Frictions entre les Etats-Unis et l’Europe sur le nucléaire iranien

Frictions entre les Etats-Unis et l’Europe sur le nucléaire iranien
الأربعاء 5 يونيو, 2024

Les Européens s’inquiètent des progrès réalisés par Téhéran, mais Washington ne souhaite pas aggraver les tensions avec l’Iran.

Par Philippe Ricard, Le Monde


Quelle attitude avoir à l’égard de l’Iran, afin de sanctionner les progrès de son programme nucléaire, en pleine guerre entre Israël et le Hamas ? La question anime les débats du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), à Vienne. Contre l’avis des Etats-Unis, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont déposé ensemble, lundi 3 juin, à l’ouverture de la session, un projet de résolution, afin de dénoncer l’attitude de Téhéran. Le texte est soumis au vote jeudi 6 juin.

La résolution a toutes les chances d’être adoptée par les trente-cinq pays représentés au Conseil des gouverneurs. S’il est possible que les Etats-Unis se rallient finalement à la majorité, les discussions préliminaires ont mis en lumière de fortes différences d’approche entre les deux rives de l’Atlantique. D’un côté, Washington cherche à éviter toute escalade avec l’Iran dans le contexte du conflit israélo-palestinien, bien que le régime des mollahs avance dans son programme, selon les Occidentaux. L’administration Biden se garde d’ailleurs de faire le moindre commentaire public sur la question.

Pour les Européens, il est au contraire nécessaire de distinguer les urgences afin de mettre la pression sur Téhéran, en dépit des risques de conflit régional. Au fond, les capitales européennes soupçonnent aussi l’adminis tration Biden de tout faire pour que le dossier ne s’invite pas dans la campagne de l’élection présidentielle de novembre. Donald Trump reste adepte de la « pression maximale » à l’égard de l’Iran, alors que son successeur démocrate Joe Biden, a longtemps espéré, en vain, ressusciter l’accord international censé encadrer les activités nucléaires du pays, avant que celui-ci soit dénoncé unilatéralement par l’ex-président républicain en 2018.

« Urgence à réagir »
Tandis que Téhéran accumule la matière fissile enrichie, les représentants de Londres, Paris et Berlin (E3) invoquent « l’urgence à réagir devant la gravité de la situation ». En mars, les trois gouvernements avaient renoncé à préparer ne telle résolution, en raison, déjà, des réserves de Washington. Mais ils considèrent désormais que le coût de l’inaction serait plus lourd que le risque d’escalade dans la région.

L’idée est plutôt d’intensifier la pression diplomatique sur Téhéran, précisément dans le contexte du conflit israélo-palestinien, après l’offensive menée contre Israël par l’Iran, mi-avril, pour riposter contre la destruction de son consulat à Damas. Les diplomates européens considèrent que l’Iran a alors cherché à « contourner par le bas » la dissuasion d’un pays doté de l’arme nucléaire, à l’occasion de cette attaque massive, mais déjouée, de drones et de missiles. Une opération inédite qui s’ajoute aux activités de déstabi lisation opérées dans la région par des milices proches du régime : le Hamas, mais aussi le Hezbollah au Liban, et les houthistes au Yémen. « Il est donc nécessaire de rétablir une forme de rapport de force de la dissuasion, en se concentrant, au sein de l’AIEA, sur le volet nucléaire », juge un diplomate.

Lors d’un appel au premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou mardi, Emmanuel Macron a fait état de sa « vive inquiétude quant à la trajectoire du programme nucléaire iranien », selon l’Elysée. Il a souligné que « la France, avec ses partenaires internationaux, ferait pression sur le régime iranien pour qu’il respecte ses obligations internationales. »

Période d’incertitude
La résolution préparée par les Européens cherche avant tout à mettre Téhéran face à ses responsabilités vis-à-vis de l’AIEA. Elle pointe la présence inexpliquée de traces d’uranium sur deux sites non déclarés, en violation des engagements pris envers l’agence. « Il est essentiel et urgent » que Téhéran fournisse des raisons « techniquement crédibles », insiste le texte. A ce sujet, un « rapport complet » pourrait être demandé au directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi.

Au premier jour de la réunion, ce dernier a évoqué les « lacunes » dans la surveillance des activités nucléaires, du fait de la forte restriction des inspections depuis 2021. Il a également jugé « inacceptables » les récentes déclarations publiques de responsables iraniens sur une possible évolution de leur doctrine nucléaire, afin d’en assumer la vocation militaire.

La dernière visite de M. Grossi en Iran, début mai, n’a donné aucun résultat. Quelques jours plus tard, la mort du président iranien, Ebrahim Raïssi, tué le 19 mai dans le crash de son hélicoptère, a ouvert une période d’incertitude, dans la perspective des élections organisées pour désigner son successeur, le 28 juin. Mais le patron de l’AIEA se dit prêt à retourner à Téhéran pour relancer les échanges avec les responsables du pays.

L’Iran a déjà prévenu : « Si certains pays européens malavisés adoptent une position hostile (…), ils feront face à une réponse sérieuse et efficace de notre pays », a écrit sur le réseau X, samedi, l’amiral Ali Shamkhani, conseiller politique du Guide suprême, Ali Khamenei. Quant à la Russie, elle juge que cette « résolution anti-iranienne (…) ne peut qu’aggraver la situation », selon l’ambassadeur russe à Vienne auprès de l’AIEA, Mikhaïl Oulianov.