Benyamin Netanyahou paraît de plus en plus isolé, snobé par Donald Trump pendant sa tournée au Moyen-Orient. Sa politique, en plus d'avoir fait des dizaines de milliers de victimes innocentes, représente une menace existentielle pour l'Etat d'Israël et le peuple juif dans son ensemble.
Par Dominique Moïsi (géopolitologue, conseiller spécial de l’Institut Montaigne.) Les Echos.
Terrible, inacceptable, impardonnable. C'est en ces termes que l'ancien Premier ministre d'Israël, Ehud Olmert, qualifie l'embargo à l'aide humanitaire, imposé par son successeur, Benyamin Netanyahou, sur la bande de Gaza. Et de poursuivre dans un entretien donné à un média britannique, Radio Times: "Israël doit clairement distinguer entre les civils innocents et les terroristes... L'occupation à perpétuité de Gaza ne saurait être la politique d'Israël." Comment ne pas être d'accord avec lui?
"La poésie est « une arme chargée de futur" écrivait le grand poète espagnol Gabriel Celaya, un proche de Federico Garcia Lorca. Le 7 octobre, le Hamas a voulu: tuer l'ave-nir. Rendre impossible toute nor malisation entre l'Arabie saoudite et Israël à travers un élargissement des accords d'Abraham. Et au-delà, toute solution pacifique au conflit Israël-Palestine.
Dans sa riposte qui apparaît toujours plus disproportionnée (à la recherche d'un objectif parfaite ment irréaliste, l'éradication du Hamas), le gouvernement actuel d'Israël ne prend-il pas le risque de "tuer le passé", tout du moins de l'effacer? Les images de Gaza, se substituant à celles du ghetto de Varsovie, les descendants des victimes apparaissant toujours davantage, au fil du temps, comme les bourreaux d'aujourd'hui. Il se produit comme une dangereuse inversion entre deux émotions: le remords et le ressentiment.
Impasse géopolitique
Face au remords de l'Occident pour le crime unique et incomparable qua constitué la Shoah, qui se dissout dans l'eau du temps et les images insupportables de Gaza, Benyamin Netanyahou essaye de répondre aux critiques légitimes en jouant sur le ressentiment des Israéliens (et plus globalement des juifs) à l'encontre d'une Europe qui a trahi ses juifs: "Comment osez-vous me juger après ce que vous avez fait ou bien laissé faire pendant la Seconde Guerre mondiale?" Mais les souffrances subies dans le passé n'absolvent pas des crimes commis dans le présent.
Car la politique menée par Benyamin Netanyahou à Gaza est tout simplement criminelle. Elle a fait des dizaines de milliers de victimes innocentes. Cette politique représente une menace existentielle à terme pour l'Etat d'Israël, et le peuple juif dans son ensemble. Elle est l'équivalent d'une forme de suicide moral, sinon de suicide tout court.
L'Amérique, première puissance économique et militaire mondiale, pouvait se permettre (et encore, à quel coût?) des aventures militaires malheureuses de l'Asie au Moyen-Orient. Tel n'est pas le cas d'Israël. Trop faible (démographiquement et émotionnellement) pour ce qu'il a de fort (militairement ou économiquement), Israël ne peut se permettre de dilapider son soft power, Au nom de la préservation illusoire de son hard power.
La politique menée pas Netanyahou n'est pas seulement criminelle d'un point de vue éthique. Elle conduit Israël à une impasse géopolitique. Snobé par Trump lors de son séjour au Moyen-Orient (alors qu'il rencontrait le nouveau dirigeant syrien), et humilié par lui (avec la libération d'un otage israélo-américain obtenue par des négociations directes entre Washington et le Hamas), Netanyahou se retrouve bien seul. Israël, sous sa direction, est-il encore un allié de l'Amérique? Ou bien un handicap plus qu'un atout, pour un président américain qui, au Moyen-Orient, était en voyage d'affaires: pour sa famille et sa personne, tout autant sinon plus que pour son pays?
Certes, depuis le 7 octobre l'Etat Hébreu a créé un nouveau rapport des forces militaires sur le terrain, avec l'affaiblissement significatif de "l'axe de résistance" (Hamas, Hezbollah, Houthis) qui constituait la première ligne de défense de l'Iran.
Mais à quoi bon tout cela si Israël se retrouve abandonné par son ami américain? Et sous le feu des critiques de tous, y compris de ceux qui ont toujours été ses amis et ses soutiens les plus fidèles. Liberté, que de crimes on commet en ton nom, aurait dit Madame Roland sur le chemin de l'échafaud en 1793. Israël, que de crimes on commet en ton nom, serait-on tenté de dire aujourd'hui.
La guerre de Gaza doit prendre fin avant que tous les otages ne soient morts. Avant qu'Israël ne devienne la victime ultime de ses dérives populistes et messianiques. Et ne creuse sa tombe, en même temps que celle des Palestiniens, condamnant ainsi les héritiers du royaume de David à connaître le sort de leurs lointains ancêtres.