Malgré les efforts des médiateurs égyptiens et qataris et les pressions des Etats-Unis sur l’Etat hébreu, l’hypothèse qu’un arrêt des combats intervienne avant le ramadan devient de plus en plus incertaine.
Par Benjamin Barthe, Louis Imbert (Jérusalem, correspondant) et Hélène Sallon (Beyrouth, correspondante), Le Monde
Les négociations entre Israël et le Hamas pour une trêve dans la bande de Gaza sont toujours dans l’impasse à l’approche du mois du ramadan. L’échéance, que s’étaient fixée les médiateurs égyptiens et qataris pour parvenir à un accord sur l’échange d’otages israéliens contre des Palestiniens détenus en Israël et un afflux d’aide dans l’enclave palestinienne, pourrait ne pas être tenue. Les deux parties s’opposent encore sur la nature même de cet accord.
Le mouvement islamiste exige un cessez-le-feu permanent et le retrait des forces israéliennes pour clore cinq mois d’une guerre qui a fait plus de 30 000 morts et s’atteler à la reconstruction de l’enclave dévastée. L’Etat hébreu se refuse à évoquer le jour d’après et toute transition politique à Gaza. Il envisage l’arrêt des combats comme une simple pause, un moyen de libérer les otages, avant la reprise de la destruction des capacités militaires et de gouvernement du Hamas.
Jeudi 7 mars, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a promis une nouvelle fois que l’infanterie finirait par mener l’assaut à Rafah, où sont réfugiés plus de 1,3 million de Palestiniens, en dépit de la pression des Etats-Unis et de la communauté internationale pour l’en dissuader. Israël se dit échaudé par un durcissement des demandes du Hamas. « Le Hamas a deux options : se rendre ou mourir. Il n’y en a pas d’autre », a martelé le ministre de la défense, Yoav Gallant.
Une « négociation difficile »
Le matin, la délégation du Hamas avait quitté Le Caire, après trois jours de pourparlers, sur un constat d’échec. Israël « refuse de s’engager et de donner des garanties concernant le cessez-le-feu, le retour des personnes déplacées et le retrait des zones de son incursion », a déploré le porte-parole du mouvement, Jihad Taha. Le Hamas a néanmoins assuré qu’il reprendrait ces pourparlers la semaine prochaine.
Au Caire, comme à Doha, les négociateurs se disent déterminés à poursuivre leur médiation le temps qu’il faudra. Reconnaissant une « négociation difficile », l’administration américaine pousse à un compromis. « Nous continuons de croire que les obstacles ne sont pas insurmontables et qu’un accord peut être trouvé », avait estimé, mercredi, le porte-parole du département d’Etat américain, Matthew Miller.
L’optimisme affiché par les négociateurs se teinte de doutes en coulisses. « Les médiateurs sont pessimistes sur la possibilité d’une issue négociée à la guerre. Aucune des parties n’a intérêt à lâcher : ni le Hamas pour qui les otages sont une assurance-vie, ni Benyamin Nétanyahou pour qui une victoire militaire est la clé de son sauvetage politique », résume une source en contact avec les négociateurs.
« Le Hamas n’acceptera jamais de relâcher tous les otages sans un accord de cessez-le-feu. Ils préfèrent mourir à Gaza que de renoncer aux otages sans contrepartie », confirme une source proche des négociations. La proposition de départ, mise sur la table par les médiateurs fin janvier, prévoyait un plan en trois phases, créant les conditions pour un arrêt des combats s’étalant sur plusieurs mois et le début de la reconstruction. Faute de compromis, les médiateurs ont recentré la négociation sur la phase initiale – une trêve de six semaines et l’échange de quarante otages israéliens contre des Palestiniens détenus en Israël.
Le Hamas accepte les principaux termes de cet accord, mais il exige la garantie qu’il conduise à un cessez-le-feu permanent. « L’autre problème tient au retrait des forces israéliennes, que le Hamas demande et auquel Israël s’oppose. Enfin, le Hamas veut avoir la garantie que l’aide humanitaire parviendra dans le nord de la bande de Gaza. Il est assez clair que les Israéliens cherchent à transformer cet endroit en zone tampon », poursuit la source proche des négociations.
Washington laisse entendre qu’Israël serait prêt à permettre l’arrivée de l’aide dans le Nord le retour des habitants, dans le cadre des négociations – une posture qui fait craindre qu’Israël n’use de la faim, qui tue désormais à Gaza, comme d’un levier de pression. En début de semaine, le général Benny Gantz, membre du cabinet de guerre israélien, a cependant subi à Washington un vif rappel de la frustration de son grand allié, qui échoue à le convaincre d’ouvrir les frontières terrestres de Gaza à l’aide internationale, afin d’atténuer la catastrophe humanitaire, et qui craint un assaut sur Rafah.
Joe Biden a néanmoins estimé qu’un accord est « entre les mains du Hamas ». « Israël a été coopératif. Il y a une offre rationnelle » sur la table, a ajouté le président américain, mardi. Dans son discours sur l’état de l’Union, jeudi, Joe Biden a appelé à un cessez-le-feu de six semaines. Le soutien que Washington continue d’apporter à Israël lui vaut d’être accusé par le mouvement islamiste d’être un « partenaire du massacre, du génocide » contre les Gazaouis.
« Les Etats-Unis poussent fort pour un accord, pas autant qu’ils pourraient, mais ils poussent. Le problème vient de Nétanyahou, qui n’écoute pas », assure la source proche des négociations. Cette dernière dépeint également David Barnea, le chef du Mossad qui a participé aux négociations au Caire et à Doha, comme un interlocuteur « sérieux » et « coopératif ». « On a le sentiment qu’il veut un accord, mais qu’il est isolé. Dès que Barnea rentre dans son pays, le son de cloche israélien se met à changer », poursuit cette source.
Benyamin Nétanyahou, accaparé par sa survie politique et déterminé à mener une guerre longue, est accusé par voie de presse d’avoir retenu inutilement les négociateurs israéliens du Caire. On lui prête aussi d’avoir cherché à saborder les négociations en posant, comme ultimatum, que le Hamas livre la liste des otages encore vivants. La mort de trente otages a été confirmée, sur les cent trente qui étaient encore retenus dans la bande de Gaza. Le Hamas a mis cette requête au compte des « tergiversations et des manœuvres dilatoires » dont il accuse Israël dans les négociations. « Le Hamas ne connaît pas le sort de tous les otages car certains sont entre les mains d’autres groupes et la situation sur le terrain ne lui permet pas de réunir ces informations sans une trêve », précise l’observateur.
« Hard power »
Les négociations, menées par les chefs politiques exilés au Qatar, sont elles-mêmes entravées par l’isolement que les combats imposent au chef du Hamas dans la bande de Gaza, Yahya Sinouar. « Ceux de Doha finissent par obtenir un retour de leurs homologues à Gaza, mais ça prend un ou deux jours », indique la source proche des négociations. Le dernier mot revient au chef de Gaza, que l’on dit moins disposé à des compromis pour parvenir à un accord que certains des cadres de Doha. « Sinouar réfléchit comme un militaire et non comme un politique. Il croit dans le hard power et ces temps-ci, au sein du Hamas, c’est lui qui a le pouvoir », poursuit cette source.
Le Hamas a des raisons de ne pas précipiter un cessez-le-feu. Le ramadan qui s’ouvre, et d’éventuelles tensions sur l’esplanade des Mosquées de Jérusalem, offre au mouvement une occasion de présenter la guerre qu’Israël est parvenu jusqu’ici à contenir dans les frontières de Gaza comme un conflit mené par l’Etat hébreu contre l’islam et les musulmans dans leur ensemble et de s’affirmer comme leur défenseur dans le monde arabe. Fin février, le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a ainsi enjoint au « peuple à Jérusalem et en Cisjordanie [de] marcher sur la mosquée d’Al-Aqsa au premier jour du ramadan ».