Guerre commerciale : le moratoire entre la Chine et les Etats-Unis met fin à la crise sans régler les problèmes de fond

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Guerre commerciale : le moratoire entre la Chine et les Etats-Unis met fin à la crise sans régler les problèmes de fond
الثلاثاء 13 مايو, 2025

Les marchés financiers ont salué l’accord sino-américain mettant fin à l’escalade sur les droits de douane. Reste aux deux puissances à s’entendre sur le niveau définitif des taxes douanières, le rééquilibrage des échanges, les exportations de microprocesseurs… L’épisode a convaincu la Chine de réduire son exposition aux Etats-Unis.

Par Arnaud Leparmentier (New York, correspondant) et Harold Thibault (Pékin, correspondant). Le Monde.

Le moratoire sur les droits de douane sino-américains, annoncé lundi 12 mai, a été salué par un feu d’artifice à Wall Street : le S&P 500 a fini la journée en hausse de 3,26 % tandis que le Nasdaq, riche en technologies, bondissait de 4,35 %. Wall Street a complètement effacé l’effet des annonces des droits de douane de Donald Trump du 2 avril et se retrouve à des niveaux proches de ceux du début de l’année.

Le soulagement des marchés va bien au-delà de la simple question des barrières douanières. Les deux premières puissances économiques du monde sont passées d’une logique de séparation complète – des droits prohibitifs de 145 % équivalaient à supprimer le commerce entre elles – à une logique de droits de douane certes élevés, mais traditionnels. Ceux-ci restent plus hauts que jamais, avec des taxes de 30 % imposées à la Chine et de 10 % aux Etats-Unis, mais plusieurs scénarios sont écartés par cette trêve signée à Genève.

A commencer par celui d’une redite de la crise due au Covid-19, lorsque les chaînes de production de la planète avaient été affectées par l’impossibilité de faire tourner les usines. Les Etats-Unis échappent dans la foulée à une résurgence de l’inflation durable, comparable à celle qu’ils ont connue à partir de 2021, même si une hausse des prix n’est pas à exclure.

De ce fait, la tâche de la Fed, la Réserve fédérale américaine, sera facilitée : même si la banque centrale américaine a mis en garde sur les risques que continue de faire peser la politique commerciale de Donald Trump sur l’inflation et l’emploi, elle a peu de chances de devoir remonter ses taux d’intérêt. La perspective d’une récession américaine créée de toutes pièces s’éloigne, ce qui devrait conduire à apaiser les tensions entre Donald Trump et Jerome Powell, le président de la Fed, et donc confirmer que le président américain ne tentera sans doute pas de le limoger avant la fin de son mandat en mai 2026, comme il l’a déjà concédé. Cette hypothèse pesait sur les marchés, inquiets d’une atteinte à l’indépendance de la Fed.

Enfin, le retour partiel à la normale de la politique américaine soulage le dollar, qui a bondi de 1,4 % face à l’euro, lundi 12 mai. Dans ce contexte, l’impact macroéconomique de l’accord va bien au-delà de la guerre commerciale sino-américaine et fait espérer aux marchés que la partie la plus chaotique du mandat de Donald Trump est révolue. Il laisse même entendre que d’autres accords viendront.

Est-ce à dire que tout est réglé ? Certainement pas. La tendance politique est plutôt favorable, celle de la montée en puissance du secrétaire au Trésor, Scott Bessent, qui a toujours prétendu que les droits de douane n’étaient pas une fin en soi, mais une arme de négociation tactique, face à l’idéologue antichinois et protectionniste Peter Navarro, conseiller historique de Donald Trump. C’est d’ailleurs Scott Bessent qui est censé mener, au cours des prochaines semaines, les négociations avec Pékin.

CONSIDÉRATIONS DE SÉCURITÉ
Les deux pays se sont engagés, lundi, à poursuivre le dialogue commencé au cours du week-end, un mécanisme qui, du point de vue chinois, devrait permettre de repousser les problèmes. En plus de son vice-premier ministre chargé de l’économie, He Lifeng, qui revient à Pékin comme la personne capable de gérer la difficile relation commerciale avec les Etats-Unis, la Chine avait également dépêché, à Genève, son ministre de la sécurité publique, Wang Xiaohong. Une manière de faire miroiter aux Etats-Unis davantage d’efforts dans la lutte contre l’exportation des composants chimiques du fentanyl.

Donald Trump a laissé entendre qu’il pourrait s’entretenir prochainement avec son homologue, Xi Jinping. Après un appel téléphonique, le 17 janvier, trois jours avant l’investiture du républicain, la Chine avait évité d’organiser un autre échange entre les deux chefs d’Etat. Pékin ne souhaitait pas donner satisfaction à Donald Trump et craignait une séquence improvisée et un message mal maîtrisé. Cette fois, Xi Jinping aurait tout intérêt à prendre un appel du président américain, pour continuer à faire redescendre la pression et jouer l’amitié.

Sur le fond, les dossiers à régler sont considérables, même en excluant le conflit géostratégique sur Taïwan. Les deux pays doivent s’entendre sur le niveau des droits de douane, sur les achats volontaires chinois de produits américains, notamment agricoles, pour réduire le déficit commercial bilatéral, sur les subventions de la Chine à son industrie, sur l’accès des Américains au marché chinois ou encore sur les manipulations ou non des taux de change.

A ces sujets majeurs s’ajoutent les considérations de sécurité. Les Américains ne veulent plus dépendre des terres rares chinoises, mais Pékin a également des revendications : les entreprises chinoises n’ont, en ce moment, pas le droit de racheter des entreprises américaines. Washington est divisé sur l’accès de la Chine aux technologies stratégiques, notamment les microprocesseurs.

Un camp est partisan de restrictions fortes sur les produits sensibles – « petit jardin avec une clôture élevée », avait dit, en octobre 2022, Jack Sullivan, conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden –, tandis qu’un autre, dont ferait partie Donald Trump, voudrait libéraliser les exportations de microprocesseurs. S’y ajoute une bataille hautement symbolique, celle de TikTok, que Donald Trump ne veut pas clore, mais qui doit, selon une loi votée par le Congrès, passer sous capitaux américains.

Dans ce contexte, un expert des relations sino-américaines estime qu’un accord sérieux est inaccessible et qu’il faut se préparer à ce que le provisoire soit le définitif : des droits de 30 % et 10 %, jusqu’à ce que le président américain change d’avis. A Washington, aucune stratégie n’a été exprimée sur la Chine, même si Scott Bessent a expliqué que le découplage complet n’était pas souhaitable. La crise déclenchée par Donald Trump et la rapidité de l’accord – dans lequel les Chinois ont accepté une taxation supérieure à celle qu’ils infligent à Washingon – montrent que ni Pékin ni Washington ne pouvaient durablement tenir une telle guerre commerciale.

« OPPORTUNITÉ STRATÉGIQUE »
Pékin s’inquiétait également de l’impact de cette confrontation sur son économie. De manière emblématique, Apple a l’intention de produire en Inde l’ensemble de ses iPhone à destination du marché américain, dès la fin 2026. La volonté d’accélérer la diversification des approvisionnements affichée ces dernières semaines, notamment par Mattel (qui vend les poupées Barbie), est un défi pour ses usines. C’est le cas dans l’immense quartier industriel surnommé « iPhone City », en périphérie de Zhengzhou, dans le centre de la Chine, où le sous-traitant d’Apple, Foxconn, avait commencé, en 2010, à produire l’essentiel de ses smartphones. L’emploi se trouve affecté par l’automatisation des chaînes de production et par le départ d’une partie de l’assemblage en Inde. La région cherche des moyens de compenser, pour maintenir l’emploi, en assemblant des voitures électriques.

La crise que viennent de traverser Washington et Pékin, de même qu’elle incite les distributeurs américains à aller se fournir dans des pays avec lesquels les relations politiques sont moins risquées, convainc encore davantage la Chine de la nécessité de réduire son exposition aux Etats-Unis. Un Livre blanc publié lundi par le gouvernement chinois n’en dit pas moins. « La Chine va transformer la pression en une impulsion et voir le défi américain comme une opportunité stratégique d’accélérer la construction d’un nouveau schéma sécuritaire », lit-on dans le jargon très officiel. Selon The Financial Times, plusieurs dizaines d’entreprises cotées à Shanghaï et à Shenzhen ont informé, ces dernières semaines, leurs investisseurs de leurs efforts pour sourcer localement bien plus de composants.