Alors qu’il vient de nommer un premier ministre pour satisfaire aux demandes occidentales de « revitaliser » l’Autorité palestinienne, le président Abbas est critiqué par les autres mouvements palestiniens, au premier rang desquels le Hamas.
Par Louis Imbert (Jérusalem, correspondant), Le Monde
Pressé par Washington de « réformer » et de « revitaliser » l’Autorité palestinienne (AP), le président Mahmoud Abbas a chargé le 14 mars un fidèle conseiller, Mohammad Mustafa, de former un nouveau gouvernement à Ramallah. Cet économiste, haut fonctionnaire respecté et sans relief, doit rassembler une équipe d’experts afin de préparer l’après-guerre à Gaza.
Ce geste permet à M. Abbas de faire valoir à l’administration américaine qu’il a commencé un processus de réforme annoncé depuis des mois, que ses bailleurs considèrent toutefois comme cosmétique. Il donne aussi à ce dirigeant profondément impopulaire, élu en 2005 pour un mandat de quatre ans, l’occasion de verrouiller le pouvoir autour de son cercle restreint, en le dépolitisant un peu plus encore.
Cette annonce a suscité de vives critiques du Hamas, qui l’accuse de « prendre des décisions contre la volonté du peuple palestinien », dans un communiqué publié le 15 mars avec le Jihad islamique, les marxistes du Front populaire de libération de la Palestine et l’opposant démocrate Mustafa Barghouti. « Former un nouveau gouvernement sans consensus national va aggraver les divisions » palestiniennes, prédit ce communiqué, alors que le Hamas se voit dénier toute influence sur ce processus.
Depuis plusieurs mois, les chefs politiques en exil du mouvement multiplient les contacts avec des cadres du Fatah critiques du président Abbas, des candidats à la succession du « raïs » âgé de 88 ans, et avec des victimes des purges qui ont émaillé son règne.
Négocier un repli
Le mouvement islamiste cherche à survivre en négociant un repli de l’armée israélienne hors de Gaza, en échange de la libération des otages qu’il a capturés lors de l’assaut du 7 octobre 2023. Il paraissait jusqu’alors ouvert à la formation à terme d’un gouvernement d’experts, un interlocuteur acceptable pour les acteurs régionaux et les donateurs internationaux, chargé de prendre en main ce qu’il reste des structures administratives de Gaza.
Le Hamas cherche à terme à rejoindre l’Organisation de libération de la Palestine, organe collégial des factions, que M. Abbas a presque entièrement dévitalisé, mais qui demeure le seul représentant reconnu du peuple palestinien à l’étranger.
Mahmoud Abbas se dit en privé indifférent au fait que le Hamas soutienne le gouvernement de l’extérieur, à la condition qu’il démantèle son appareil militaire ; cette condition posée par ses partenaires occidentaux est inacceptable pour le mouvement. Le 15 mars, le président a fait publier une vive réponse du Fatah aux critiques de ses rivaux : le parti a accusé les islamistes « d’avoir causé le retour de l’occupation israélienne de Gaza en entreprenant l’aventure du 7 octobre ». Les attaques du Hamas en Israël ont fait 1 100 victimes et provoqué les représailles meurtrières entraînant la mort de plus de 31 700 personnes dans l’enclave.
Ces échanges acrimonieux ont lieu alors que le gouvernement israélien étouffe économiquement l’Autorité palestinienne et se refuse à négocier son retour de plein droit à Gaza. L’Etat hébreu envisage cependant de solliciter des cadres sécuritaires afin de « stabiliser » l’enclave et d’empêcher toute résurgence du Hamas. Ces cadres palestiniens s’y préparent : ils évoquent le possible entraînement en Jordanie d’anciens membres des forces de sécurité de Gaza, mis sur la touche en 2007 lorsque le Hamas s’est emparé de l’enclave. Mais, risquant d’être perçus comme des collaborateurs d’Israël, ces responsables n’au raient aucun intérêt à se précipiter dans l’enclave, où le Hamas conserve des capacités militaires et administratives difficilement contournables.