penser à des opérations chirurgicales qui dureront peu de temps, explique Arman Mahmoudian. Parce qu’il s’agit de l’honneur de l’Iran, des éléments iraniens vont très probablement participer à la riposte. La question est de savoir si elle sera menée depuis l’Iran ou depuis les autres pays de l’“axe de la résistance”. »
Hamidreza Azizi, chercheur à l’institut de recherche Stiftung Wissenschaft und Politik, à Berlin, estime que la réponse iranienne partira « plutôt de Syrie ou/et du Liban, en coordination avec l’Iran ». Mais, selon le New York Times, qui cite des sources officielles iraniennes anonymes, l’ayatollah Ali Khamenei a ordonné qu’une opération directe soit menée depuis l’Iran. L’une des options est que l’attaque soit coordonnée avec les alliés régionaux pour produire un maximum d’effet.
Une riposte calibrée suffirait-elle à enrayer l’engrenage enclenché depuis octobre 2023, qui entraîne, pas à pas, Israël, l’Iran et ses affidés, vers une confrontation régionale ? Bien que se disant inquiet des tensions dans la région, le secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, s’est voulu confiant, mercredi. Il a affirmé ne « pas voir de signes qu’une escalade est imminente ». Il a aussi assuré que les Etats-Unis n’ont pas été « impliqués » dans la mort du chef du Hamas. Celle-ci compromet, dans l’immédiat, les efforts menés par Washington pour relancer les négociations sur un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, au point mort depuis des semaines. Or, estime le chef de la diplomatie américaine, une cessation des hostilités dans le territoire palestinien « est la meilleure façon de faire baisser la température partout ailleurs ».