Guerre à Gaza : les alliés d’Israël face au risque de la complicité

Guerre à Gaza : les alliés d’Israël face au risque de la complicité
الثلاثاء 20 مايو, 2025

La répugnance des Etats occidentaux à prendre des mesures concrètes contre l’Etat hébreu, en dépit de l’ordonnance de la Cour internationale de justice reconnaissant le risque de génocide à Gaza, les expose à des poursuites pour manquement à leurs obligations internationales.

Par Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance). Le Monde

L’Union européenne (UE) « mise en demeure » pour « manquement » à son « obligation d’agir face au risque avéré de génocide à Gaza ». Dans deux courriers datés du 12 mai, adressés à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et au Conseil de l’Union européenne, l’association Juristes pour le respect du droit international (Jurdi), demande des actes, faute de quoi elle saisira la Cour européenne de justice, au Luxembourg, « pour carence fautive de la Commission en matière de respect de ses obligations découlant du droit international et du droit de l’Union ».

L’association française, qui rassemble des experts en droit international, demande à l’UE de dénoncer publiquement les crimes en cours, de revoir totalement son cadre de relation avec Israël et de prendre des sanctions contre les responsables israéliens, dont Benyamin Nétanyahou, et les ministres Bezalel Smotrich et Israel Katz. « C’est un cri d’alerte », explique Johann Soufi, cofondateur de la Jurdi, qui consiste à « mettre en garde les démocraties occidentales et l’Union européenne, car elles sont en train de sacrifier à Gaza les fondations morales sur lesquelles leur projet repose. L’Union européenne est avant tout une union de valeurs » et si « elles sont à géométrie variable ou vide de sens, alors on détruit l’UE ».

Face à l’horreur des événements dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, les organisations humanitaires, les défenseurs des droits humains, avocats, professeurs, intellectuels, artistes et responsables des Nations unies, demandent aux Etats d’agir et de ne pas se rendre complices des crimes en cours.

Tout est écrit, précis, assumé
« J’ai visité ce qu’il reste du système médical de Gaza, et je peux vous dire que la mort à cette échelle a une odeur et des bruits qui ne vous quittent pas », a déclaré le responsable des affaires humanitaires de l’ONU, Tom Fletcher, devant le Conseil de sécurité le 12 mai, avant d’interpeller les diplomates : « De quelles preuves avez-vous besoin ? Allez-vous agir, maintenant, de façon décisive pour prévenir le génocide et assurer le respect du droit international humanitaire ? »

Le fonctionnaire a évoqué les tentatives de peser, en privé, sur les responsables israéliens, sans effet selon lui, avant de suggérer : « Si tout cela vous importe encore, ne soyez pas complices. »

Les récentes condamnations verbales des Occidentaux n’ont pas entamé la détermination d’Israël à mettre en uvre son « plan de conquête » de la bande de Gaza, annoncé le 5 mai. Il prévoit d’achever la destruction de l’enclave, d’entasser la population dans le Sud, puis de la déporter « vers des pays tiers ». « Nous ne nous cachons pas, a déclaré M. Nétanyahou, c’est bien notre plan. » Le ministre des finances israélien, Bezalel Smotrich, a appelé quant à lui à l’expulsion des Palestiniens de l’enclave, promettant : « Gaza sera nettoyée du Hamas, et des centaines de milliers de Gazaouis seront en route pour d’autres pays. »

Tout est écrit, précis, assumé. Au mépris des trois ordonnances rendues contre Israël, en février, mars et mai 2024 par la Cour internationale de justice (CIJ), dans la procédure enclenchée par l’Afrique du Sud, accusant Israël de violer la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Dans ces premières ordonnances, les juges ont sommé l’Etat hébreu de ne pas commettre d’actes de génocide, de punir les auteurs d’incitation aux crimes, de ne pas soumettre les Palestiniens à la destruction et de laisser passer l’aide humanitaire, aujourd’hui totalement bloquée.

Les juges avaient, en substance, déclaré que Gaza était au bord du génocide. C’était il y a quinze mois. En ratifiant la convention sur le génocide, les Etats « s’engagent à prévenir et à punir », selon l’article 1 du texte, en poursuivant les auteurs, « ou en saisissant les organes compétents de l’Organisation des Nations unies afin que ceux-ci prennent ( ) les mesures qu’ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide ». C’est ce qu’a fait l’Afrique du Sud. En Europe, seules l’Espagne et l’Irlande soutiennent la plainte de Pretoria. La France s’abstient. Interrogé sur TF1, le 13 mai, sur la question du génocide, Emmanuel Macron a renvoyé la question aux historiens, donnant l’impression d’ignorer la procédure de la CIJ.

Avec ces procédures, les dirigeants occidentaux ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas, leur rappellent constamment les opinions publiques, les dizaines de rapports de l’ONU, d’ONG, d’experts, et les décisions de la CIJ. Or, « la connaissance enclenche l’obligation d’agir », précise Me Soufi, qui regrette que certains s’interrogent encore sur « ce qu’il faudrait faire de plus pour Gaza ». « Un copier-coller de ce qui a été fait sur la Russie, répond Me Soufi, car les motifs sont les mêmes. Et les Etats européens ont plus d’influence et de leviers sur Israël que sur la Russie ou sur l’Iran. »

Après avoir interpellé l’Union européenne, la Jurdi a saisi, le 12 mai, l’assemblée des 125 Etats membres de la Cour pénale internationale (CPI) pour dénoncer l’autorisation de survol accordée par la France à Benyamin Nétanyahou, qui se rendait, le 2 février, à Washington, malgré le mandat d’arrêt de la CPI.

« Complicité institutionnelle » La répugnance des capitales occidentales à rompre avec leur allié israélien pousse les sociétés civiles à agir. Du 13 au 16 mai, devant la Haute Cour de Londres, le gouvernement britannique a dû s’expliquer lors d’un procès l’opposant aux organisations palestinienne et britannique, Al-Haq et Global Legal Action Network, soutenues par Amnesty International, Oxfam et Human Rights Watch. Elles accusent le gouvernement de violer le droit international, qui stipule qu’un Etat ne peut pas exporter d’armes s’il existe un « risque clair » que celles-ci facilitent les crimes.

Or, Londres continue d’exporter du matériel militaire vers Israël, en particulier des pièces de fabrication du F-35. Au début de cette procédure, en septembre 2024, le gouvernement britannique a annoncé le retrait de plusieurs licences d’exportation, mais maintenu celles destinées aux avions de combat de l’américain Lockheed Martin. Dans une note à la cour, il a admis qu’un risque existait, mais estimé que l’arrêt de ces exportations pourrait saper la « confiance des Etats-Unis ». La décision n’a pas encore été rendue.

Le 30 avril 2024, dans une procédure, toujours en cours, enclenchée par le Nicaragua, l’Allemagne avait été interpellée par les juges de la CIJ. Ceux-ci avaient rappelé à Berlin que les obligations des Etats « en ce qui concerne le transfert d’armes à des parties à un conflit armé ( ) incombent à l’Allemagne en tant qu’Etat partie auxdites conventions lorsqu’elle fournit des armes à Israël ».

La Charte de l’Organisation des Nations unies, bâtie après la seconde guerre mondiale et la Shoah, sur la promesse d’un « plus jamais ça », impose aux Etats de respecter les décisions de la CIJ. Mais l’organisation mondiale n’a jamais été si ouvertement défiée. En mai 2024, le représentant d’Israël à New York, Gilad Erdan, avait passé la Charte à la broyeuse, en signe de protestation, après un vote de soutien à la Palestine.

Face au risque croissant de famine à Gaza, un collectif de près de 250 ONG du monde entier vient de lancer un appel à organiser un « convoi humanitaire diplomatique ». Il demande aux Etats d’« envoyer leurs diplomates au plus haut niveau possible pour accompagner les camions d’aide déjà stationnés au point de passage de Rafah, et [d’]entrer dans Gaza à leurs côtés ». Un impératif légal, fait de « courage moral et de solidarité humaine », écrivent ces ONG internationales et palestiniennes.