Déclenchée le 7 octobre dernier, il y aura trois mois dimanche, la guerre de haute intensité entre le Hamas et Israël reste confinée à la bande de Gaza. Si rien n’indique une issue prochaine, son extension à l’ensemble de la région reste improbable
Jean-Dominique Merchet / L'Opinion
Les faits - Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a entamé jeudi une nouvelle navette diplomatique au Moyen-Orient avec une étape prévue en Israël, alors que les craintes augmentent d’une escalade dans la guerre qui oppose Israël au Hamas palestinien. De son côté, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme s’est dit jeudi « très inquiet » après les commentaires de hauts responsables israéliens appelant les Palestiniens à quitter Gaza.
L’inquiétude est là, palpable : va-t-on vers l’escalade au Proche-Orient avec le risque d’un embrasement général ? « Mais l’escalade a déjà eu lieu ! Le 7 octobre...», réagit David Khalfa, expert de la région à la Fondation Jean-Jaurès. C’est en effet l’attaque du Hamas, il y aura trois mois ce dimanche 7 janvier, qui a déclenché cette nouvelle guerre et entraîné une réponse militaire israélienne particulièrement violente. Mais, pour l’heure et au risque d'être démenti par les événements, il apparaît peu probable que le conflit s'étende au-delà de la bande de Gaza.
La frappe israélienne, mardi 2 janvier à Beyrouth, qui a tué l’un des dirigeants du Hamas, Salah el-Arouri, a subitement fait remonter la tension. De même, le lendemain, l’attaque terroriste revendiquée jeudi par l’Etat islamique, qui a fait plus de 80 morts en Iran lors d’une cérémonie en hommage à l’ancien chef de la force al-Qods, Qassem Souleimani. Le tout sur fond d’escarmouches navales au large du Yémen, menées par les Houthis pro-Iraniens contre le traic maritime. Ce vendredi, le dirigeant du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah devrait prendre la parole, alors que la tension reste forte à la frontière entre Israël et le Liban. Comme ceux des responsables iraniens, ces propos contre « l’entité sioniste » (Israël) seront enflammés. Mais quid de ses actes, beaucoup plus prudents ?
Destructions colossales. L’afrontement de haute intensité ne se déroule que dans la seule bande de Gaza. Les destructions matérielles y sont colossales, plus de 80 % de la population a dû abandonner ses foyers et, selon les autorités locales contrôlées par le Hamas, on compte 22 185 morts et 57 035 blessés. L’armée israélienne reconnaît implicitement que les deux tiers d’entre eux sont des civils, et non des combattants ennemis. De son côté, elle a perdu 175 soldats depuis le début de son ofensive terrestre, le 27 octobre.
Sur tous les autres fronts, la situation est tendue, mais reste sous contrôle. C’est le cas en Cisjordanie, où les forces israéliennes répriment sévèrement une intifada à bas bruit, mais qui a débuté depuis un an, avant l’attaque du 7 octobre. Les échanges de tirs avec le Hezbollah se poursuivent sur la frontière nord d’Israël, mais on est très loin d’un engagement majeur, comme lors de la guerre de 2006. En Syrie, Israël poursuit ses frappes régulières contre les forces pro-iraniennes, mais, là encore, il ne s’agit que la poursuite d’opérations qui durent depuis des années.
Trois mois après son déclenchement, l’opération du Hamas n’a pas produit l’effet escompté par ses initiateurs. Selon eux, l’onde de choc causée par l’attaque massive sur le sol même d’Israël devait entraîner les alliés du Hamas et le monde musulman dans la guerre contre l’ennemi sioniste. Le nom même de l’opération baptisée Déluge d’al-Aqsa (Tufan al-Aqsa) exprime ce projet quasi messianique. On ne saurait surestimer la dimension proprement religieuse du combat du Hamas, qui est une formation islamiste. Il s’agissait de provoquer un soulèvement général – un « déluge » – pour libérer al-Aqsa, la grande mosquée de Jérusalem. Las, les alliés espérés ont fait, jusqu’à présent, le service minimum. Peu avares en propos vengeurs, ils se gardent de trop s’impliquer, conscients qu’ils sont d’avoir beaucoup à perdre dans une guerre avec Israël. D’autant qu’ils ont été mis devant le fait accompli par le Hamas, comme le confirme une récente enquête du Figaro. Ni l’Iran ni le Hezbollah ne semblent avoir été directement impliqués dans la préparation de l’attaque.
Au Liban, le Hezbollah chiite a, à la fois, beaucoup de pouvoir et beaucoup d’ennemis. Il ne veut pas donner aux seconds l’occasion de lui contester le premier, en déclenchant une guerre qui serait plus dure que celle de 2006. Son chef, Hassan Nasrallah, gère prudemment son capital politique dans un pays en pleine banqueroute. Le cas du Hezbollah illustre l’autonomie de chacun des acteurs de ce que le politologue Gilles Kepel appelle dans un raccourci audacieux « l’axe fréro-chiite ». Il ne s’agit pas d’une « internationale » qui serait dirigée d’une main de fer depuis Téhéran, comme l’étaient jadis les partis communistes depuis Moscou, mais d’un réseau d’alliances, où les logiques nationales restent essentielles. Ainsi des Houthis du Yémen. De facto, cette milice a gagné la guerre qui l’opposait au camp soutenu par l’Arabie saoudite et les Emirats. Elle cherche à obtenir une reconnaissance internationale en contraignant les puissances voisines et les Occidentaux à négocier avec elle. D’où sa menace sur le traffic maritime international dans le détroit de Bab el-Mandeb. C’est assurément un jeu dangereux, mais il n’est pas, pour l’instant, perdant.
Stratégie des « proxys ».
De même, en Iran, le régime n’est pas dupe de sa faiblesse militaire. Sa stratégie d’action, via des « proxys » (groupes armés alliés, comme le Hezbollah, les Houthis ou les milices irakiennes), vise justement à compenser les déficiences de son armée. Les diicultés intérieures sont nombreuses et la population n’adhère pas à l’activisme extérieur d’un régime contesté, alors que la situation économique sociale est dégradée.
Peu de pays arabes lèveront le petit doigt pour sauver le Hamas, en particulier l’Égypte. Le Hamas est une organisation issue des Frères musulmans. Or, ceux-ci ont été chassés du pouvoir par le coup d’État du maréchal Sissi de 2013 et sont toujours en prison... Les signataires des accords d’Abraham (Emirats arabes unis, Maroc, Bahreïn...) ne rêvent que de reprendre leur coopération sécuritaire et économique avec Israël, alors que le prince saoudien Mohammed ben Salmane, dirigeant du Royaume, n’a pas renoncé, à terme plus lointain, à une normalisation avec l’Etat juif. En Turquie, le président Erdogan multiplie les déclarations anti-israéliennes, mais les échanges économiques se poursuivent activement.
Au-delà des pays de la région, l’administration Biden parvient à garder la situation sous contrôle, grâce à une politique particulièrement avisée. D’une part, ses moyens militaires dissuadent l’Iran et ses alliés d’entrer véritablement dans le conlit, même si les bases américaines en Irak et en Syrie sont parfois attaquées (sans grands dommages). De l’autre, elle met publiquement une pression suffisante sur Israël, dans le domaine humanitaire, pour se distinguer des extrémistes au pouvoir à Jérusalem. Autant de facteurs qui limitent l’extension de la guerre, mais sans pouvoir empêcher que des centaines de Gazouis ne soient tués ou blessés chaque jour depuis le 7 octobre.