Par Georges Malbrunot. LE FIGARO.
ANALYSE - Face au Hamas et au Hezbollah, le premier ministre a remporté des succès tactiques, mais il reste incapable de redessiner un environnement favorable à l’État hébreu.
« Plus jamais de 7 Octobre ». Au nom de ce principe, Israël est entré en guerre à Gaza, au Liban, en Syrie et en Iran afin de maîtriser son environnement stratégique proche et d’empêcher toute réédition d’une attaque terroriste de l’ampleur de celle perpétrée par le Hamas. Mais, prévient un diplomate français familier de l’État hébreu, « si en un an et demi de guerre Benyamin Netanyahou a remporté des succès tactiques formidables comme l’assassinat des chefs du Hezbollah Hassan Nasrallah et du Hamas Ismaël Haniyeh, il ne les a pas encore transformés en succès stratégiques ».
À sa frontière nord avec le Liban, la priorité est le désarmement du Hezbollah, prévu dans la résolution 1701 de l’ONU, et le renforcement de l’armée libanaise pour qu’elle remplace les miliciens chiites pro-iraniens. Mais comme à Gaza, avec la rupture de la trêve avec le Hamas décidée mi-mars par Benyamin Netanyahou, au Liban, l’État hébreu s’est délié de ses engagements en multipliant ces derniers mois les bombardements, malgré un cessez-lefeu conclu avec le Hezbollah, le 27 novembre dernier. Depuis, au Sud-Liban, Tsahal occupe cinq points hauts sur des lignes de crête proches de sa frontière, ce qui relégitime son ennemi comme force de résistance à l’occupation. «Nous n’avons pas de prétention territoriale au Liban, se défend une source officielle israélienne, mais nous sommes méfiants. Le Hezbollah remet ses armes au sud du Litani à l’armée libanaise, mais il les récupère parfois ailleurs.»
Soutenu par les États-Unis, mais aussi plus discrètement par l’Arabie saoudite sunnite hostile à la milice chiite pro-iranienne, Israël tient à un désarmement total du Hezbollah, y compris au nord du Litani. Cette exigence place les nouvelles autorités libanaises dans une position difficile, ainsi que la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), dont le renouvellement du mandat, cet été, pourrait ne pas être acquis. «Israël et les États-Unis poussent à une fin de mandat de la Finul», confie au Figaro un ministre libanais. Une inquiétude partagée par la France, garante aux côtés des États-Unis du cessez-le-feu entre l’État hébreu et le Hezbollah.
Une posture offensive critiquée
Réaliste, le président de la République libanaise, Joseph Aoun, plaide pour un dialogue avec le Hezbollah, qui reste la première force militaire de son pays. La crainte d’une résurgence de la guerre civile demeure, dans un Liban toujours fragmenté. Mais «nous n’y jouons plus une communauté contre les autres», répond la source israélienne. «Nous avons tiré la leçon de 1982, lorsque nous soutenions les chrétiens pendant la guerre civile», ajoute-t-elle. C’est pourtant l’impression qui domine, à la lueur de ce qui se passe actuellement en Syrie.
Pendant des décennies, dans son environnement régional, Israël favorisait les minorités des pays arabes afin d’affaiblir leur État central, souvent hostile. Ce fut le cas au Liban avec les chrétiens, en Irak avec les Kurdes, et c’est clairement le cas en Syrie, non seulement là encore avec les Kurdes, mais aussi avec les druzes, qu’Israël se jure de protéger. Pour cela, Tsahal n’a pas hésité à avancer en territoire syrien et a frappé la semaine dernière des éléments radicaux qui s’en prenaient aux druzes près de Soueïda, dans le sud du pays. «Nous ne permettrons pas aux djihadistes au pouvoir à Damas de s’attaquer aux druzes, répète la source israélienne, nous avons des druzes en Israël, c’est une communauté que nous nous sommes engagés à protéger».
Comme au Liban, la posture offensive d’Israël chez son voisin syrien est critiquée par la France, d’autres pays européens et les Nations unies, d’autant plus que le pouvoir qui a renversé Bachar elAssad en décembre à Damas ne manifeste aucune hostilité vis-à-vis de l’État hébreu, alors que ce dernier occupe toujours le plateau du Golan syrien. Les 800 frappes effectuées par Israëlen Syrie depuis décembre ne font au contraire que renforcer les éléments les plus radicaux autour du président par intérim, Ahmed al-Charaa, que l’État hébreu considère toujours comme un «djihadiste qui a simplement raccourci sa barbe». Le bellicisme israélien est d’autant plus mal accepté par de nombreux Syriens que «pendant treize ans durant lesquels Bachar el-Assad bombardait ses opposants, Israël n’est jamais venu à leur secours massivement», constate avec amertume le chercheur Charles Lister.
Avec d’autres, la France ne croit pas au remodelage israélien par la force du Moyen-Orient, encore illustré par les récentes déclarations sur la conquête de la bande de Gaza. «Israël est dans une impasse stratégique à Gaza», fait valoir le diplomate français précité, alors que la question du désarmement du Hamas est un casse-tête pour la communauté internationale. Pour inciter l’État hébreu à revenir à une solution politique avec les Palestiniens, Emmanuel Macron pourrait reconnaître en juin l’État de Palestine, lors d’une conférence à l’ONU coprésidée avec l’Arabie saoudite. Pour l’en dissuader, Israël menacerait, selon nos informations, d’annexer les colonies de Cisjordanie, illégales au regard du droit international. Le message aurait été transmis àParis.
Démantèlement total des sites nucléaires iraniens
L’agressivité d’Israël gèle également son rapprochement avec les pays arabes. Mais «entre la dissuasion retrouvée d’Israël et notre image dans le monde arabe, je choisis la dissuasion», tranche l’officiel israélien. Cependant, même soutenues par les États-Unis, les guerres d’Israël au Moyen-Orient pourraient finir par gêner Donald Trump, qui n’en veut plus. Ainsi, alors que l’aviation israélienne a massivement bombardé mardi l’aéroport de Sanaa, aux mains des rebelles yéménites houthistes qui avaient attaqué en fin de semaine l’aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv, les États-Unis ont négocié avec les insurgés pro-Iraniens - via Oman un arrêt des hostilités en mer Rouge contre leurs navires. Un cessez-le-feu qui ne concerne pas l’État hébreu, que les houthistes assurent vouloir continuer de frapper en solidarité avec Gaza.
Israël a, en outre, été furieux que l’Administration Trump entame des négociations secrètes avec le Hamas sur une trêve à long terme entre le mouvement islamiste et Tel-Aviv. Alors que l’émissaire de Donald Trump, Steve Witkoff, négocie avec l’Iran sur le nucléaire, les partisans d’Israël aux États-Unis font tout pour le marginaliser et favoriser une ligne dure, fondée sur un démantèlement total des installations nucléaires iraniennes. Mais là non plus, la partie n’est pas encore gagnée pour Benyamin Netanyahou.