L'infiltration sanglante du Hamas du 7 octobre et les combats de guérilla menés dans la bande de Gaza ont porté un coup très dur au culte de la technologie que l'armée israélienne a célébré pendant des années.
Pascal Brunel —Correspondant à Tel-Aviv- Les Echos
Israël, qui se présente volontiers comme la start-up nation par excellence, a été victime de ses illusions sur la toute puissance de la hightech. Une scène résume à elle seule cette déception. Des camionnettes avec, à leur bord, des commandos du Hamas enfoncent le 7 octobre sans problème la barrière autour de la bande de Gaza avant de se livrer à des massacres dans le sud d’Israël.
Cet obstacle était pourtant bardé du dernier cri de la technologie avec des caméras à infrarouge, des drones de surveillance, de la robotique, des postes d’alerte et de communications sophistiqués, un mur sous terrain de plusieurs mètres équipé de capteurs pour détecter d’éventuels tunnels….. Rien n’a été épargné pour assurer cet ouvrage du nec plus ultra de l’innovation sécuritaire. Coût de l’opération : plus d’un milliard de dollars. Sur le papier, tout cet équipement était censé constituer un barrage infranchissable, une sorte de ligne Maginot du XXIe siècle. Or les hordes du Hamas ont franchi l’obstacle en voitures, à moto, à pied.
Rien ne les a arrêtés. Pire encore : le recours à des logiciels d’espionnage d’Internet, les systèmes d’écoutes téléphoniques à grande échelle des responsables du Hamas n’ont rien donné. Bien au contraire, cette débauche de technologie a eu un effet contre-productif. Les dirigeants du Hamas se sachant écoutés ont fait croire qu’ils ne souhaitaient pas s’engager dans une guerre. Une véritable opération de désinformation.
Plus grave : la confiance dans les capacités de la high-tech était telle que les chefs de l’armée ont dégarni les effectifs autour de la bande de Gaza en estimant qu’il était possible de réduire le nombre de militaires de garde et les patrouilles. Le front s’est ainsi retrouvé à ce point dégarni qu’un mouvement de panique s’est produit durant les premières heures critiques de l’infiltration, qui a fait près de 1.200 morts, tandis que 240 Israéliens et étrangers étaient pris en otages. « Nous avons enfermé le Hamas dans une cage et nous avons jeté les clés dans la mer, mais le monstre a réussi à réémerger », constate Ben Caspit, un commentateur du quotidien « Maariv » qui parle de « péché d’hubris » à propos de la foi aveugle dans la technologie.
Soldats bioniques
Des commentateurs n’ont pas manqué à la suite de ce fiasco de rappeler les mises en garde prémonitoires lancées après la guerre de 2006 au Liban contre le Hezbollah qui avaient suscité de nombreuses critiques. « Nous sommes devenus trop dépendants de la technologie. Comment un soldat peut-il se battre avec une forêt d’antennes sur la tête, des systèmes de vision de jour et de nuit, tout en étant abreuvé par un flot constant d’informations. Il est impossible de gérer une telle masse de données alors que l’on est sous le feu », avait affirmé le général Yanush Ben Gal.
« Une guerre où l’on se contente d’appuyer sur des boutons, c’est bon pour les jeux vidéo, mais on ne remporte pas des victoires avec des soldats bioniques », avait ajouté ce militaire. Mais ses avertissements avaient été mis sur le compte de la nostalgie d’un vieux briscard incapable d’accepter le progrès. La guerre de Gaza a pourtant confirmé l’importance du facteur humain.
Comme le souligne un responsable du ministère de la Défense : « Si des militaires avaient utilisé avec bon sens de simples jumelles qui ne soient pas connectées à des satellites pour repérer les terroristes, peut-être aurions-nous évité une catastrophe aux proportions bibliques. La prolifération d’écrans tactiles, de drones, de liaisons satellite nous a amené à négliger sans doute une doctrine de combats qui se développe dans le sang et la sueur », ajoute-t-il.
Arme « miracle »
Certains succès de la haute technologie sont aussi questionnés. Les batteries d’interception de roquettes de type « dôme de fer » ont fait une nouvelle fois leurs preuves sur le terrain et détruit en vol des centaines d’engins tirés par Hamas avec un taux de réussite d’environ 90%.
Mais Hilla Haddad Chmelnik, une ingénieure, qui participé à la mise au point de cette arme « miracle », regrette qu’Israël en soit devenu « addict ». Ces batteries ont, selon elle, créé « l’illusion parmi nos dirigeants politiques que l’on pouvait vivre en relative sécurité face à des organisations terroristes de l’autre côté de la frontière » sans qu’aucune vision politique et militaire à long terme émerge.
Bref, le choc provoqué par le Hamas a ébranlé les certitudes et ramené l’armée à une approche plus terre à terre. D’ores et déjà, Tsahal s’est aperçu que pour mener une guérilla urbaine, des armes « traditionnelles », tels des obus de chars, d’artillerie, les véhicules blindés, les bombes restent indispensables. « Au Moyen-Orient, il faut parler le langage moyen-oriental, rien ne remplace des soldats qui crapahutent sur le terrain », souligne un officier de réserve de retour de Gaza.
Résultat : Benyamin Netanyahou, le Premier ministre a annoncé qu’Israël allait tenter de réduire sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis pour les fournitures d’armes et de munitions. Les entreprises israéliennes du secteur de l’armement vont être encouragées à produire des armes conventionnelles, qui ne seront plus traitées en parents pauvres.