Guerre Israël-Hamas: pourquoi la «solution à deux États» reste difficile à mettre en œuvre

Guerre Israël-Hamas: pourquoi la «solution à deux États» reste difficile à mettre en œuvre
السبت 10 فبراير, 2024

Par Isabelle Lasserre / Le Figaro


Maintes fois échouée sur les écueils politiques et religieux du Proche-Orient, la coexistence pacifique d’un État juif et d’un État palestinien est toujours considérée par de nombreux responsables européens comme la seule issue possible.

Après quatre mois de guerre, le traumatisme des attaques terroristes du 7 octobre qui ne passe pas chez les Israéliens, les victimes civiles de la réponse militaire de Tsahal qui alimentent la rancœur des Gazaouis, des voix s’élèvent, de plus en plus nombreuses, pour déterrer la «solution à deux États». Maintes fois échouée sur les écueils politiques et religieux du Proche-Orient depuis qu’elle a été évoquée par les Nations unies en 1947, elle est toujours considérée par de nombreux responsables européens comme la seule solution possible. La France, notamment, estime que cette idée centenaire reste la seule possible pour la région.

La réapparition de la question palestinienne, enfermée à tort dans la catégorie des conflits semi-gelés faciles à ignorer, le retour du refoulé, ont permis la résurrection des vieux plans de paix enterrés par l’échec des accords d’Oslo de 1993 et l’assassinat d’Yitzhak Rabin deux ans plus tard. La « solution à deux États », taboue à Washington sous l’Administration Trump, est à nouveau évoquée à la Maison-Blanche. Elle est aussi brandie par la Ligue arabe, dont les principaux pays modérés s’engagent davantage qu’avant dans les efforts de paix.

En théorie, la « solution à deux États », qui prévoit la coexistence pacifique d’un État juif, Israël, et d’un État palestinien, paraît toujours aussi complexe à mettre en œuvre. Côté israélien, le gouvernement nationaliste de Benyamin Netanyahou n’en veut pas. Il a tout fait pour l’éviter, en encourageant la colonisation en Cisjordanie, la « Judée-Samarie », que les nationalistes considèrent comme le berceau des Israéliens et qui est aujourd’hui devenue un gruyère dont il sera difficile d’effacer les trous et de faire partir les plus de 450 000 colons. Avec la complicité des pays occidentaux et des États arabes, pas mécontents de cacher la question palestinienne, trop difficile à résoudre, sous le tapis… « Netanyahou a cru que le Hamas pouvait être un atout, en étant suffisamment faible pour ne pas mettre Israël en danger mais suffisamment fort pour rester au pouvoir et empêcher toute réunion de Gaza et de la Cisjordanie. Moi, je pensais qu’il fallait l’écraser, car on ne pouvait pas vivre avec un mouvement qui voulait nous détruire. C’est le crime de Bibi : il a fabriqué le Hamas », résume Elie Barnavi, ancien ambassadeur israélien en France, dans une conférence à la chaire Grands enjeux stratégiques contemporains de la Sorbonne. Côté palestinien, la « solution à deux États » est considérée avec le même mépris par le Hamas.

Quant à ceux qui prétendent imposer cette solution, ils n’en ont pas forcément les moyens. L’écho limité rencontré par les pressions de Washington sur le gouvernement israélien pour obtenir une trêve et de la modération dans l’intervention militaire, révèle l’érosion de l’influence américaine dans la région. La contestation grandissante de la politique proche-orientale de Joe Biden limite les capacités d’action du président américain, comme la perspective d’un retour de l’imprévisible Donald Trump à la Maison-Blanche. « Jusque-là, l’appui des États-Unis à Israël permettait toujours de trouver une solution. Aujourd’hui, les États-Unis semblent ne plus avoir les moyens d’imposer une solution politique », commente un diplomate français. Les voix de l’Europe sont devenues, elles, presque inaudibles. « L’influence de l’Europe est mise à mal par les répliques de l’axe de la résistance à la guerre, qu’il s’agisse des houthistes au Yémen ou des milices irakiennes », constate Bertrand Besancenot, ancien ambassadeur de France au Qatar et en Arabie saoudite, lors d’une table ronde de l’Ifri consacrée à la question.

Enfin, les pays du Golfe. Ils sont sans doute les mieux placés pour jouer un rôle d’apaisement. Surtout l’Arabie saoudite, qui défend les intérêts des Palestiniens sans renoncer à son objectif d’intégrer un jour les accords d’Abraham, qui ont normalisé les relations entre plusieurs pays arabes et Israël. « Mais face à l’Iran, les États du Golfe considèrent que leur meilleur atout est leur succès économique. Ils veulent être un pôle de stabilité et de développement dans le monde. Ils veulent conserver leur partenariat avec les États-Unis tout en étant des acteurs autonomes », poursuit Bertrand Besancenot. Leurs divisions, de même que leur peur des soubresauts politiques, retiennent parfois leurs élans diplomatiques au Proche-Orient. « La question, résume l’ancien ambassadeur à Riyad, c’est de savoir s’ils ont la capacité de créer une entité solidaire et de peser dans la région et au niveau international. »

Au niveau global, le nouveau conflit au Proche-Orient a déjà des gagnants provisoires : l’Iran, la Russie et la Chine. « Les attentats du 7 octobre et la réponse israélienne sont un moment disruptif qui perturbe l’histoire. On pressent que rien ne sera plus comme avant, mais il est difficile de savoir de quoi sera fait l’avenir », résume Elie Barnavi dans sa conférence à la Sorbonne. Comme la guerre en Ukraine, celle du ProcheOrient a des conséquences mondiales. Elle joue en faveur du « Sud global », qui considère Israël comme l’avant-poste de l’Occident. Elle a radicalisé la fracture entre l’Occident et les pays du « Sud global ». « La guerre à Gaza est pour eux une occasion en or de damer le pion aux États-Unis, qui sont à la peine et ne réussissent pas à refaire la coalition qu’ils avaient montée contre les Russes », affirme Elie Barnavi. Mais ni Moscou, ni Pékin, ni Téhéran ne se sont pour l’instant engagés pour soutenir la solution à deux États.

Les pays occidentaux et les pays arabes réussiront-ils à transformer, ensemble, la crise en opportunité et à extirper des marais du ProcheOrient la « solution à deux États », avant que les boues de la géopolitique l’aspirent à jamais ? « Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent des monstres. Mais souvent dans l’histoire, les solutions plus audacieuses sont sorties des pires catastrophes. La Shoah a conduit à la création de l’État d’Israël. La Seconde Guerre mondiale a donné naissance à l’UE », rappelle l’ancien ambassadeur israélien à Paris. L’absence d’alternatives, « à part la guerre civile et l’apartheid », justifie qu’on s’y accroche malgré tout. « Mais il faut sortir de l’illusion qu’on pourra se retirer de Gaza et que la paix se fera toute seule. Si on veut résoudre le problème, il faut imposer la solution. » Et surtout, faciliter l’arrivée de nouveaux dirigeants, côté israélien et côté palestinien. Car la « solution » ne pourra se faire ni avec le Hamas, ni avec Benyamin Netanyahou, ni avec une Autorité palestinienne corrompue et discréditée.