L’administration américaine, dont l’action est limitée, renforce sa présence en Méditerranée orientale. Après l’élimination du chef du Hezbollah, sa principale préoccupation concerne l’Iran et la question de l’arme nucléaire.
Par Piotr Smolar (Washington, correspondant), Le Monde
La situation n’a guère d’équivalent dans un passé récent. Au Proche-Orient, l’administration Biden accepte d’être à la remorque d’un allié, Israël, lancé dans des opérations militaires sur plusieurs fronts, à Gaza, au Liban et même au Yémen. Des opérations que Washington voudrait limiter, par crainte d’une escalade régionale imprévisible, mais dont elle loue les résultats et dont elle facilite la conduite, avec un déploiement américain massif en Méditerranée orientale, s’ajoutant à la poursuite de livraisons d’armes. Une sorte de contradiction absolue dans les termes – particulièrement délicate à assumer à trente-sept jours de l’élection présidentielle –, qui a atteint son pic la dernière semaine de septembre.
Alors qu’à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, les diplomates américains et français s’escrimaient à promouvoir l’idée d’une trêve au Liban, l’armée israélienne préparait une frappe historique à Beyrouth, contre le quartier général souterrain du Hezbollah. Une frappe dans laquelle a péri le chef de l’organisation, Hassan Nasrallah, et qui a probablement nécessité l’emploi de bombes de 900 kilos, de fabrication américaine, selon le Washington Post.
Le fait qu’Israël n’ait pas prévenu le Pentagone de l’imminence de cette opération n’est pas forcément surprenant, car l’Etat hébreu a toujours préservé son autonomie d’action. Mais l’administration Biden était persuadée, à la lumière des échanges diplomatiques, que Benyamin Nétanyahou et son entourage validaient l’idée d’un cessez-le-feu de vingt et un jours. Ecran de fumée. Il devient, dès lors, difficile de trouver une cohérence dans la ligne suivie par la Maison Blanche, tant l’écart entre les intentions et la réalité devient béant. Les fuites anonymes répétées, dans la presse, concernant l’irritation de Joe Biden envers le premier ministre israélien n’en sont que plus futiles.
« Une mesure de justice »
Dans un communiqué, le président américain a commencé par souligner, samedi 28 septembre, que la mort de Nasrallah représentait « une mesure de justice pour ses nombreuses victimes, dont des milliers de civils américains, israéliens et libanais ». C’est pourtant, indirectement, avec le Hezbollah que le médiateur américain Amos Hochstein, conseiller de Joe Biden, avait œuvré, à l’automne 2022, pour la conclusion d’un accord historique entre Israël et le gouvernement libanais – simple valideur – sur la délimitation de la frontière maritime entre les deux Etats voisins, indispensable pour l’exploitation des ressources gazières. Peu avant l’été, les Etats-Unis espéraient une même issue sur la frontière terrestre, en distinguant cette question de celle d’un cessez-le-feu à Gaza, réclamé par le Hezbollah.
La vice-présidente, Kamala Harris, a elle aussi employé l’expression « mesure de justice » dans son propre communiqué, en ajoutant que « la diplomatie demeure la meilleure voie pour aller de l’avant ». Peu après, interrogé à la volée par les journalistes qui le suivent, Joe Biden estimait qu’il est « temps pour un cessez-le-feu ». Mais les décisions ne sont prises que par le gouvernement israélien. L’administration américaine en est réduite à la seule réaction.
Interrogé, dimanche, sur la chaîne ABC, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby, a souligné que la structure de commandement du Hezbollah avait été « presque entièrement décimée » et des « milliers de missiles et drones détruits ». Selon lui, « le Hezbollah d’aujourd’hui n’est plus celui d’il y a une semaine ». Au-delà d’une déstabilisation complète du Liban en cas d’incursion terrestre israélienne, la principale préoccupation des Etats-Unis concerne l’Iran.
Téhéran a enregistré une série de revers, de pertes humaines et stratégiques, qui l’obligent à reconsidérer drastiquement les termes de sa propre sécurité nationale. Le pays est tiraillé entre sa volonté de venger la mort de Nasrallah et celles de hauts cadres des gardiens de la révolution, et la nécessité de panser ses plaies. Ses calculs demeurent très incertains. Le peu d’empressement qu’a eu le régime à voler au soutien du Hamas à Gaza, mais surtout du Hezbollah au Liban, risque de compromettre ses relations idéologiques, militaires et financières avec ses soustraitants au Proche-Orient, confortés par la nécessité de suivre leurs propres intérêts. La fameuse « résistance » chiite est désaxée.
« Contrat d’assurance »
Reste une tentation, celle de la bombe nucléaire. De façon répétée, l’administration Biden a assuré qu’elle ne laisserait pas Téhéran en disposer. Mais elle a aussi relégué cette question aux oubliettes, depuis l’échec d’une réanimation de l’accord sur le nucléaire iranien, dont les Etats-Unis s’étaient retirés sous Donald Trump. Le sénateur républicain Lindsey Graham (Caroline du Sud) a estimé, dimanche, sur CNN, que la leçon retenue par l’Iran de la séquence récente est qu’il est « probablement mieux de posséder l’arme nucléaire que pas ». Selon le sénateur, l’Iran pourrait être tenté de sauter le pas, accumulant assez de matière fissile pour équiper plusieurs missiles, en pensant qu’il s’agirait là d’un « contrat d’assurance ».
Dans le doute, Washington a décidé de renforcer encore sa présence militaire en Méditerranée orientale. Le groupe aéronaval de l’USS Abraham-Lincoln et le navire d’assaut USS Wasp sont au cœur du dispositif, que le Pentagone n’a pas détaillé. Cette présence dissuasive fut déjà observée dans la foulée du massacre du 7 octobre 2023 commis par le Hamas, puis, en avril, peu avant l’attaque directe par missiles et drones de l’Iran contre Israël, en réponse au bombardement imputé à l’Etat hébreu de l’antenne consulaire iranienne à Damas.