Cette initiative se heurte à l’opposition véhémente du Hamas et divise le gouvernement d’urgence israélien
Summer Said, Dov Lieber et Benoit Faucon, L'Opinion
Des responsables sécuritaires israéliens élaborent, dans la plus grande discrétion, un nouveau plan de distribution de l’aide dans la bande de Gaza qui pourrait, par la suite, aboutir à la création d’une autorité gouvernementale dirigée par les Palestiniens, ont déclaré des hauts fonctionnaires israéliens et arabes. Ce projet suscite toutefois une farouche opposition du Hamas et sème la division au sein du cabinet de guerre israélien.
Un haut responsable de la défense israélienne s'est entretenu avec des responsables de cette initiative visant à impliquer des dirigeants palestiniens et des hommes d'afaires qui n'ont aucun lien avec le Hamas — une organisation considérée comme terroriste par les Etats-Unis — dans la distribution de l'aide, ont indiqué certains de ces hauts fonctionnaires.
Après inspection israélienne, l'aide entrerait par voie terrestre ou maritime et serait acheminée vers de grands entrepôts dans le centre de Gaza, depuis lesquels elle serait ensuite distribuée par des Palestiniens, ont indiqué ces responsables. Une fois la guerre terminée, les personnes chargées de l'aide pourraient être amenées à gouverner le territoire, avec l'appui de forces de sécurité financées par les riches nations arabes, ont indiqué les responsables.
Cette initiative humanitaire s'est néanmoins déjà heurtée à des obstacles et risque de tomber à l'eau. Jusqu'à présent, elle ne bénéficie pas du soutien de Benjamin Netanyahu, qui considère que certaines des personnes impliquées dans le projet sont affiliées au Fatah — un parti rival du Hamas —, que le Premier ministre israélien considère comme soutenant le terrorisme. « Gaza sera gouvernée par ceux qui ne cherchent pas à tuer des Israéliens », a tonné un haut responsable israélien travaillant au sein du cabinet de M. Netanyahu.
Selon un autre officiel israélien, l'opposition véhémente du Hamas à ce projet pourrait en empêcher la mise en œuvre.
Cela étant, le chaos qui règne à Gaza a fortement agacé l'administration Biden, l'establishment sécuritaire israélien et certains membres dissidents du gouvernement d'urgence de M. Netanyahou. Ils estiment que sur le plan organisationnel, la distribution de l'aide est actuellement une mission impossible et que le Hamas peut se renforcer dans le contexte actuel de vacance du pouvoir. Selon eux, une force capable de distribuer efficacement l'aide à Gaza est désormais nécessaire et, en toute logique, elle devrait être rattachée à l'Autorité palestinienne (AP), le gouvernement basé en Cisjordanie, ou au Fatah, le parti majoritaire au sein de l'AP.
Le général de division Ghassan Alian, chef du service de sécurité israélien chargé de superviser les affaires civiles dans les territoires occupés, considère que cette initiative humanitaire est un volet important de l'opération menée par Israël pour évacuer Rafah — le dernier bastion du Hamas —, avant de lancer une ofensive sur cette ville frontalière. Selon les responsables, l'aide distribuée dans le cadre de ce dispositif permettrait de nourrir entre 750 000 et un million de personnes dans les camps de déplacés qu'Israël a aménagés pour absorber la population de Rafah, qui a augmenté au fur et à mesure que les Gazaouis s'y réfugiaient.
D'après l'un des responsables, le général Alian envisage que les Palestiniens anti-Hamas forment « une autorité administrative locale » pour distribuer l'aide, ce qui exclurait ainsi la milice du processus. Cette initiative a déclenché des menaces de représailles de la part du Hamas. Il a qualifié de traîtres et menacé de mort tous ceux qui collaborent avec les Israéliens. Plusieurs familles palestiniennes qui semblaient ouvertes à ce projet s'en sont retirées au cours des derniers jours.
« Accepter que des chefs de famille et de tribu communiquent avec les forces d'occupation pour travailler dans la bande de Gaza est considéré comme un acte de trahison nationale, que nous n'autoriserons pas », a indiqué un responsable de la sécurité du Hamas dans une déclaration publique le 10 mars, peu de temps après que l’idée de cette initiative a germé.
Si le Hamas n'a joué aucun rôle officiel dans la distribution de l'aide à Gaza, il considère le projet israélien en gestation comme un moyen de créer une structure gouvernementale indépendante. « Nous frapperons d'une main de fer quiconque s'immisce dans les affaires internes de la bande de Gaza et nous ne permettrons pas que de nouvelles règles soient imposées », a ajouté le responsable de la sécurité du Hamas.
Un autre représentant du Hamas a déclaré que la milice s'estimait déjà écartée des négociations relatives à l’établissement du pont maritime soutenu par les Etats-Unis, les Emirats arabes unis et d'autres partenaires pour acheminer de l'aide vers la bande de Gaza. Le corridor humanitaire a été négocié directement avec la municipalité de la ville de Gaza, sans que le Hamas ne soit consulté, a ajouté le représentant. Selon lui, la milice s'inquiète également de l'implication de Mohammed Dahlan, un ancien membre inluent du Fatah qui était le responsable de la sécurité à Gaza pour l'Autorité palestinienne avant de s'exiler aux Emirats arabes unis.
Plus largement, le Hamas souhaite que la sécurité soit assurée par des forces apolitiques, mais qui opéreraient avec son approbation, a expliqué Husam Badran, membre du bureau politique du Hamas, lors d'une récente interview. Il a indiqué que, ces dernières semaines, la sécurité était assurée par des milices de volontaires dans la ville de Rafah, au Sud, et dans le Nord, avec l'aval de son organisation, en lieu et place de la police qu'elle contrôlait après que celle-ci a été prise pour cible par Tsahal. « Il y a eu un consensus [entre les groupes palestiniens] pour former ce service de sécurité », a airmé M. Badran.
Il a toutefois souligné que tout accord sécuritaire permanent devrait être supervisé par un futur cabinet d'unité palestinienne bénéficiant du soutien de toutes les factions, et non par des entités étrangères. « La sécurité relèverait de la responsabilité du gouvernement d'entente nationale », a-t-il ajouté. Les riches nations du Golfe ont fait savoir qu'elles ne débourseront pas un centime pour les forces de sécurité et n'aideront pas à la reconstruction de Gaza, comme le prévoit l’initiative humanitaire, à moins qu'Israël n'accepte un processus de création d'un Etat palestinien — une idée rejetée par M. Netanyahu. Le secrétaire d'Etat Antony Blinken est arrivé mercredi à Djeddah, en Arabie saoudite, pour discuter de la planiication de l'après-guerre, Riyad devant assumer une lourde charge inancière pour la reconstruction de Gaza.
Israël a approché plusieurs Palestiniens influents pour qu'ils prennent part à ce projet, ont indiqué les responsables. Parmi eux, Majid Faraj, le chef des services de renseignement de l'Autorité palestinienne, Bashar Masri, un homme d’afaires qui travaille en Cisjordanie, et M. Dahlan.
Selon un haut fonctionnaire israélien, M. Netanyahu s'est opposé à toute implication de M. Dahlan et de M. Faraj, qui est membre du Fatah. Ophir Falk, principal conseiller diplomatique du Premier ministre, estime que l'Autorité palestinienne ne doit pas prendre le contrôle de Gaza, car elle n'a pas condamné les attentats du 7 octobre et continue de verser des allocations aux personnes ou aux membres de leur famille tués lors d'attaques contre des Israéliens. Pour les autorités palestiniennes, cette mesure n’est rien d’autre qu’une prestation sociale destinée aux familles dans le besoin. « Il nous faut quelqu'un qui ne veuille pas assassiner des juifs pour prendre la relève. Cela pourra se produire une fois que le Hamas aura été éliminé de la bande de Gaza. Et nous sommes proches d'y parvenir », a-t-il dit.
M. Dahlan a également fait savoir qu'il ne participerait pas à la gouvernance de Gaza, ont indiqué les responsables. Installé à Abou Dhabi, il a supervisé les forces de sécurité palestiniennes qui ont combattu le Hamas en 2006 et est considéré comme un représentant des intérêts des Emirats arabes unis dans la bande de Gaza de l'après-guerre.
M. Masri s'est refusé à tout commentaire. MM. Dahlan et Faraj n'ont pas donné suite aux questions qui leur ont été posées.
Dans une interview accordée au Wall Street Journal l'année dernière, M. Dahlan avait indiqué qu'il n'était pas intéressé par un retour à Gaza pour y diriger un gouvernement. Il avait ajouté qu'Israël et l'Occident devaient accepter le fait que le Hamas ne pouvait pas être totalement éradiqué et qu'il devrait jouer un rôle dans la future administration du territoire. « Je ne suis pas un ami du Hamas, avait assuré M. Dahlan. Mais vous croyez vraiment que quelqu'un va pouvoir se présenter pour faire la paix sans cette organisation ? »
Israël a commencé par imposer un siège presque total à Gaza après le 7 octobre, date à laquelle des milliers de combattants du Hamas ont franchi la frontière lors d'une attaque surprise, tuant environ 1 200 personnes, pour la plupart des civils, et emmenant plus de 200 otages. En riposte, l’Etat hébreu a tué plus de 31 000 Palestiniens — principalement des femmes et des enfants, selon les autorités sanitaires palestiniennes, dont les chifres ne font pas la distinction entre civils et combattants.
Israël et le Hamas ont repris la semaine dernière les pourparlers en vue d'un cessez-le-feu de six semaines qui permettrait de libérer une quarantaine d'otages et d'accroître les livraisons d'aide humanitaire dans la bande de Gaza, où plus d'un million de personnes vivent dans des conditions proches de la famine, selon des experts de l'insécurité alimentaire. Tel-Aviv a autorisé l'entrée de nourriture, de médicaments et d'autres produits essentiels après inspection minutieuse au préalable, mais l'aide n'a pas atteint la majeure partie du nord de la bande de Gaza depuis qu'elle a sombré dans l'anarchie au cours des dernières semaines.
Sous la pression des EtatsUnis, Israël a autorisé davantage de camions à entrer dans la bande de Gaza, a ouvert un nouveau point de passage terrestre et participe à l'acheminement des denrées alimentaires par la mer Méditerranée. Ces livraisons ne représentent toutefois qu'une fraction de ce dont Gazaouis ont besoin.