Téhéran ne s’engage pas ouvertement dans le conflit et mise sur les actions de ses proxys... à condition qu’ils ne dérapent pas
Pascal Airault - L'Opinion
Les faits - La reprise de l’intervention terrestre de Tsahal dans la bande de Gaza, vendredi, a entraîné une riposte, contre Israël et les Etats-Unis, de groupes proches de l’Iran. Les Houthis s’attaquent aux navires commerciaux dans la mer Rouge et le Hezbollah a repris ses tirs sur le nord de l’Etat hébreu.
Houthis au Yémen, Hezbollah au Liban, milices en Syrie et Irak... Les alliés de l’Iran ont repris leurs attaques contre Israël et son allié américain, considéré comme le copilote de l’intervention de Tsahal, dans la bande de Gaza. Dimanche, les Houthis ont attaqué des navires et le destroyer USS Carney en mer Rouge. Lundi, le Hezbollah a revendiqué des attaques contre des positions militaires dans le nord d’Israël, frontalier du sud du Liban. Il maintient une menace régulière sans entreprendre d’action d’envergure. En Syrie, les milices pro-iraniennes envoient des drones et des roquettes sur les bases des forces américaines dans l’est du pays. Les mêmes attaques ont lieu contre des installations militaires américaines en Irak. Washington a multiplié les mises en garde contre ce qui est qualifié d’« axe de résistance iranien » et Israël répond quasi systématiquement – Tsahal lance régulièrement des frappes préventives chez ses voisins. Les analystes craignent une escalade qui pourrait entraîner un conlit régional avec, d’un côté, Israël et les Etats-Unis, et de l’autre, l’Iran et ses proxys.
Le général Esmaïl Ghani, chef de la force d’élite Al-Qods des Gardiens de la révolution iraniens, s’est rendu à plusieurs reprises à Beyrouth depuis le 7 octobre. C’est aussi le cas du ministre iranien des Afaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian. « L’Iran essaye de gérer le tempo de la guerre et de coordonner les actions avec son principal partenaire, le Hezbollah libanais, confie Emmanuel Maged, consultant sur le Moyen-Orient. Il s’agit notamment de contrôler l’action des Houthis qui sont plus attachés au Hezbollah et à son chef, Hassan Nasrallah, qu’à Téhéran. »
« Dissuader ». Le Hezbollah comme l’Iran ne veulent pas d’un conflit plus ouvert avec Israël, qui pourrait impliquer les Etats-Unis. Ils ont respecté la trêve à Gaza. « Pour eux, le plus important est que le Hamas ne s’efondre pas afin de clamer victoire à la fin de la guerre, poursuit Emmanuel Maged. Or, on est loin d’un effondrement de la branche armée, tout au plus 10 % de ses combattants ont été tués. A moyen terme, la guerre devrait muter en guérilla, ce qui devrait avantager le Hamas si l’armée israélienne décide de rester dans la bande de Gaza. »
Depuis des années, l’Iran apporte un soutien financier, militaire et de la formation à ses proxys. Téhéran a donc intérêt à la survie du Hamas et des autres unités combattantes à Gaza. « L’Iran a été capable de dissuader ses alliés de toute escalade, tout en étant capable de maintenir une réponse, assure Ali Vaez, directeur du projet Iran de Crisis Group dans un podcast sur le site de l’ONG de résolution des conflits. C’est un jeu dangereux qui n’est pas durable. » Sans tirer un coup de feu, Téhéran a infligé un coût réputationnel important à Israël, retardé la normalisation avec l’Arabie saoudite et fait revivre la cause palestinienne. Mais sa réticence à s’engager directement dans la guerre nuit à sa capacité de dissuasion. Les opinions publiques se rendent compte que l’Iran n’est pas prêt à sacrifier ses intérêts. Et que ses proxys servent avant tout à dissuader ses ennemis de l’attaquer sur son sol.
Mais la guerre a aussi mis fin aux rencontres prévues entre émissaires américains et iraniens à Mascate et aux espoirs de Téhéran de conclure un accord pour la levée des sanctions économiques liées au programme nucléaire iranien. Le plus grand risque pour la république islamique serait d’être entraînée dans un conflit régional. Ce qui n’est pas exclu si ses proxys infligeaient d’importants dommages aux soldats américains.