Gaza, un premier bilan

Gaza, un premier bilan
الجمعة 22 ديسمبر, 2023

S'il reconnaît que la réunion d'une grande conférence internationale sur l'avenir d'Israël et de la Palestine est quasiment impossible, Dominique Moïsi démontre également qu'il n'existe aucune autre solution.
Par Dominique Moïsi (géopolitologue, conseiller spécial de l’Institut Montaigne.) - Les Echos

Après 70 jours, quel premier bilan tirer de la guerre de Gaza ? Serait-il possible de parler de « victoire à la Pyrrhus » pour les deux camps ? Le Hamas a incontestablement replacé la question palestinienne au cœur de la scène régionale et internationale. La barbarie délibérée de ses actes, le 7 octobre dernier, n’avait pas seulement pour objectif de rendre impossible toute normalisation des relations diplomatiques entre Riyad et Jérusalem, mais au-delà toute possibilité de paix entre Israéliens et Palestiniens.

Il fallait que la « vengeance » de l’Etat hébreu et son coût pour la population civile de Gaza soient à la hauteur de l’atrocité des crimes commis par le Hamas le 7 octobre. Pour autant, le prix de cette « victoire politique » est considérable, non seulement pour les habitants de Gaza, mais pour le Hamas lui-même. En l’espace de plus de deux mois, il est probable – les chiffres sont difficiles à vérifier – que le Hamas ait perdu près de 40 % de ses commandants militaires et jusqu’à un quart, sinon un tiers, de ses combattants (on cite les chiffres de 5 à 7 mille hommes).

Plus grave pour Israël
Le schéma est exactement inverse pour Israël. Marquant des points incontestables sur le plan militaire, l’Etat hébreu continue d’en perdre sur le plan diplomatique et politique. A l’Assemblée générale des Nations unies, une résolution demandant la mise en place immédiate d’un cessez-le-feu humanitaire a recueilli plus de voix (153) qu’aucun des votes condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie (140).

Bien plus grave pour Israël, sa relation avec son principal allié et soutien, les Etats-Unis, est presque devenue conflictuelle. Pour Joe Biden, Benyamin Netanyahou, ne fait que répéter les erreurs commises par Washington au lendemain des attentats du 11-Septembre, en se fixant des objectifs qui ne peuvent être atteints. On n’éradique pas une organisation terroriste. On crée de nouvelles pousses, en abattant ses branches les plus hautes les unes après les autres.

En préparant, avec ses bombardements massifs à Gaza, de nouvelles générations de terroristes, Israël s’inflige une défaite stratégique à long terme, qui va bien au-delà des gains tactiques qu’il peut marquer sur le terrain. Le problème est qu’il existe une logique autodestructrice dans la stratégie poursuivie par Israël. Pour anéantir définitivement le Hamas, et ses tunnels profonds et multiples, sans mettre trop en danger la vie de ses soldats, Jérusalem a recours à des bombes toujours plus puissantes, qui ne peuvent qu’infliger des pertes lourdes à la population civile d’un espace aussi surpeuplé que la bande de Gaza.

Vue de Jérusalem bien sûr, la comparaison entre l’après-11-Septembre et l’après-7-Octobre, ne tient pas. Si le 11 Septembre est une terrible tragédie pour l’Amérique, ce n’est pas un défi existentiel, au sens littéral du terme, comme peut l’être le 7 octobre pour Israël. Pour Jérusalem, tant que le Hamas contrôlera Gaza, les habitants du sud d’Israël ne pourront pas retourner vivre chez eux. Et pour de nombreux dirigeants israéliens, le même raisonnement s’applique au nord du pays.

Une guerre préventive avec le Hezbollah ne s’impose-t-elle pas également ? Et ce au risque de voir Israël engagé sur trois fronts simultanément, de Gaza au Liban, sans oublier la Cisjordanie ? Certes depuis le 7 octobre – en dépit des bombardements massifs de l’Etat hébreu sur la bande de Gaza – aucun des pays arabes signataires des accords d’Abraham n’a rompu ses relations avec Israël.

Certes l’Arabie saoudite s’est faite plus discrète. Mais elle n’a pas renoncé à ses projets de rapprochement avec ce hub de modernité et de haute technologie qu’est Israël. De plus, ajoutent les Israéliens, ces régimes arabes sont ravis de voir Jérusalem « faire le sale boulot » et détruire une organisation terroriste comme le Hamas, qui constitue une dangereuse menace pour eux.

Mais on ne saurait confondre les calculs des régimes avec les émotions de leurs peuples. Les images des bébés morts dans les ruines de Gaza ont un profond impact, et pas seulement sur la rue arabe, mais aussi dans le monde occidental. En allant jusqu’au bout (mais pour combien de temps encore ?) de sa logique militaire, Israël s’isole toujours davantage de la communauté internationale, et plus particulièrement des jeunes générations.

Un journaliste belge de moins de trente ans, qui m’interrogeait il y a quelques jours sur les résultats du vote de l’Assemblée générale des Nations unies, ne comprenait pas que l’Ukraine – un pays dont les villes étaient bombardées par la Russie – ne se prononce en faveur d’un cessez-le-feu immédiat. Que l’Ukraine puisse s’identifier à Israël au lendemain du 7-Octobre ne lui était même pas venu à l’esprit.

Pas de solution militaire
Contrairement à ce que pense Benyamin Netanyahou, il n’existe pas de solution purement militaire au conflit. On peut même se demander s’il y a encore des solutions politiques après la multiplication des colonies de peuplement en Cisjordanie ? Et y a-t-il des négociateurs ? L’Autorité palestinienne est totalement discréditée et Benyamin Netanyahou ne survit politiquement que grâce et par la guerre. Laisser la recherche d’une solution politique aux deux seules parties directement impliquées serait la garantie d’un échec.

Quand une question est à ce point compliquée, et en apparence sans issue, la seule alternative, parfois, est de la rendre plus complexe encore. Le moment n’est-il pas venu de commencer à songer à la convocation d’une grande conférence internationale qui réunirait, autour des Israéliens et des Palestiniens (sans le Hamas bien sûr), dirigeants des pays arabes et représentants des grandes puissances, à commencer par les Etats-Unis, la Chine, l’Inde et les principaux membres de l’Union européenne ?

La Russie ne saurait en être exclue, mais des pays comme la Chine et l’Inde devraient lui faire comprendre qu’elle n’est pas là pour faire la démonstration de sa valeur de nuisance. Cette proposition d’une grande conférence internationale sur le conflit opposant Israéliens et Palestiniens (une de plus) n’est ni très originale, ni sans doute très réaliste.

En trente ans la situation s’est considérablement détériorée. Ce qui était difficile au moment de Madrid (1992) ou d’Oslo (1993-1995) apparaît presque impossible aujourd’hui. Mais existe-t-il une alternative ? Personne ne paiera pour la reconstruction de Gaza sans l’existence d’un espoir de solution politique au conflit israélo-palestinien.