Guerre Israël-Iran : les pays du Golfe pris en étau

Guerre Israël-Iran : les pays du Golfe pris en étau
الأربعاء 18 يونيو, 2025

Par Vinciane Joly. La Croix

Peu mécontents de voir le programme nucléaire iranien retardé, les pays du Golfe, et notamment l’Arabie saoudite, veulent éviter d’être ciblés au cas où l’Iran choisirait de viser les bases américaines dans la région. Ils sont inquiets pour la stabilité nécessaire au développement économique.


« L’armée israélienne a détruit plus de vingt postes de commandement des Gardiens de la Révolution. Ô Arabes, souvenez-vous du rôle de cette milice terroriste et criminelle dans la région (…) qui nuit à notre stabilité à tous. » C’est ainsi que le porte-parole arabophone de l’armée israélienne, Avichay Adraee, interpelle les Arabes dans un message sur X (ex-Twitter) lundi 16 juin, trois jours après le lancement de l’attaque d’Israël sur l’Iran. Une apostrophe qui illustre le dilemme auquel sont confrontés les pays arabes, et notamment du Golfe, qui tentent tant bien que mal de rester neutres, fermant leur espace aérien aux belligérants. Ils ne veulent surtout pas se laisser entraîner dans cette nouvelle confrontation : une déstabilisation régionale ferait vaciller tous leurs projets de développement.

Quelques heures après les premières frappes israéliennes sur des installations nucléaires et des cibles militaires, l’Arabie saoudite s’est fendue d’un communiqué les qualifiant d’«agressions flagrantes» contre un «pays frère». «Nous condamnons cette violation flagrante des lois et des normes internationales», a réitéré le lendemain le prince héritier Mohammed Ben Salmane lors d’un appel avec le président iranien Massoud Pezeshkian, tout en promettant de «prendre en compte les besoins des pèlerins iraniens» venus à La Mecque pour le hadj.

Une manière de soigner les relations avec Téhéran, longtemps ennemi juré de la monarchie saoudienne. «Ces déclarations s’inscrivent dans la continuité de la stratégie diplomatique de rapprochement avec la République islamique d’Iran mise en place il y a deux ans, après que les pays du Golfe ont pris conscience que les États-Unis ne voleraient pas nécessairement à leur secours en cas d’attaque», explique Camille Lons, chercheuse au Centre européen des relations internationales (ECFR). Les Émirats arabes unis (EAU) et l’Arabie saoudite n’avaient pas reçu le soutien escompté de la part de Washington après des bombardements par le mouvement houthiste visant les installations de la compagnie pétrolière saoudienne Aramco dans l’est du pays en 2019, ni après que des drones yéménites ont frappé des pétroliers dans le port d’Abu Dhabi en 2022. Les deux pétromonarchies ont alors remis au placard leur antagonisme viscéral à l’égard de la République islamique. Les EAU renouent des relations diplomatiques avec Téhéran, et l’Arabie saoudite signe un accord de détente sous l’égide de la Chine.

«Cette stratégie a plutôt bien fonctionné depuis le 7-Octobre et leur a permis de ne pas être perçus comme complice d’Israël et d’éviter d’être ciblés par Téhéran, à défaut d’avoir réglé tous leurs contentieux, analyse la spécialiste des pays du Golfe. Dans le même temps, ils ne sont pas mécontents de voir les proxys de “l’axe de la résistance” affaiblis et le programme nucléaire iranien repoussé de plusieurs mois, voire plusieurs années. Aussi leur position est-elle ambiguë.»

Toutefois, dans cette nouvelle déflagration, les pays du Golfe ont bien plus à perdre qu’à gagner, eux qui ont fait de la sécurité et de la stabilité l’alpha et l’oméga de leur politique étrangère pour mener à bien leurs ambitieux projets économiques, au premier chef desquels «Vision 2030» de Mohammed Ben Salmane. Ils sont inquiets de possibles répercussions dans le cas, où l’Iran, acculé, viendrait à cibler sur leur territoire les bases américaines situées sur son sol, ou à fermer le détroit d’Ormuz, principale voie d’exportation des hydrocarbures irakiennes, émiriennes et saoudiennes. En outre, ils craignent les conséquences des frappes israéliennes sur les installations nucléaires, et notamment – si cela devait arriver – sur le réacteur de la centrale iranienne de Bouchehr située sur la côte du golfe Persique, ce qui entraînerait une contamination des eaux.

Pour ajouter à leur exercice d’équilibriste, les pays du Golfe ont d’ailleurs appelé lundi, au côté de 21 autres pays arabes et musulmans, à la création d’une «zone exempte d’armes nucléaires» au Moyen-Orient. Un moyen de renvoyer dos-à-dos les deux belligérants. Et d’appeler à paix. Comme le notait un éditorialiste du Asharq Al-Awsat, le quotidien panarabe de référence dans la région: «Quel est ce Moyen-Orient que chacun veut façonner à sa guise? Un Moyen-Orient iranien qui veut exporter la révolution, sacraliser les milices et faire avancer des agendas politiques métaphysiques? Ou un Moyen-Orient israélien de la mer au Jourdain, rêvant d’empêcher la création d’un État palestinien et de régner par la force brute?»Et de prôner une troisième voie: «Un Moyen-Orient de stabilité, de paix et d’avenir durable.»